[THEMA] Construire un monde « post-croissance »

Publié le ven 01/04/2022 - 12:00

Par Julien Dezécot

Alors que la plupart des gouvernements européens poursuivent l’idée d’une « croissance verte », d’autres voix s’élèvent et n’hésitent plus à parler de décroissance voire de post-croissance pour préparer le monde de l’après-pétrole.

Même HEC brise le tabou de la croissance… À l’occasion de la publication de la dernière étude internationale Prophil, dont l’institut de renom est partenaire, se tenait en novembre dernier la conférence « Entreprise & post-croissance » à Paris. Ce grand raout de décideurs réunissait la fine fleur d’entreprises et chercheurs, afin d’aborder le futur de l’entreprise en transition, dans un monde post-pétrole... Il est entendu que  « la croissance sans limite est une impasse fatale et qu’il est urgent de faire le deuil de cette idéologie mortifère qui réduit l’histoire humaine à son empreinte économique et technologique », souligne Geneviève Ferrone-Creuzet, co-fondatrice de Prophil. Et de poursuivre : « Encourager la décroissance est une attitude sensée et courageuse quand il s’agit de renoncer au consumérisme frénétique et absurde ».

Même son de cloche du côté de Jean-Marc Jancovici, président de The Shift Project, pour qui la décroissance, celle qui est caractérisée par une variation des flux physiques, a déjà commencé, faisant allusion à la raréfaction des ressources en cours. Et le polytechnicien d’appeler à « l'intégrer dans la réflexion pour éviter le pire », en écartant le concept de croissance verte(1) qu'il qualifie même de « mythe »

Et pour cause : une note datant de 2021 de l’Agence européenne pour l’environnement (AEE), l'une des institutions sur lesquelles s’appuie l’UE pour éclairer ses décisions, a jeté un pavé dans la mare en publiant une étude baptisée : « La croissance sans la croissance économique ». En substance, ce rapport précise à quel point découpler(1) notre développement de la consommation des ressources naturelles, par définition finies, apparaît très difficile. Un constat qui nécessite de questionner les voies alternatives à la croissance économique « classique », c’est-à-dire d’envisager la post-croissance ou la décroissance comme des options crédibles. Bref, un profond changement de paradigme…

« Objectif malavisé »

Outre ce retentissant désaveu d'une agence officielle de l'UE, les pourfendeurs de la croissance verte vont jusque dans les rangs des scientifiques. Jason Hickel et Giorgos Kallis, respectivement anthropologue à l’Université de Londres, et professeur à l’Institut de sciences et techniques de Barcelone, ont co-réalisé une étude intitulée « La croissance verte est-elle possible ? ». Publiée en 2019 dans la revue New Political Economy, elle déconstruit la croissance verte et tend à démontrer qu'elle ne peut pas fonctionner.
De fait, les deux scientifiques ont testé la robustesse des programmes pour la croissance verte, de la Banque mondiale, de l'OCDE  et du programme pour l'environnement de l'ONU. Résultat : « Il n’existe aucune preuve empirique que la baisse des émissions carbone puisse être obtenue à l’échelle mondiale dans un contexte de croissance économique continue. Nous concluons que la croissance verte est probablement un objectif malavisé et que les décideurs doivent rechercher des stratégies alternatives. » Fermez les bancs.

Tout aussi sévère sur la croissance verte, l'eurodéputée et économiste Aurore Lalucq estime que l’objectif est désormais la post-croissance. Pour elle, « Il ne faut pas continuer d’opposer la décroissance à la croissance verte, car sinon on continue de maintenir le PIB au cœur de nos réflexions. » Or, « cet indicateur n’est qu’un simple compte d’exploitation, explique-t-elle, qui n'intègre ni les questions environnementales, ni la dimension sociale. Ce n’est pas son but. » Autrement dit, « autant le compléter par des indicateurs physiques pour conduire les politiques publiques », visant à réduire les GES et minimiser l’impact sur la biodiversité (Lire interview p62). Une idée que défend aussi l’économiste Eloi Laurent, pour qui il convient également de placer ces indicateurs dits alternatifs directement dans nos lois de finance. Malgré toutes ces démonstrations à l’aune des présidentielles, la croissance - verdisée désormais- demeure l’alpha et l’oméga des décideurs...

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Notes de bas de page :

  1. D'après une définition de l'OCDE, « La croissance verte signifie promouvoir la croissance économique et le développement tout en veillant à ce que les actifs naturels continuent de fournir les ressources et services environnementaux dont dépend notre bien-être. »

  2. La notion de découplage revient à séparer la prospérité économique de la consommation de ressources et d’énergie. Elle repose ainsi sur la conviction qu’il est possible de continuer à croître tout en réduisant les prélèvements sur la planète.(Source, wikipédia )

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