[DOSSIER] AMAZON, l’ogre qui voulait conquérir le monde

Publié le jeu 12/11/2020 - 10:46

Photo : José Miguels/Pixabay

Par Guillaume Bernard

La crise de la Covid-19 a dopé la croissance d’Amazon et le « Monde d’après » pourrait bien être celui de la prolifération de ses entrepôts. D’autant plus avec les reconfinements un peu partout en Europe et ailleurs, qui promettent de booster encore son chiffre d’affaires. Une mauvaise nouvelle : car l’entreprise est nocive pour l’environnement et l’emploi, refuse de payer ses impôts et fait peu cas du droit du travail. Mais qu’est-ce qui pourrait donc stopper l’extension sans fin du géant Amazon ?

Le Vernet, Haute-Garonne, 2800 habitants, trois boulangeries, deux boucheries et, depuis peu, un Amazon Locker. Installé à proximité de la petite gare communale qui transporte les habitants vers leurs bureaux toulousains, ses grands casiers métalliques affichent clairement leur fonction : "Commandez sur Amazon, retirez vos colis ici". Plus besoin d’attendre le livreur chez soi, vos objets sont directement livrés dans ces lockers et le client est libre de les récupérer quand il le souhaite dans un délai de trois jours.

Apparus en France dès 2017, les lockers ont d’abord été installés dans 230 villes françaises et se sont multipliés peu à peu sur le territoire jusqu’à être implantés dans des communes d’à peine quelques milliers d’habitants. Au Vernet, la date d’installation du locker, juste après le confinement, est elle aussi lourde de sens. D’aucuns pourraient y voir le symbole d’une victoire : celle de la pieuvre Amazon qui, dopée par les effets de la crise du coronavirus, étend encore et toujours ses tentacules. De fait, avec le confinement et la réduction des déplacements, le commerce en ligne a explosé. Amazon, ténor en la matière, a bien-sûr eu sa part du gâteau.

Au deuxième trimestre 2020, le groupe affiche un chiffre d’affaires en hausse de 40 % à près de 89 milliards de dollars et un bénéfice net qui double à 5,2 milliards. « Nous avons créé plus de 175 000 emplois depuis le mois de mars » se félicite Jeff Bezos, patron du groupe, qui recrute des intérimaires et des CDD à tout va, dans un communiqué de juillet. Le géant américain a ainsi pu augmenter ses capacités de livraison de 160 % sur toute la planète pendant la crise sanitaire. En France, Amazon veut désormais doubler son nombre d’entrepôts d’ici 2021. Or cette extension n’est pas sans effet sur le commerce local. « En ce qui concerne l’emploi, à chiffre d’affaires équivalent, on sait qu’Amazon embauche 2,2 fois moins de salariés que les commerçants traditionnels », rappelle Laurence Boubet du conseil d’administration d’Attac, très impliquée dans la campagne contre l’impunité des multinationales lancée en 2019. Ainsi dans une étude de 2019, Mounir Mahjoubi, ex-secrétaire d’État au numérique, estimait qu’Amazon détruisait au total 7900 emplois en France.

Pourquoi freiner Amazon ?

À ceux qui s’inquiètent de cette montée en puissance, Amazon oppose généralement un argument de poids : l’entreprise aurait une réelle utilité sociale. Ses services permettent à des habitants de zones reculées d’accéder à tous types de biens sans avoir à faire des kilomètres. « C’est à nuancer, ce n’est qu’une toute petite part des ventes d’Amazon et des alternatives existent », rectifie Laurence Boubet. Si l’utilité sociale d’Amazon ne va pas de soi, sa nocivité écologique et économique, en revanche, n’est plus à démontrer. Ainsi, la multinationale est loin de payer la totalité de ses impôts.

Une étude de novembre 2019 publiée par Attac, le Droit au Logement, Les Amis de la Terre et l’Union syndicale Solidaire, rapporte qu’elle dissimule 57 % de son chiffre d’affaires réalisé en France. « Cela a bien sûr des impacts négatifs sur les recettes fiscales des États où est présent Amazon, mais cela renforce également la position prédominante du géant vis-à-vis de ses concurrents plus petits », précise l’étude. Cerise sur le gâteau : Amazon pollue énormément. Amazon Web Services, le service de cloud d’Amazon (service le plus rentable du géant) a émis 55,8 millions de tonnes de gaz à effet de serre en 2018, soit l’équivalent des émissions du Portugal.

De plus, les pratiques de la firme occasionnent un gaspillage considérable : 3 millions de produits neufs ont été détruits par Amazon en France en 2018 pour ne pas payer la TVA dont ils doivent s’acquitter en cas de don, explique le même rapport. Enfin : Amazon développe sa présence en France en employant des travailleurs précaires, notamment en intérim. À l’ouverture de son site de Saran en 2017, Amazon recherchait ainsi 2800 intérimaires pour 1650 CDI.

Qui peut stopper Amazon ?

Une fois ces données sous les yeux, on comprend vite l’urgence qu’il peut y avoir à mettre un coup d’arrêt à l’extension sans fin d’Amazon. Mais qui pourrait le faire ? L’exécutif français ne prend pas le problème à bras le corps, compose avec des prismes politiques qui divergent et ne dispose pas vraiment de levier d’action efficace. Certes, la nouvelle ministre de l’écologie, Barbara Pompili, se dit favorable à un moratoire sur la construction d’entrepôts de e-commerce, dont ceux d’Amazon, mais rien n’est encore joué. « Amazon fait un lobbying intense auprès des politiques pour couper court à toute tentative contraire à ses intérêts. C’est d’ailleurs souvent un ministre qui inaugure les nouveaux sites d’Amazon sur le territoire. À Boves (banlieue d’Amiens), où un nouveau centre a été ouvert en 2017, c’est même Emmanuel Macron qui s’en était chargé ! Ça en dit long sur la capacité d’Amazon à se faire entendre en haut lieu », commente Laurence Boubet d’Attac.

En revanche, le confinement a aussi montré qu’un autre pouvoir pouvait agir contre la multinationale : celui de ses salariés. En plein coeur de la crise sanitaire, alors que les entrepôts français d’Amazon recrutent à tout va, ils parviennent à faire imposer des mesures extrêmement restrictives à leur employeur. « Il faut se remettre dans l’ambiance de l’époque, presque toutes les entreprises avaient fermé, les gens ne sortaient plus de chez eux et nous on était entre 500 et 800 à travailler en même temps dans des entrepôts. Même si nous étions espacés on croisait des dizaines de personnes par jour. Il n’y avait pas assez de gel hydroalcoolique et pas de masques », rappelle Jean-François Bérot, délégué Sud-Commerce sur le site d’Amazon Saran. Alors que les droits de retrait et heures de grève se multiplient sur divers entrepôts de l’Hexagone, plusieurs syndicats décident de porter la question de la fermeture des entrepôts en justice... et gagnent. Le tribunal de Nanterre ordonne le 15 avril aux 6 entrepôts d’Amazon en France de cesser la livraison de produits non-essentiels.

« Dans ma zone, pas sur Amazon »

C’est une autre manière de combattre le géant Amazon qu’a choisie la région Occitanie à travers sa campagne de communication de 2020. À coup de slogans tels que "Nos emplettes sont nos emplois", "Dans ma zone, pas sur Amazon" et de visuels parodiant ceux des plus grandes multinationales du numérique (Amazon mais aussi Facebook), la collectivité a choisi de s’adresser directement au consommateur. Un travail complété par la mise en place d’un portail Internet rassemblant 3 750 producteurs et commerçants alimentaires du territoire qui livrent à domicile. Les effets de la campagne ne sont pour l’heure pas connus. Plutôt que de s’en prendre frontalement au géant, l’idée est désormais de se passer de lui et de s’appuyer sur la responsabilité du consommateur pour le faire. L’Histoire nous dira si ce sera suffisant.

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