[THÉMA] Les eaux souterraines au bord du gouffre

Publié le mer 19/07/2023 - 10:00

Par Quentin Zinzius

Alors que les eaux de surface se dégradent et se font rares, les eaux souterraines sont de plus en plus soumises aux pressions anthropiques. Et si elles constituent les principales réserves d’eau douce de notre planète, elles ne se renouvellent que très lentement. 

 

Si la pluie et les eaux de surface sont des composantes visibles du cycle de l’eau douce, il en est une partie — la plus importante — qui échappe totalement à la vision humaine : son cycle souterrain. Ainsi, les aquifères constituent environ 99 % des millions de kilomètres cubes d’eau douce (entre 11,1 et 15,9 millions) de notre planète. Des stocks constitués depuis des milliers, voire des millions, d’années pour certains. « La résilience des nappes et aquifères n’est pas la même que celle des eaux de surface, décrit Aurélien Dumont, hydrogéologue à l’Unesco. Leur temporalité est beaucoup plus longue, leur mécanisme de recharge et d’écoulement beaucoup plus complexe ». Ainsi, selon une étude parue dans la revue Nature Geoscience en novembre 2015, moins de 6% des nappes souterraines situées dans les deux premiers kilomètres de la croûte terrestre se renouvellent au cours d’une vie humaine. Et les récents changements climatiques ne les y aident pas ! Preuve en est, au cours du dernier hiver en France, 80 % des nappes phréatiques ne sont pas revenues à leur niveau normal. « Près de 35 % des nappes sont à des niveaux bas ou très bas, avec des cas extrêmement bas dans le Var et la plaine du Roussillon », a notamment précisé Violaine Bault, hydrogéologue au Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) lors d’une conférence de presse organisée le 13 avril dernier.

Une exploitation (déjà) intensive

Et si ces stocks souterrains échappent à notre vue, ils sont loin d’échapper à notre exploitation… « Aujourd’hui en France, nous pouvons considérer que l’ensemble des nappes phréatiques exploitables sont exploitées pour assurer nos besoins en eau », a assuré l’hydrogéologue du BRGM. Ainsi, quelque 5,7 milliards de m³ d’eau y sont pompés chaque année et majoritairement destinés, en France, à l’approvisionnement en eau potable (3,5 milliards de m³) et à l’irrigation agricole, dans des proportions différentes en fonction des régions. Pour la nappe de Beauce (1) au sud du bassin parisien, qui est une des nappes les plus importantes avec une capacité de 20 milliards de m³, les prélèvements atteignent en moyenne 100 millions de m³ par an pour l’eau potable, et 300 à 450 millions de m³ pour l’agriculture. Au total, c’est donc près de la moitié du renouvellement de la nappe, estimé à 900 millions de m3 par an, qui est prélevé pour les activités humaines. Même son de cloche du côté de Volvic, dans le Puy-de-Dôme, où Danone exploite un quart de la nappe pour la production d’eau en bouteille. Et si la nappe est concernée depuis début mai par des restrictions sur les prélèvements d’eau, ils ne concernent pas le géant de l’agroalimentaire, qui se targue même « d’un impact positif sur la société et l’environnement », sur son site internet. Des exploitations qui sont pourtant loin d’être anodines, car ces eaux souterraines jouent un rôle capital dans le cycle de l’eau. Notamment dans le maintien de l’étiage — c’est à dire le débit minimum — des cours d’eau en été, « assuré dans 80 % des cas par les nappes souterraines », atteste Aurélien Dumont.

Addition salée

Mais ce n’est qu’un des nombreux problèmes causés par l’exploitation des nappes phréatiques. Dans le cas des aquifères côtiers dont l’eau s’écoule en mer, leur exploitation est encore plus dramatique. « Sur la côte andalouse, la surexploitation des nappes pour l’irrigation et la production de fraises a fini par complètement déséquilibrer le cycle de l’eau : au lieu de se déverser dans la mer, c’est désormais la mer qui se déverse dans les nappes ! » Résultat, la concentration en sel des aquifères augmente, rendant leur eau impropre à la consommation… et à l’irrigation. Une situation déjà connue en France au niveau de la plaine du Roussillon, « où des plans de prélèvements et des barrages hydrauliques [barrages de Vinça et de l’Agly, NDLR] ont été mis en place de longue date pour limiter les risques d’intrusion d’eau salée en maintenant les étiages », confirme les experts du BRGM. Et le sel n’est pas le seul à s’engouffrer dans ces rivières souterraines. « Àl’heure actuelle, plus de 30 % des nappes en France ont leur qualité dégradée par des pollutions aux produits chimiques, notamment aux pesticides et nitrates issus des engrais. Pour le bassin Seine-Normandie et ses 18 millions d’habitants, les eaux souterraines ont majoritairement un état chimique médiocre à cause des pesticides et des nitrates », détaille Julien Louchard, expert formateur à l’Office international de l’eau (OiEau).

Pollutions souterraines

Des pollutions dues principalement à l’agriculture, dont les produits s’infiltrent en sous-sol et rejoignent, des années plus tard, les nappes phréatiques. « On détecte aujourd’hui dans les nappes des molécules qui ont été interdites à la vente depuis plusieurs années, comme le métolachlore et l'atrazine, herbicides interdits depuis 20 ans, ou le chlorothalonil[pesticide anti-fongique, NDLR] », témoigne l’expert de l'OiEau. Des substances qui engendrent des besoins supplémentaires pour rendre l’eau potable et qui affectent également le cycle de l’eau une fois revenues en surface ! « Avec le réchauffement climatique, la pluviométrie est bouleversée. Les pluies très fortes ruissellent en entrainant avec elles les pesticides et les engrais qui rejoignent alors les eaux de surfaces et les eaux souterraines. À l'inverse, la sécheresse concentre les polluants dans les eaux avec pour conséquence le développement important d’algues vertes, la perte de biodiversité et des conflits d'usages. La sécheresse, ce n'est pas juste un manque d'eau ! », pointe Julien Louchard. « Alors si nous ne réagissons pas vite, ce n’est pas seulement les milieux aquatiques ou les activités agricoles qui seront menacées, mais la souveraineté alimentaire mondiale », complète Aurélien Dumont.

1 - Source : Système d’information pour la gestion des eaux souterraines en Centre-Val de Loire.

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