[ZERO CHOMEUR] En Ille-et-Vilaine, ils font de l'emploi un droit

Publié le jeu 14/01/2021 - 07:19

Légende : Au total, et trois années après sa création, l'entreprise Tezea emploie 75 salariés qui peuvent tourner sur 20 activités de services et de production. Crédit Virginie Jourdan

Par Virginie Jourdan

Deux communes d’Ille-et-Vilaine ont pris les devants face à la menace d’une crise économique, et accueillent une entreprise d'un nouveau genre. Limitée dans son périmètre d'actions comme dans sa couverture géographique, Tezea, dernière-née de l'économie solidaire, réussit pourtant à repousser l'ombre du chômage. Et elle créé même de l'activité.

11 heures, dans l'épicerie de Saint-Ganton, en Ille-et-Vilaine. Une femme récupère des paquets livrés par un transporteur avant de repartir. « Habituellement, nous recevons une quinzaine de colis par jour. Mais avec le confinement, c'est plutôt 50 », explique Régine, l'une des tenancières. Depuis un an et demi, cette épicerie un brin spéciale a comblé le vide laissé par la dernière tentative de petit commerce alimentaire de la commune. Car dans cette bourgade de 415 habitants, située à une vingtaine de kilomètres de la première ville, la clientèle ne suffit pas à rentabiliser la vie d'un commerce.

 « Nous avons déjà créé une épicerie mobile en 2017. Quand le dernier commerçant a quitté ce local, des discussions ont commencé avec la mairie de Saint-Ganton (qui est propriétaire des murs, Ndlr). Un an plus tard, en juillet 2019, nous avons créé l'Epizea » , se souvient Noëlla, également tenancière de l'épicerie et salariée de Tezea, l'entreprise qui gère le lieu. Dépannage alimentaire, vente de produits locaux artisanaux et relais de colis, l'Epizea répond à des besoins qui ne sont pas couverts sur la commune. En revanche, pas de pain sur ses étals. À Saint-Ganton, c'est le restaurant qui se trouve en contrebas de la route qui a historiquement hérité du dépôt de boulange. « C'est un des principes de notre entreprise à but d'emploi. Nous ne devons pas être en concurrence avec les activités économiques qui existent déjà », résume Noëlla. En plus de l'épicerie, l'entreprise Tezea propose une vingtaine de services dont une recyclerie, une blanchisserie, des ateliers de petite menuiserie, et depuis cette année, une légumerie qui travaille pour des cantines scolaires.

Entreprise à but d'emploi

Créée en 2017, cette entreprise dite à « but d'emploi » et sous statut associatif, est directement issue de l'expérimentation Territoires zéro chômeur de longue durée débutée deux ans auparavant. Une initiative menée dans 10 territoires en France depuis 2016 et lancée par l'un des pères fondateurs de l'insertion par l'activité économique, Patrick Valentin, avec le soutien fort d'ATD-Quart Monde. Dans la perspective de la nouvelle loi d'expérimentation, votée en cette fin d'année, 130 autres projets d'entreprises à but d'emploi ont émergé partout en France. Une véritable bouffée d'oxygène pour les territoires touchés par le chômage comme celui de Pipriac et de Saint-Ganton. Coincé entre Rennes à l'Est et Nantes au Sud, ce secteur souffre d'une double peine. Le nombre d'emplois y est moins élevé que dans le reste du département, obligeant plus de 6000 salariés à se rendre vers les agglomérations pour y travailler. Quant au territoire, il est davantage perçu comme un eldorado résidentiel plutôt qu'une zone opportune pour entreprendre.

Autre difficulté, le manque de formations et de perspectives pour la jeunesse. Alors qu'en 2017, les personnes sans diplôme représentent 20 % des 15 à 64 ans en Ille-et-Vilaine, ce taux grimpe à 28 % pour Pipriac et 30 % pour Saint-Ganton. Une réalité qu'ont choisi de dépasser les créateurs de Tezea. À défaut de diplôme, c'est sur les compétences des habitants qu'a misé l'entreprise pour créer ses activités. Un pari gagnant pour Mickaël, 38 ans, aujourd'hui responsable d'un site de création bois et employé polyvalent. « Avant, je travaillais à 45 minutes de chez moi dans l'agroalimentaire. Avec le bébé et le travail de nuit en trois-huit, j'ai cru que j'allais devenir fou. J'ai arrêté. On m'a parlé de Tezea parce qu'on savait que je m'y connaissais en réparation de palettes en bois et que cela pouvait devenir une activité pour l'entreprise. J'ai donc lâché le chômage et l'intérim et j'ai signé un CDI à Tezea », relate ce dernier.

Pour travailler dans l'entreprise, il faut être sans emploi ou au chômage depuis un an et habiter depuis au moins 6 mois à Pipriac ou Saint-Ganton. « Tous les salariés sont embauchés en CDI et payés au Smic. C'est aussi eux qui choisissent leur temps de travail », précise Serge Marhic, directeur général de Tezea. Dans les faits, la grande majorité a opté pour un temps plein. Quant à leur âge, le plus jeune des 75 salariés a 23 ans, le plus vieux 62. « Àce jour, nous pouvons dire que toutes les personnes privées d'emploi sur les communes de Saint-Ganton et Pipriac, et qui sont à la fois volontaires et disponibles, ont aujourd'hui un emploi », poursuit Serge Marhic. Et les effets positifs se font sentir. D'après lui, des liens sociaux ont été tissés, l'entraide est favorisée et les besoins d'aide alimentaire régressent. Une véritable claque portée à la grande pauvreté. Et à la précarité. « L'idée de cette entreprise est d'abord de créer de l'emploi tout en proposant des services utiles à tous », rappelle Serge Marhic. À ce jour, les postes sont en partie financés avec une dotation de l'État fixée par décret et qui correspond aux dépenses économisées par le « non-chômage » (Lire l'encadré) et par le chiffre d'affaires de l'entreprise. Un renversement total de la logique économique et de la résorption du chômage.

Retour à une économie de projet

Pour l'économiste Pascal Glemain, spécialisé dans l'économie sociale et solidaire, l'approche de ces entreprises à but d'emploi sort de la logique actuelle de « résultats ». En répondant aux besoins de services ou de production des territoires, même s'ils sont non rentables, ces dernières renouent avec « une économie de projet, à la fois social, économique et environnemental ». De quoi en faire une solution pour le monde d'après la crise sanitaire ? Pour lui, c'est « pourquoi pas ». Mais « dans certaines zones seulement », là où, par exemple, entreprises classiques ou entreprises d'insertion par l'activité n'ont pas posé leurs jalons.

En Bretagne, la ville de Rennes veut, à son tour, tenter l'expérience dans l'un de ses trois quartiers prioritaires : Le Blosne. « Nous rencontrons encore les habitants pour connaître leurs compétences et nous sondons les entreprises, les associations, mais aussi l'hôpital, pour lister leurs besoins », relate Lucile Christien, chargée de coordonner le projet. À ce jour, son équipe a rencontré 40 personnes et 10 autres ont déjà commencé à dessiner les contours possibles de leur futur emploi. Au total, le nombre de volontaires potentiels est estimé entre 200 et 300. Mais pas de faux optimisme. Les décrets et le cahier des charges qui permettront au quartier de postuler à la seconde salve d'expérimentation prévue sur 5 ans, et dont la loi a été votée fin novembre, ne sont pas attendus avant mars 2021. « Àl'avenir, les services environnementaux qui ne sont pas rentables pourraient trouver leur modèle avec ces expérimentations », espère Lucile Christien. Autant de micro-activités non délocalisables en perspective.

Dans les ateliers de créations bois de Pipriac, Mickaël en savoure les effets. « Pour moi, il n'y a pas photo, assure-t-il. Dorénavant, je travaille à côté de chez moi, je ne vois pas le temps passer au travail et je peux même aller chercher mes enfants à l'école. Je suis bien dans ma vie ». Fin 2020, en France, les 10 entreprises à but d'emploi emploient 815 salariés. En 2021, si les 130 autres projets se concrétisent, plus d'un millier de nouveaux emplois pourraient être créés.

 

 

Les coûts méconnus du chômage

En plus de donner naissance aux entreprises à but d'emploi (EBE), l'expérimentation Territoires zéro chômeur de longue durée a mesuré les coûts du chômage. Entre les allocations, les prestations et les aides sociales, le coût direct de la privation d'emploi supporté par l'État est estimé entre 13 000 et 14 000 euros par an et par personne. De nombreux coûts indirects ne peuvent, en revanche, être chiffrés. Notamment le manque à gagner en impôts, les conséquences sur la santé et la spirale de surendettement. Pour y pallier, la loi prévoit que l'État accorde 17 800 euros par an et par employé aux EBE. Reste à l'entreprise de trouver le chiffre d'affaires complémentaire pour financer les salaires jusqu'au Smic et les autres charges comme les loyers, l'électricité, etc. Avec la nouvelle loi d'expérimentation, votée fin 2020, l'engagement financier d'une collectivité, pour l'heure volontaire, pourrait aussi devenir obligatoire.

Plus d’infos : www.tezea.fr

www.tzcld.fr/decouvrir-lexperimentation/les-territoires

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