[THEMA] Aviation : Il est temps d’atterrir

Publié le mer 04/05/2022 - 09:05

Par Stéphen Kerckhove, directeur général d’Agir pour l’environnement

Entre 2002 et 2019, selon l’Observatoire de l’aviation civile internationale (OACI), le nombre de passagers empruntant un avion pour une destination lointaine a plus que triplé, passant de 547 millions à 1,85 milliard. En intégrant les vols intérieurs, les chiffres sont encore plus saisissants, puisque les 24 000 avions en circulation ont déplacé 4,3 milliards d’individus par an. Un avion décolle chaque seconde dans le monde. L’aviation représente en France 4,6 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre et engloutit près de 8 % de la consommation finale de pétrole dans le monde, sous forme de kérosène largement détaxé.

Enivré par ce succès fou, le secteur planifiait, avant la pandémie, un doublement de la flotte mondiale d’ici à 2037. Selon l’OACI, la consommation de kérosène pourrait plus que doubler d’ici à 2050, passant de 160 millions de tonnes à 380 Mt. Certains experts estiment même que sans un décrochage brutal, les émissions de gaz à effet de serre de l’aviation pourraient représenter 22 % des rejets mondiaux, toujours d’ici 2050.

La mondialisation de l’économie s’est accompagnée d’une explosion de la quantité de produits transportés. Un tiers de toutes les marchandises transportées dans le monde l’ont été par avion. Le dilatement de l’espace s’est ainsi accompagné de la contraction du temps. Le caprice de consommateurs impénitents a une conséquence très concrète sur le nombre d’avions dans le ciel.

La pandémie mondiale que nous traversons aura eu pour effet collatéral de stopper nette cette progression fulgurante que connaissait le secteur aérien depuis une vingtaine d’années. En quelques semaines seulement, ce qui aurait pu apparaître comme totalement inconcevable s’est produit : une chute brutale du trafic aérien de près de 60 %.

Pensée magique

Pourtant, il faut nous méfier des évidences. Le transport aérien est loin d’être un mode de transport populaire. Huit pour cent des vols européens sont assurés par des jets privés ; vols qui s’effectuent pour 40 % d’entre eux… à vide ! Une autre donnée est encore plus éclairante : 1 % de la population mondiale est responsable de 50 % des émissions du secteur aérien !

Face aux alertes climatiques répétées et la fin annoncée du pétrole à bon marché, la banalisation du recours au transport aérien ne pourra perdurer éternellement. La fragilité de ce secteur est une donnée que seule une poignée de « pétrooliques anonymes » semblent nier, tentant de négocier avec la nature en invoquant de bien hypothétiques solutions alternatives, de l’hydrogène à l’avion solaire en passant par le recours aux agro-carburants.

Le techno-solutionnisme invoqué ici relève de la pensée magique et ne prépare aucunement à la mutation que nous subirons si nous ne l’anticipons pas. Au regard de l’importance économique du secteur aérien rendant possible le tourisme de masse et l’amazonification du monde et de son « tout, tout de suite », nier la fragilité de ce secteur ne pourra nous conduire qu’à une grave crise économique que le soutien de l’État ne saurait résoudre durablement.

En attendant, chacun doit progressivement se désintoxiquer de ce « bougisme » et opter pour une sobriété pleinement assumée. Pour effectuer des déplacements sur des distances réduites, l’avion doit être interdit. Le train émet 40 fois moins de CO2 que l’avion. Mais l’urgence est aussi et surtout de redécouvrir les vertus de la proximité et renoncer à cette fuite permanente, cette consommation compulsive d’espaces permise par l’aviation. L’avion est un outil au service d’un imaginaire qui postule qu’ailleurs n’est jamais assez loin. Dans un monde de pénurie énergétique et de dérèglement climatique, le recours à cette technologie doit redevenir exceptionnel.

 

À lire :
Le dernier avion, comment le trafic aérien détruit notre environnement, Sébastien Porte, Ed. Tana
La bougeotte, nouveau mal du siècle ?, Laurent Castaignède, Ed. Ecosociété 

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