[TELECOMS] À Lannion, l'après Nokia n'a pas encore de visage

Publié le mar 08/12/2020 - 07:02

Depuis juin, le destin de 402 salariés lannionnais de Nokia (ex-Alcatel Lucent) est suspendu aux décisions de la direction française, sur fond de stratégie décidée dans le siège finlandais.  Crédit V. Jourdan

Par Virginie Jourdan

À Lannion, l'annonce du désengagement de Nokia a provoqué une onde de choc. Après avoir annoncé 402 suppressions de postes, la direction a révisé sa copie la baisse. En novembre, un tiers des emplois est toujours sur la sellette. Un coup dur pour le secteur des télécoms qui résonne comme un appel à remodeler le paysage économique local.

Sous la bruine de l'hiver, des centaines de bustes de bois restent accrochés au grillage de Nokia comme autant de cibles humaines. Sur la façade de l'entreprise finlandaise, Nokia est barré au profit d'un chiffre. 402. C'est le nombre de poste que la société avait annoncé vouloir supprimer à Lannion d'ici la fin de l'année. Un chiffre révisé à la baisse fin octobre puisque la direction a finalement annoncé vouloir annuler 162 suppressions de postes. La création d'un nouveau pôle d'excellence sur la cybersécurité pourrait même voir le jour avec 97 nouveaux emplois à la clé. Une correction de trajectoire qui ne suffit pas à rassurer l'intersyndicale. La CFDT en tête. « Les parties prenantes, les personnes ayant travaillé au dossier doivent être remerciées pour leur implication, ministres et conseillers en tête. Mais ils ont travaillé seuls, sans consulter les organisations syndicales (…) sur les nécessaires contreparties. Bercy évoque les subsides du plan de relance. Combien ? Comment ? On ne sait pas. Et si Nokia ne respectait pas ces nouveaux engagements, que se passerait-il cette fois ? », regrettent ainsi de concert les responsables syndicaux Bernard Trémulot et Pascal Guihéneuf.

Dans les rangs des salariés, l'humeur oscille entre la nécessité de croire à un revirement de situation et la résignation. Comme pour Gaëlle, 29 ans, et Omar*, 23 ans, nouvellement embauchés, la stupeur de l'annonce des licenciements de cet été demeure. Pour eux, penser à de nouveaux projets professionnels est « encore trop tôt ». Inde, Pologne, Finlande, une partie du savoir-faire devrait quoi qu'il arrive être exporté. La mondialisation des compétences est devenue réalité. Et dans ce cas, le coût du travail dicte les choix. La chronique d'une fin annoncée pour les télécoms qui ont fait la prospérité de Lannion ? Cédric Seureau, adjoint aux finances à Lannion Tregor Communauté ne le croit pas. « Nous n'en sommes pas là, les télécoms ont amorcé une diversification », analyse t-il. Et de citer des entreprises florissantes dans le laser et les solutions numériques. Reste, selon lui, l'équation relative au maintien de centres de décisions en local.

Priorité au local

Dans les locaux de la mairie de Lannion, Michel Diverchy, nouvel élu à la transition écologique, partage le constat. Pour lui, il faut penser « une économie plus résiliente », notamment basée sur des circuits courts et co-impulsée avec les pouvoir publics. Parmi ses projets, doper la commande publique pour que les cuisines municipales passent de 75 % actuellement à 90 % d'aliments locaux et bio d'ici un an. Soit environ 20 000 euros annuels de plus injectés dans le tissu économique et agricole lannionnais. Seconde opportunité perçue, la rénovation thermique. D'ici 2030, pour se conformer à la loi Elan, la ville devra abaisser sa facture énergétique de 40 % dans ses locaux de plus de 1000 m2. « Et il ne suffira pas de mettre du double-vitrage ! », rapporte Michel Diverchy. Ambitieux, le chantier reste à préciser. Entreprises locales à solliciter, filière éco-responsable à structurer ? Les premiers jalons de cette nouvelle économie locale n'ont pas encore été posés.

Le frémissement est pourtant là. « Il y a de vrais besoins sur le territoire. Mobilité, alimentaire, services aux personnes âgées. Il faut que les services techniques de l'agglo se tournent davantage vers les porteurs de projets d'innovation sociale », soutient Frédéric Le Bras, coordinateur de l'Adess, le pôle local de l'économie sociale et solidaire. À l'instar du secteur alimentaire qui, malgré la perte de 500 emplois de chefs d'exploitation agricole en 10 ans, tient bon. Dans la conserverie de Bruno et Olivier Goarin, sur les hauts de la ville, l'heure est, par exemple, aux nouveaux projets. Depuis deux ans, ces frères ont troqué leur hôtel-restaurant en bord de mer pour un atelier artisanal de cuisine. Et depuis quelques mois ils transforment aussi les surplus d'une dizaine d'agriculteurs bio locaux. « Pour cette seule activité, nos volumes sont passés de 500 kilos à 4 tonnes en une année », explique Olivier. Compotées de courgettes, coulis de tomates ou bourguignon, l'ancien chef concocte des plats avec les produits que les agriculteurs et éleveurs vendent sur les marchés ou dans les magasins à la ferme. En 2021, la conserverie va créer un nouvel emploi. Une « goutte d'eau », jugent les frères Goarin. « Un début », répondent les tenants de l'économie locale.

*Certains salariés ne souhaitant pas être identifiés, l'ensemble des prénoms a été modifié.

Plus d’info :

Collectif local : www.facebook.com/pactepourlatransitioncollectif22300

 

À Lannion, Rob Hopkins plaide pour la conquête du local

Le 18 septembre à Lannion, l'initiateur du mouvement des villes en transition, Rob Hopkins est intervenu sur le thème de la transition, ici et maintenant. Son credo ? « Penser une économie locale vigoureuse » alliant les acteurs « privés et publics ». À ses côtés, Christophe Milon, dirigeant de Quanteo group, qui emploie 100 personnes à Lannion, a évoqué l'opportunité de changer de paradigme en passant d'un emploi centralisé entre quelques grands employeurs vers une myriade de petites ou moyennes entreprises. Myriam Vialat, engagée dans le collectif pour la transition de Perros-Guirrec, a quant à elle insisté sur la « démocratie renouvelée » via l'implication des citoyens dans les projets municipaux tout au long des mandatures locales. Enfin, Jean Rouxel, président de Tregor Energ'éthiques, a défendu l'accélération de « la transition écologique via le financement citoyen de petites centrales photovoltaïques ». À l'issue de la soirée, qui a rassemblé plus de 200 personnes, des rencontres participatives ont été évoquées pour « lancer des projets » et un groupe Facebook a été créé.

A voir et à revoir la table ronde sur Tébéo : www.tebeo.bzh/replay/131-sans-transition-ep-45-resilence-rob-hopkins/10832081

Garantissez l'indépendance rédactionnelle et financière de Sans transition !