LETTRE OUVERTE au Sénateur Laurent DUPLOMB
Le 7 février 2025
A propos de la proposition de loi n°108 que vous avez déposée, visant à « lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur » et, notamment, à ré-autoriser les insecticides néonicotinoïdes, vous affirmez publiquement1 que « les apiculteurs sont dans une posture qui fait fi des réalités scientifiques établies par les organismes européens et français en charge des sujets phytosanitaires (…) ». Vous énoncez des arguments aussi subjectifs qu’irrecevables, que la science – justement, ne peut pas tolérer ! Rétablir la vérité nous apparaît indispensable, tant sur le plan scientifique qu’institutionnel en matière d’homologation des pesticides, avant le vote des députés.
Plus de mille études scientifiques prouvent l’extrême danger des néonicotinoïdes sur la santé globale
Vous assurez qu’« il n'est pas question de réautoriser les NNI tueurs d'abeilles que sont l'imidaclopride, la clothianidine, le thiaclopride et le thiaméthoxame (…) interdits à juste titre par l'Union européenne (…) car c'est scientifiquement avéré. » En effet ! Mais, jusqu’à ce que les scientifiques de la TASK FORCE internationale apportent la preuve irréfutable de leur extrême toxicité2 , ces quatre molécules étaient autorisées par l’Union européenne. Autorisées à décimer massivement les abeilles et autres insectes pollinisateurs sauvages, à empoisonner les plantes, les sols, l’eau, l’air et notre alimentation. Jusqu’à ce que la recherche scientifique indépendante vienne corroborer les suspicions des apiculteurs français, témoins dans leurs ruchers d’un désastre planétaire. Ces lanceurs d’alerte, que vous diffamez, pionniers d’un combat d’utilité publique en faveur de la pollinisation au service de l’agriculture, qui aura duré… plus de vingt ans !
L’interdiction pour le moins tardive de ces neurotoxiques parmi les plus puissants au monde atteste à quel point l’évaluation du risque pesticide s’avère défaillante en Europe. Conjuguée aux graves dysfonctionnements en matière de gestion du risque, que ce dossier a également révélés…
L’homologation des pesticides, en Europe, s’appuie sur les dossiers présentés par les firmes agrochimiques3
Nul ne peut donc s’étonner des dangers des poisons auxquels nous sommes continuellement exposés. Peut-être ne le saviez-vous pas, Monsieur le Sénateur ?
Votre texte de loi propose de « réautoriser aux agriculteurs français l'accès à trois molécules NNI : l'acétamipride et deux autres matières actives la flupyradifurone et le sulfoxaflor, déjà autorisées et utilisées partout ailleurs en Europe ». Une faille juridique dans laquelle vous vous engouffrez, pour promouvoir l’agriculture chimique comme s’il n’existait pas d’autre voie… Et comme si ces molécules étaient sans danger !
A propos de l’acétamipride, vous insistez : « C'est certes un NNI mais qui n'a rien d'un tueur d'abeilles et ce n'est pas moi, Laurent Duplomb, ni la FNSEA, ni les agriculteurs qui le disent mais les autorités sanitaires que sont l'EFSA pour l'UE et l'ANSES pour la France sur des bases on ne peut plus scientifiques. » Contrairement à ce que vous affirmez, les effets délétères de l’acétamipride, du sulfoxaflor et de la flupyradifurone4 ont été mis au jour sur des bases scientifiques et indépendantes. L’EFSA et l’Anses alertent, notamment, sur leur dangerosité pour l’entomofaune pollinisatrice5 6 . Des points sur lesquels la littérature scientifique ne cesse de s’accumuler7 .
Concernant le sulfoxaflor, toxique pour les abeilles, la Commission européenne a restreint ses usages en 2022 aux serres permanentes8 . Pour la flupyradifurone, l’EFSA a pu étudier les risques pour les différentes espèces d'abeilles. Les nouvelles données indiquent des risques plus élevés encore pour les abeilles mellifères !
Ainsi, nous vous exhortons, Monsieur le Sénateur, à prendre connaissance des publications scientifiques disponibles, à vérifier vos sources avant de vous exprimer publiquement sur un sujet aussi grave. Par respect à l’égard des scientifiques, prioritairement, qui font leur travail et osent révéler ce que les firmes et le système nous cachent. Pour les Françaises et les Français que vous représentez et êtes censé protéger…
Les néonicotinoïdes sont des poisons neurotoxiques longue durée à large spectre
Vous affirmez, encore, que les abeilles et autres pollinisateurs n’ont « aucun risque d’être exposés, demain, à des insecticides pour la bonne et simple raison que l'arrêté pollinisateurs du 21 novembre 2021 interdit, en France, l'utilisation des insecticides durant la floraison. »
Ignorez-vous donc les capacités spécifiques des insecticides néonicotinoïdes à empoisonner les pollinisateurs tout au long de l’année, sans même qu’ils butinent les fleurs ?
Ignorez-vous leur persistance dans les sols durant des dizaines d’années, leur solubilité dans les eaux de surface et eaux souterraines, leur capacité de rémanence dans les cultures suivantes ?
Ignorez-vous la spécificité des néonicotinoïdes en enrobage de semences à se diffuser dans toutes les parties du végétal traité, empoisonnant l’intégralité de la plante, leur capacité à se reconcentrer dans la graine pour empoisonner les productions suivantes ? Leur capacité de dispersion pour contaminer la flore sauvage et toute la chaîne alimentaire ? Les effets des métabolites issus de la dégradation de ces molécules ? Sans oublier les phénomènes de résistance des bioagresseurs cibles ?
Tous ces effets, scientifiquement prouvés, délibérément ignorés par le modèle agricole que vous défendez, massacrent les pollinisateurs, détruisent l’environnement, portent atteinte à la santé publique, dont celles des agriculteurs et des générations à venir.
De grâce, Monsieur le Sénateur, cessez de diffuser de fausses informations !
Confusion aussi en matière réglementaire ?
Un autre point réglementaire mérite d’être relevé : le « label Abeille », « le plus dur à obtenir », dites-vous sur Public Sénat9 , à propos de l’acétamipride. Ce «label » n’existe pas, Monsieur le Sénateur ! Peut-être faites-vous référence à feu la « mention Abeille », attribuée au titre de l’arrêté du 28 novembre 2003 aux pesticides toxiques pour les abeilles ?
La pollinisation entomophile au service du métier d’agriculteur
Vous affirmez, encore, que les insecticides néonicotinoïdes ont été interdits en France « sans raison scientifique (…) et sans analyse des conséquences pour certaines filières, qui malheureusement tendent à disparaître (…) ». C’est précisément le cas de la filière apicole, que vous méprisez ouvertement. Les insuffisances d’analyse des conséquences des poisons dont vous encouragez l’usage agricole l’ont terriblement affaiblie. En aviez-vous entendu parler ?
Nous, signataires, espérons que la majorité des députés français fera preuve de responsabilité pour mesurer avec objectivité le coût/ bénéfice/ risque environnemental et sanitaire que représente la PPL n° 108, pour la rejeter. Qu’ils garderont à l’esprit ce que vous semblez ignorer… Que la pollinisation entomophile est liée à l’exercice du métier d’agriculteur, qu’elle conditionne le présent et l’avenir de 85% de nos productions végétales, indispensables à notre sécurité et notre souveraineté alimentaires.
A ce propos, 65% de la fécondation des cerises et des pommes est assurée par les abeilles, assurent les spécialistes10 ! Le saviez-vous, Monsieur Duplomb ?
1 https://www.lacommere43.fr/actualites/item/71421-laurent-duplomb-les-ap…
2 Task Force on Systemic Pesticides, 2015. Worldwide integrated assessment of the impacts of systemic pesticides on biodiversity and ecosystems. tfsp.info.
3 Fabbri et al., 2018. The Influence of Industry Sponsorship on the Research Agenda: A Scoping Review. Am J Public Health.
4 La structure de la flupyradifurone est proche de celle de l'imidaclopride (N- nitroguanidine) avec lequel il partage également un métabolite commun (6-chloro-nicotine).
5 EFSA, 2024. Statement on the toxicological properties and maximum residue levels of acetamiprid and its metabolites. EFSA Journal. DOI: 10.2903/j.efsa.2024.8759
6 http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.2903/j.efsa.2022.7031/full
7 Pour quelques travaux récents, voir : Azpiazu, C., Bosch, J., Bortolotti, L. et al., 2021. Toxicity of the insecticide sulfoxaflor alone and in combination with the fungicide fluxapyroxad in three bee species. Sci Rep 11, 6821 ; Catania et al., 2024. Insecticides used for controlling cotton mealybug pose a threat to non-target bumble bees, Chemosphere, Volume 368, 143742; Kline et al., 2025. Toxicity responses of different bee species to flupyradifurone and sulfoxaflor insecticides reveal species and sex-based variations, Science of The Total Environment, Volume 964, 178264.
8 EFSA, 2014. Conclusion on the peer review of the pesticide risk assessment of the active substance sulfoxaflor. EFSA Journal. https://doi.org/10.2903/j.efsa.2014.3692
9 Laurent Duplomb sur l'agriculture : "La gauche ne cesse d’apporter des contraintes supplémentaires" - Bonjour chez vous ! - Public Sénat
10 INRA, 2014. Les chercheurs volent au secours des abeilles. Dossier de presse.