[THÉMA] En surface, la course de l’eau s’accélère

Publié le ven 14/07/2023 - 10:00

Par Quentin Zinzius

En France, le cycle des eaux de surface n’est pas un long fleuve tranquille. Ces dix dernières années, près d’un cours d’eau sur deux a subi au moins un assec, et l’état de 60 % des zones humides s’est dégradé. Et pour cause : en plus du changement climatique, les cours d’eau et zones humides sont victimes d’une emprise humaine de plus en plus importante et qui menace l’équilibre hydrologique.

 

En France, le cycle des eaux de surface n’est pas un long fleuve tranquille. Ces dix dernières années, l’état de 60% de nos zones humides s’est dégradé et près d’un cours d’eau sur deux a subi au moins un assec — c’est-à-dire la disparition totale de l’eau dans son lit — selon les chiffres de l’Office français de la biodiversité (OFB). « Ce sont pourtant ces milieux qui permettent le stockage en profondeur, qui irriguaient autrefois l’agriculture, qui assurent un refuge à la biodiversité… », réagit Bernard Barraqué, directeur de recherche au Centre international de recherche sur l'environnement et le développement (CIRED). Une raréfaction de l’eau en surface qui trouve sa source dans deux principaux phénomènes : « le réchauffement climatique, et les interventions humaines sur les milieux », décrit Éric Sauquet, directeur de recherche à Inrae et spécialiste de lien entre évolution climatique et hydrologique. Côté changement climatique, son influence sur notre territoire se définit par deux grandes tendances : « dans le sud, une baisse globale des débits annuels ; et dans le nord, une forte variabilité entre les années qui empêche de tracer une tendance claire », détaille le spécialiste.

D’importants prélèvements

Mais outre le changement climatique, c’est avant tout les interventions humaines qui mettent ces milieux sous pression : chaque année en France, plus de 25 milliards de m3 d’eau sont prélevés directement dans ces milieux de surface. Soit environ 80% de nos prélèvements annuels. « Ensuite, environ 85% de ces prélèvements retournent dans les milieux,explique Bernard Barraqué, soit après un retraitement en station d’épuration, soit directement lorsqu’il s’agit de refroidir les centrales électriques ». Mais au total, ce sont près de 5 milliards de m3 d’eau qui ne sont jamais restitués aux milieux aquatiques et qui intègrent nos productions — alimentaires, industriels — ou s’évaporent. Et la France n’est pas la seule à prendre sa part ! En effet, de nombreux cours d’eau prennent leur source dans un pays voisin ou limitrophe. « Leur eau est donc soumise à nos prélèvements, mais aussi à ceux de nos voisins, ce qui affecte d’autant plus leur débit », analyse Aurélien Dumont, hydrogéologue à l’Unesco. Les débits des fleuves Rhin, Rhône et Garonne, qui constituent trois de nos principaux bassins versants (voir encadré) et qui alimentent plus de 50% de notre territoire, sont donc déjà réduits avant de traverser nos frontières.

Des obstacles à l’écoulement

« Mais l’eau est davantage source de rapprochements que de conflits(1) », analyse Fabienne Wateau, directrice de recherche au CNRS, spécialisée dans l’étude de la gestion de l’eau. Exemple à l’appui : fin septembre 2022, alors que l’Espagne devait encore fournir une partie de ses quotas d’eau au Portugal, le Portugal a accepté de les lui céder. « Le vrai danger, reprend la spécialiste, c’est d’empêcher l’eau douce de s’écouler jusqu’à la mer. Cela a déjà été fait, et c’est une catastrophe écologique ». Car si les barrages permettent de stocker de manière plus ou moins prolongée de l’eau en surface, ils constituent surtout d’importantes perturbations au cycle de l’eau. « Leur fonctionnement repose sur une recharge hivernale, pendant la fonte des neiges, décrit Éric Sauquet, or c’est précisément le moment où ces eaux alimentent normalement les zones humides, les fleuves, les nappes phréatiques ».

Stockages naturels

Pourtant, « des retenues d’eau, il y en toujours eu », rappelle Bernard Barraqué. Des retenues collinaires, des mares, des zones humides... « Ces zones de stockage se remplissaient naturellement sur tout le territoire, tout en étant formidables pour la biodiversité et des zones tampons contre les inondations ». Tout le contraire d’un barrage, en somme. Mais elles ont, elles aussi, été victimes d’une artificialisation galopante : au cours des années 60 à 90, près de la moitié de leurs surfaces ont disparu sur notre territoire, au profit de l’agriculture intensive et de l’urbanisation. Résultat aujourd’hui, « l’eau s’écoule plus vite vers la mer, constate Bernard Barraqué, avec très peu d’endroits naturels où stationner en surface ». Restaurer ces zones et les lits des cours d’eau est donc souhaitable, afin de « retrouver un fonctionnement plus naturel des milieux humides, qui nous rendrait de grands services (voir encadré) », complète Éric Sauquet.

(1) D. Mosse, The Rule of Water: Statecraft, Ecology and Collective Action in South India, Oxford University Press, 2003.

Fonctions et services des zones humides 

Services de régulation : lorsque les zones humides ne sont pas saturées, elles stockent rapidement les eaux de crues permettant ainsi de limiter leur intensité.

Services d’assainissement : elles jouent un rôle de filtre en retenant les matières en suspension, et sont des puits de carbone parmi les plus efficaces sur Terre.

Services d’approvisionnement : elles permettent de recharger les nappes phréatiques et de préserver ainsi la quantité de ressources en eau disponible ; notamment en cas d’épisodes de sécheresse.

Services culturels : elles favorisent l’essor économique d’un territoire grâce aux activités pédagogiques, de loisirs, de tourisme nature qui s’y développent.


Bassin versant, quésaco ?

Un bassin versant est une portion d'espace terrestre à l’intérieur de laquelle tous les écoulements, en surface ou en profondeur, se dirigent vers le même exutoire (cours d’eau, lac ou mer).

Les bassins versants en France.  © OIEAU

Les bassins versants en France. © OIEAU


Mer d’Aral 

La mer d’Aral est un lac d’eau salé situé entre le Kazakhstan et l’Ouzbékistan ; autrefois l’une des plus grandes du monde. Mais dans les années 60, ses deux principaux affluents sont détournés pour produire du coton et du riz. Aujourd’hui, 75% de la surface de l’étendue d’eau a disparu, entrainant la disparition de la plupart des espèces endémiques, la concentration en sel et en pesticides dans l’eau et les sols et une forte hausse du taux de mortalité humaine et infantile. Cet assèchement est une des plus importantes catastrophes environnementales du XXe siècle.

En quelques décennies, la mer d’Aral a presque disparu : à gauche en 1989 et à droite en 2014.© NASA

En quelques décennies, la mer d’Aral a presque disparu : à gauche en 1989 et à droite en 2014.© NASA

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