[BRETAGNE] FIN DE L’ILLÉGALITÉ POUR L’HERBORISTERIE ?

Publié le jeu 13/12/2018 - 17:53

Par Benoît Vandestick

Dans sa parcelle de terre à Locmariaquer (Morbihan), Maëlle Guéhénec cultive et transforme des plantes aromatiques et médicinales. Pour elle, comme pour ses collègues, l’absence de reconnaissance du métier d’herboriste rend son activité difficile, entraînant lourdeurs administratives et interdiction des allégations thérapeutiques. Une législation qui pourrait changer prochainement.

Il y a deux ans, c’était une parcelle en friche. Un petit bout de terre abandonné dans la campagne de Locmariaquer (Morbihan). Le genre d’endroit que l’on ne trouve qu’en se perdant. C’est ici, cachée du monde, des lotissements et des voitures, que Maëlle Guéhennec a fait sortir de terre un jardin de plantes aromatiques et médicinales. « J’ai créé mon entreprise en février 2017 et j’ai commencé à vendre mes produits l’été qui a suivi », explique-t-elle.

Naguère styliste pour une marque de prêt-à-porter parisienne, cette maman de 38 ans affirme avoir trouvé son bonheur dans le contact avec la terre. Et ce, malgré un contexte législatif hostile : « Aujourd’hui, je me définis comme paysanne-artisane, comme je n’ai pas le droit de me dire herboriste, indique-t-elle. Mais, si demain la loi reconnaît le métier, je serai paysanne-herboriste. »

Car la loi pourrait prochainement évoluer : en septembre dernier, une mission d’information sur le développement de l’herboristerie et des plantes médicinales a été votée à l’unanimité par le Sénat. Un groupe de travail va pouvoir poursuivre la réflexion et proposer une loi.

Mélisse, sauge, menthe, pavot, coquelicot, mauve, angélique, camomille et une trentaine d’autres essences s’épanouissent dans l’hectare de cultures de Maëlle Guéhennec. Au coin de la parcelle, collé à la haie, un cabanon accueille l’atelier de transformation. « C’est ici que je distille mes plantes pour réaliser mes hydrolats », indique-t-elle en présentant le gros alambic de cuivre qui occupe la moitié de l’abri. L’hydrolat est le liquide obtenu à la sortie de l’alambic, après que la vapeur d’eau a imprégné les principes solubles des plantes. Par terre, des bocaux remplis d’huiles de toutes les couleurs sont regroupés dans une cagette. La jeune femme en saisit un. La lumière du jour pénètre le bocal et donne tout leur éclat aux fleurs baignant dans l’huile. « C’est du macérat huileux. Je vais le filtrer puis le mettre en flacon », précise-t-elle.

« Faire ce métier, un acte de militantisme ! »

Une fois ses hydrolats, macérats et baumes mis en contenant, la jeune femme y appose l’étiquette réglementaire, ornée du logo de sa marque, Aoko. Mais pour chaque produit conçu et commercialisé, elle doit remplir d’imposants dossiers, tant coûteux que chronophages. « Il faut noter toute la composition, avec une fiche technique pour chaque ingrédient. Puis faire valider par un toxicologue qui s’assure qu’il n’y a pas d’interaction entre les composants, détaille-t-elle. Et cela, même pour un macérat qui ne contient qu’une seule plante. » Le prix du dossier varie entre 200 et 1000 euros. « Depuis le 11 juillet 2013, la réglementation sur les cosmétiques est extrêmement compliquée, dénonçait Thierry Thévenin, président du syndicat des simples, lors de son audition récente au Sénat. Elle est certes utile, car de nombreux cosmétiques contiennent aujourd’hui des nanomatériaux et des perturbateurs endocriniens, mais elle rend notre travail fastidieux. » Paysanne-artisane depuis 3 ans à Bannalec, près de Quimperlé, Marie Leroy y voit en plus un frein à l’offre : « Ça limite notre créativité, car on ne peut pas réaliser beaucoup de produits. »

Une autre difficulté majeure pour les vendeurs de plantes médicinales : l’interdiction des allégations thérapeutiques, qui empêche d’informer sur les effets des plantes. « On n’a quasiment rien le droit de valoriser, dénonce Maëlle. Je n’ai pas le droit de dire aux gens que la menthe est digestive, par exemple. On peut dire que ça soulage un peu, que ça calme, mais c’est tout. »

Marie Leroy a trouvé une alternative : « Pour ne pas être explicites, on peut mettre de la fantaisie dans les noms des produits, comme “Baume après-coup” pour évoquer les vertus », explique-t-elle. Difficile dans ces conditions d’exercer dans la légalité. « Faire ce métier, aujourd’hui, c’est un acte de militantisme ! », estime Maëlle Guéhennec.
Un danger pour le patient ?

Maëlle Guéhennec et ses produits. © Benoit Vandestick

Au Sénat, les auditions ont permis d’entendre les différents avis et de saisir la complexité du sujet. Lors de son audition, Carine Wolf-Thal, présidente du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens, a alerté sur le danger des plantes : « Soin par les plantes ne veut pas dire soin sans danger : 5 à 10 % des intoxications traitées aux urgences ou dans les centres antipoison sont liées à l’ingestion de plantes comme l’aconit, l’if, la belladone ou le datura. »

Le président du syndicat des simples s’est quant à lui voulu rassurant sur ce point, en affirmant que « les agriculteurs sont responsables, ceux qui vendent des plantes connaissent celles qui peuvent avoir des effets négatifs ». Mais, pour Carine Wolf-Thal, le danger concerne aussi et surtout les possibles interactions des substances : « Le pharmacien a à sa disposition l’ensemble de l’arsenal thérapeutique [...]. Il est ainsi en mesure d’évaluer les interactions entre allopathie et phytothérapie, susceptibles d’engendrer des pertes de chances […]. Il consulte le dossier pharmaceutique du patient contenant les médicaments dispensés au cours des quatre derniers mois. Il a le devoir de refuser la délivrance d’un produit lorsque la santé du patient l’exige. »

Pour autant, si la question de la législation est sur la table, c’est que la loi actuelle ne semble plus adaptée à l’évolution sociétale. Dimanche 1er juillet, l’association Le Cap des possibles a organisé une journée consacrée au bien-être, dans le jardin de Maëlle Guéhennec. Une soixantaine de personnes sont venues déambuler entre les buttes fleuries, pour découvrir les produits Aoko et profiter de séances de Yoga. « On remarque une forte préoccupation sur les questions de santé, indique Romy Bonnefoy, salariée de l’association. Il y a un souhait de revenir aux plantes, à des choses plus naturelles. »
Une tendance qui se confirme dans le nombre croissant d’inscriptions à l’École bretonne d’herboristerie, basée à Plounéour-Ménez (Finistère), qui propose des formations de deux ans avec stage obligatoire. Ce qu’a fait remarquer Thierry Thévenin au Sénat : « Personnellement, j’ai commencé il y a une trentaine d’années. Nous étions alors une cinquantaine et nous nous connaissions tous, se souvient-il. Notre activité est en pleine expansion. Nous sommes aujourd’hui entre 500 et 1 000. »

 « Les clients font leurs mélanges eux-mêmes »

 

Dans la rue du Four-du-Roy, dans le centre d’Auray, une boutique de produits issus de plantes médicinales et aromatiques vient d’ouvrir. Curieuse de tout ce qui touche à son domaine, Maëlle décide de s’y rendre. Sur la vitrine, le nom de la boutique : « Primum non nocere », locution latine signifiant « en premier, ne pas nuire ». Un nom que chacun peut interpréter comme il l’entend.

Pour le gérant, Gabriel Letertre, la loi n’est pas un problème : « Il faut jouer avec les mots et on peut exercer notre métier sans enfreindre la loi, tempère-t-il. Par exemple, je n’ai pas le droit de vendre de mélanges. Alors, je laisse les clients faire leurs mélanges eux-mêmes dans la boutique. » Un avis que ne partage pas la cultivatrice Maëlle Guéhennec : « En étant reconnue, je pourrais exercer mon métier plus sereinement. »

De son côté, Romy Bonnefoy estime que « la reconnaissance du métier permettrait d’informer le consommateur sur les compétences des personnes qui commercialisent ces produits ». Malgré les échanges intéressants, Maëlle ne peut rester trop longtemps dans la boutique. Il faut retourner au travail. Les graines à récolter, les boutures, le paillage. Et les lourds dossiers à remplir, aussi…


Plus d’infos

Rapport de la commission au Sénat : vu.fr/AiP 
www.syndicat-simples.org
aoko.fr

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