[URGENCE CLIMATIQUE] Les petites îles de la Grande bleue vers la résilience

Publié le mar 17/03/2020 - 07:00

Par Marie-Noëlle Delfosse

Vulnérables face à l'épuisement des ressources, les petites îles peuvent être aussi à l'avant-garde de la résilience. Certaines se sont groupées en réseau ou s'échangent leurs bonnes pratiques. Elles refusent de n'être que le terrain de jeu des urbains et s'engagent pour préserver leur patrimoine. De quoi essaimer.

La beauté minérale des falaises blanches tombant dans le bleu, et le parc national des Calanques qui gère la partie terrestre des îles, propriétés du conservatoire du littoral, attirent au Frioul l'été, jusqu’à 4000 passagers par jour. La gestion des déchets produits par ces flots de touristes illustre bien l'intérêt du partage des bonnes pratiques. Car l'île du Frioul, comme toutes les îles de Marseille, est envahie de goélands. « Profitant du gaspillage alimentaire, explique Alain Mante directeur au parc des calanques, les oiseaux ramènent les déchets de la ville sur l'île. La biomasse s'y développe, favorable aux rats qui sont toxiques pour la faune endémique. » Le défi est donc d'éliminer les envahisseurs sans nuire au milieu. Pari gagné sur l’île du Grand Rouveau, dans l'archipel des Embiez (Var). « Durant 4 ans, se souvient Vincent Rivière, créateur de l'entreprise Agir écologie et missionné par la mairie de Six-fours, nous arrachions les griffes de sorcière. Les rats noirs sont friands de cette plante invasive, mais aussi des œufs des geckos et des puffins, espèces endémiques. Une fois la plante arrachée, les rats ont moins proliféré et on a pu les éradiquer ». L'île, devenue Pest free, est un modèle pour le réseau.

Produit traçable et sans impact durable

Retour au Frioul où les habitants essaient aussi de limiter leurs impacts sur l’environnement dans leurs activités économiques, souvent liées au tourisme. « À peine débarqués, les touristes s'empressent de rejoindre les criques proches du port et le soir ils dégustent mes poissons accommodés par les restaurants », s'amuse Aurélien Bergeron, aquaculteur bio dans l'anse de Pomègues. « Les plus gênants pour mon activité sont les plaisanciers qui mouillent juste en face et viennent nager par ici, plus ou moins bien intentionnés... » Ses loups (bars, NDLR) frétillent dans les 30 cages abritées par la digue de La Petite bouche. Élever des loups est pour ce marseillais une affaire de passion. « L'hiver, l'eau tombe à 11°C et pendant 6 mois les poissons ne grossissent pas - il leur faut 2,5 ans pour atteindre la taille minimale de vente. En revanche ils se musclent et prennent du goût. » Le label bio, obtenu en 2002, suppose des contraintes : acheter les alevins en Bretagne où vit le seul producteur bio de France ; ne pas dépasser dans les cages 15 kg de poissons au m3 d'eau, acheter des farines animales provenant pour 40% au moins d'espèces non menacées et être contrôlé 3 fois par an. « Je ne me "gave" pas mais je suis rentable, et je fournis au consommateur un produit traçable et sans impact durable sur l'environnement. » Ayant renoncé à faire grossir sa petite entreprise, et à la vente directe qui « prend trop de temps », il préfère s’investir dans la vie locale. Il participe notamment au comité de pilotage du parc des calanques qui a entrepris de mieux baliser les sentiers pour canaliser le tourisme et préserver ainsi les espèces endémiques terrestres.

Aux îles de Lérins : zéro poubelle et pédagogie

Bien plus que deux poumons verts s'offrant le dimanche aux Cannois qui viennent y pique-niquer, les îles de Lérins sont l'écrin d'un patrimoine historique et naturel étonnants. Détail important : Saint-Honorat est privée car elle appartient aux moines qui y vivent depuis le Vème siècle. « Cela change tout, note frère Vincent. Car possédant aussi les navettes maritimes, nous décidons des quotas de visiteurs. » L'île a de tout temps été ouverte aux touristes et les moines se sont adaptés au tourisme de masse. Pour limiter les déchets, l'an dernier, ils ont tenté l'opération « zéro poubelle ». 54 ont été démontées des chemins. « Bien informés par nos éco-jeunes qui sillonnaient les chemins, les passagers ont ramené leurs déchets aux containers de tri du port de Cannes. La quantité à évacuer a diminué mais aussi la population des goélands et des rats ! »  L’œil malicieux, frère Vincent ajoute : « Autre effet secondaire, les bateaux qui mouillaient près de Saint-Honorat ont migré vers Sainte-Marguerite et nous rendent moins de visites clandestines ! »

Saint-Honorat est suivie de près par les îles Lavezzi en Corse, qui subissent le même type de tourisme pique-nique (à la journée). « En saison, 5500 personnes viennent chaque jour au paradis et y laissent l'enfer, raille Sébastien Leccia à l'office de l'environnement de la Corse. Pour les motiver, on va tenter une campagne les incitant à ramener leurs déchets plus un, trouvé sur place ». L'île s'est aussi rapprochée de Porquerolles, qui a fait  réaliser une étude comparative de solutions pour leur problème commun : le fécalisme à ciel ouvert. Tout un programme.

À Sainte-Marguerite, tout en faisant découvrir les grandes allées forestières de l'île, propriété de la ville de Cannes, Marie Pourreyron, adjointe à l'environnement, avoue « suivre de très près » l'initiative de sa voisine. La mission étant ici l’accueil du public, les efforts portent surtout sur l'éducation à l'environnement de la jeunesse. Le gîte de 250 lits installé dans les anciennes casernes du Fort Royal et ouvert à l'année, y a obtenu l'écolabel européen Ethique étape. « 95% de l'île étant couverte de forêts, c'est l'ONF qui les gère», précise Zelda Aktas, qui coordonne l'action de la ville pour le label « île durable » (label Smilo, lire encadré). On replante plutôt des pins d'Alep que des Eucalyptus et les vélos sont interdits. Les chats que les citadins viennent abandonner sur l'île ont en partie réglé le problème des rats qui pullulent sur d'autres îles ! La présence d'un chantier naval en activité, de cabanons occupés par des cannois et d'une base nautique permanente, y maintient une vraie vie. D'ailleurs, les locaux veillent : 34 000 pétitionnaires ont bloqué la vente de ce centre sportif, évitant ainsi sans doute que l'île ne soit sacrifiée sur l'autel du tourisme.

 

*Un réseau pour avancer ensemble

Le réseau international Smilo regroupe 18 petites îles de moins de 150 km2, en majorité de Méditerranée, telles que Porquerolles, les îles du Frioul ou encore le Grand Rouveau. « En y entrant, explique Maxime Prodromides, créateur et animateur du réseau, elles s'engagent à obtenir un label validant leurs progrès sur la gestion des déchets, de l'eau, des énergies, du patrimoine et de la biodiversité. Ce qui leur ouvre droit à des financements publics.»

Ainsi par exemple dans l’archipel de Kerkennah, en Tunisie, où les familles vivent surtout de leur pêche, la pollution plastique est aggravée depuis 30 ans par l'usage de nasses de pêche en plastique, moins chères mais plus polluantes que les nasses traditionnelles en osier. L'action proposée par le réseau est triple : inciter les pêcheurs à ramener les déchets trouvés en mer, qui sont troqués contre du carburant, fabriquer des nasses en osier et transformer les îlots de déchets plastiques en gazole grâce à une machine développée par un laboratoire niçois. Le réseau devenant de plus en plus international, les écarts se creusent quant aux rapidités d'actions et aux freins politiques. Quant à l'engagement des habitants, tous les témoignages prouvent que lui seul rend l'action durable quand le financement public se retire.

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