[L'HUMOEUR DE MARGUERITE] A part ça, sur Neptune, tout va bien ?

Publié le ven 14/10/2022 - 11:39

Décidément, Marguerite a de plus en plus de mal à se passionner pour l’exploration spatiale...

On ne va pas se mentir, les dinosaures étaient des petits joueurs. Pour éviter l’extinction, il aurait suffi qu’ils investissent 325 millions de Dollars pour envoyer une fusée dans l’espace et dévier la trajectoire d’une météorite, comme cela vient d’être fait par le fameux programme DART (Double Asteroid Redirection Test) de la NASA. Mais les dinosaures n’étaient pas courageux face à l’adversité. On peut le dire maintenant, Tyrannosaurus Rex était une couille molle.

Les astrophysiciens nous disent qu’il ne faut pas sous-estimer la probabilité qu'un corps céleste potentiellement dangereux s'écrase à très grande vitesse sur la surface de la Terre au cours des prochaines décennies. C'est pourquoi, selon eux, le programme DART est si nécessaire.

Mais au fait, dites-moi si je me trompe, mais il semblerait que dans cette histoire un petit détail nous ait échappé, un truc ici-bas qu’on nomme l’urgence climatique. Oui, je sais, c’est terre à terre, désolé, mais figurez-vous que si l’on n’agit pas immédiatement contre le changement climatique, notre destin sera identique à celui des dinosaures, à ceci près que nous en serons les seuls responsables. L’urgence climatique n’est pas potentiellement dangereuse et il ne s’agit pas d’une probabilité : nous sommes face à une certitude. Quand Jacques Chirac a dit « La maison brûle et nous regardons ailleurs », il ne croyait pas si bien dire : d’aucuns ont un œil rivé à un télescope et l’autre sur un écran qui affiche des images de ce qui se passe à 11 millions de kilomètres. De plus, il ne pensait sans doute pas qu’il y aurait des astrophysiciens français dans cette bande de gais lurons insouciants. Pendant qu’ils sont occupés à scruter l’espace, on a envie de leur dire : « Euh, excusez-moi de vous importuner, vous avez la braguette ouverte. Non, je plaisante, mais jetez un coup d’œil autour de vous : les glaciers sont en train de fondre et les forêts sont en train de brûler les unes après les autres. A part ça, sur Neptune, tout va bien ? ».

Blagues à part, qu’est-ce qui distingue les êtres humains des autres animaux ? Certaines personnes disent que c’est le rire. Nonobstant le fait qu’il n’y a pas de quoi se marrer tous les jours en ce moment, si ça se trouve les libellules ont un sens de l’humour génial, les ratons-laveurs font des spectacles de stand-up entre eux et les barracudas racontent des blagues hilarantes. Si on avait une technologie audio aussi puissante que celle des télescopes, peut-être même qu’on pourrait entendre les coronavirus ricaner comme des gamins farceurs. Et peut-être que les dinosaures se poilaient, eux aussi. Mais force est de constater que l’homme est arrogant au point de croire qu’il a le monopole du rire.

A mon humble avis, il y a quatre choses qui distinguent les êtres humains des autres animaux : l’arrogance, donc, une fascination irrépressible pour la technologie, l’intuition erronée voire la conviction qu’il faut chercher des solutions ailleurs que sur terre et qu’il existe peut-être une planète B et, par conséquent, la capacité à regarder ailleurs lorsque survient de manière incontestable un immense danger.

Quand j’ai démarré mon premier cours à l’Université avec mes étudiants en Master cette année, je n’ai rien dit. Au tableau j’ai écrit 30, 30 et 1. Ils m’ont regardé avec circonspection. Puis j’ai ajouté %, M et %. « Le Pakistan, cet été », ai-je dit, « 30% du territoire sous les eaux en raison des crues, 30 millions de personnes déplacées et qui ont tout perdu et le Pakistan représente 1% des émissions de CO2 à l’échelle mondiale ». J’aurais pu ajouter 325, pour dire 325 millions de Dollars dépensés dans le programme DART, dont personne ne contestera le fait qu’il ne procure aucun réconfort aux Pakistanais ou à des milliards d’êtres humains nécessiteux et qu’il n’apporte strictement rien à la lutte contre le changement climatique.

La critique est aisée, me direz-vous, mais j’ai une idée : puisque ça semble être à la mode, pourquoi ne pas tous ensemble, nous aussi, changer une trajectoire ? Mais pas n’importe laquelle : celle de l’économie mondialisée, prédatrice des ressources naturelles et des énergies fossiles, cette folle trajectoire consumériste, polluante et aveugle qui nous emmène droit à notre perte ? Ce ne serait pas pour faire progresser la science, mais pour le simple plaisir de sauver notre peau et celle des générations futures pendant qu’il est encore temps. Si on peut dévier la trajectoire d’un astéroïde à 11 millions de kilomètres, dévier cette trajectoire-là devrait être à notre portée.
 

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