Le colloque Bâtifrais a réuni des professionnels aux parcours et travaux singuliers qui proposaient des solutions durables pour des bâtiments résilients, en climat méditerranéen. Il était co-organisé cette année par trois associations : Envirobat BDM (Bâtiment durable méditerranéen), Envirobat Occitanie et Ville & aménagement durable (région Auvergne-Rhône-Alpes) et s'est tenu à Avignon, le 13 septembre.
Carin SMUTS, architecte d'Afrique du sud, était l'invitée d'honneur du colloque. Mondialement reconnue, elle a notamment été lauréate en 2008 du Prix International d'Architecture Durable et a beaucoup travaillé pour des communautés défavorisées.
Quel est votre parcours, votre façon de travailler ?
Depuis 35 ans, en Afrique du Sud, nous travaillons principalement pour des commandes publiques. La base de notre travail est la concertation et la participation des habitants, des entrepreneurs locaux, des artistes. Nous avons développé des méthodes spécifiques pour que les gens participent, créent ensemble, par exemple sur la mosaïque ou sur des maquettes en carton, et pour qu'ils puissent s'approprier leurs maisons. Des années plus tard, ils considèrent que ce sont eux qui ont créé leurs maisons, et non tel architecte ou la ville. Si les gens participent à la construction, ils s'approprient le projet et ils sont plus heureux. C'est ce que nous appelons « architecture of empowerment », c'est-à-dire qui implique et responsabilise. Dans un pays qui sort de l’apartheid, c'est très important. Cela améliore vraiment la cohésion sociale.
Pourquoi faites-vous intervenir des artistes dans vos projets ?
Quand nous avons résisté contre l'apartheid, cela passait déjà par l'expression artistique, donc cela fait partie d'une façon de travailler ensemble et de créer du lien entre architecture, littérature, art, peinture, mosaïques... Les artistes en général, poètes, plasticiens ou musiciens, stimulent la participation et aident les gens à prendre en mains leurs propres destins. C'est très important que le projet traduise et fasse vivre leurs rêves. De belles choses peintes apportent de la joie, de l'émerveillement et de la beauté, à faible coût. En effet, nos projets ne sont pas chers et sont construits avec les matériaux que nous trouvons sur place, parfois recyclés. Notre travail consiste à mettre en scène les rêves des gens et toutes ces énergies.
Concrètement, comment faites-vous participer ?
Nous prenons le temps de parler, de demander quels sont les problèmes, mais aussi les savoir-faire et nous créons ensemble en fonction du climat, des matériaux, en nous inspirant de chaque culture puisqu'en Afrique du Sud, on parle jusqu'à douze langues différentes. Par exemple, sur un projet de maisons avec un très petit budget, environ 1 000 euros, à la fin des années 1990, les habitants ont participé au projet et surtout au chantier. Nous leur avons bâti la base de la maison avec la salle de bains et la cuisine. Et eux, ensuite, construisaient le reste de la maison autour, avec les chambres, etc. Nous ne partons pas du haut vers le bas, avec un maître d'ouvrage ou un architecte qui décide de tout, mais du bas vers le haut.
Roger Célaire, ingénieur climatique, qui nous a servi d'interprète et connaît depuis de nombreuses années Carin Smuts, commente : « Carin est une architecte qui se comporte humblement, avec des motivations profondes d'humanité et de partage. Il y a de la poésie, de la joie, de l'envie et de l'optimisme dans son travail, même si parfois c'est difficile avec les politiques. Mon opinion, alors que j'ai travaillé avec des centaines d'architectes dans une quarantaine de pays dans le monde, est que ce sont presque toujours les femmes qui ont cette envie de faire participer les gens, d'écouter et de faire une architecture pour les gens et par les gens. »