[THEMA] « DES VILLES-FORÊTS BIENVEILLANTES ! »

Publié le ven 29/07/2022 - 09:00

Propos recueillis par Julien Dezécot

Face au changement climatique et à la pollution grandissante, de plus en plus de villes ont décidé de planter des milliers d’arbres, pour tenter de les rendre plus vivables. Certaines imaginent aller plus loin en créant des villes-forêts. Entretien avec Ernst Zürcher, ingénieur forestier et chercheur en sciences du bois à Berne, qui accompagne les municipalités dans leur projet.

À quoi ressemble une ville - forêt ?
Une ville – forêt, c’est d’abord la vision d’une cité qui pense à long terme. La ville disparaît sous la canopée des arbres, disséminés dans la ville. Une ville-forêt pousse vers le haut à l’image des arbres. Elle tisse des habitats denses qui montent et se végétalisent, en gérant l’eau de manière intelligente.
Cette multitude végétale s’adosse au concept de « villes douces » (sweet cities), cher à Edgar Morin, qui invite la nature à revenir dans les villes, pour créer des cordons boisés. Ces derniers constituent de véritables corridors de biodiversité, favorables aux pollinisateurs, comme les abeilles et les papillons. Se déplaçant de plante en plante sur de courtes distances, ils sont de très bons indicateurs de la réussite d’une continuité écologique au sein d’une ville. De cette manière, un tissu vivant se remet à pulser dans les cités.
 

Quels en sont les bénéfices collectifs ?
Les bénéfices partagés par les arbres sont nombreux. Face au changement climatique et à la hausse des températures que nous vivons, ils nous permettent à la fois de rafraîchir les villes et de créer de l’humidité essentielle. De surcroît, s’ils sont bien disséminés et associés à d’autres espèces végétales pertinentes, les arbres sont également d’importants vecteurs de biodiversité. Grâce à eux, la nature revient en ville. Ils enrichissent également les sols, grâce aux nombreux échanges racinaires qu’ils suscitent, agissant de manière positive sur la santé des citoyens qui les croisent au quotidien. Ces forêts vont venir filtrer la qualité de l’air, gérer les îlots de chaleur et la pollution. En somme, il n’y a que des bénéfices à remettre l’arbre dans nos villes et dans nos vies, pour imaginer des cités plus résilientes !

Comment s’y prend-on pour créer une telle cité ?
La première étape consiste à recenser et protéger au maximum les vieux arbres. Autrement dit, cultiver l’existant. J’observe que trop de villes font encore le choix de couper les spécimens anciens, pour les remplacer par des jeunes soi-disant plus résistants au changement climatique. Or ces vieux arbres, lorsqu’ils présentent encore des feuilles, offrent une prestation climatique bien supérieure, puisque celle-ci est intimement liée à leur surface foliaire. À nous de protéger ces précieux végétaux, première pierre d’une possible ville-forêt !
Second volet après avoir posé la brique des arbres anciens : créer l’indispensable continuité écologique. Celle-ci se fera grâce à l’interconnexion entre les arbres, favorisant l’entraide entre eux. Cette dynamique s’illustre par des bandes enherbées jonchées d’arbres, qui se succèdent et se connectent tant par leurs cimes que par les racines. Ce continuum facilite leurs échanges. Objectif : créer un véritable réseau de biodiversité, aussi fonctionnel que le réseau d’approvisionnement en eau ou en gaz de nos villes ! En 5 à 10 ans, nous pouvons radicalement transformer les cités, en remettant l’arbre en leur cœur.

Quels arbres choisir selon les territoires ?
Pour établir un choix éclairé, il revient aux gestionnaires de s’appuyer en priorité sur les essences locales. Les collectivités font de plus en plus le choix d’espèces résistantes au changement climatique, comme l’érable ou le tilleul. Il est important de varier les essences, pour ne pas sélectionner uniquement des platanes ou des micocouliers, comme on le voit trop souvent. Car le risque de maladies devient trop important. Des jeunes chercheurs allemands viennent d’ailleurs d’étudier la résistance à la chaleur au sein d’espèces comme le tilleul, le charme ou l’érable. Ils ont remarqué que chaque famille d’arbres présente des essences plutôt résistantes au changement climatique. Mais que leur évapotranspiration, autrement dit leur pouvoir rafraîchissant associé, est amoindri. En conséquence, il convient de rechercher l’équilibre entre plusieurs espèces locales, pour créer une mixité d’arbres favorable pour chaque ville.

Que pensez-vous du projet chinois de ville-forêt de Liouzhou dans le sud du pays : 4000 arbres, 1 million de plantes, une capacité d’accueil de 30 000 personnes, avec comme objectif l’amélioration la qualité de l’air des habitants ?
Créer une ville forêt de manière artificielle -en un temps record- n’a pas de sens selon moi, même si j’entends l’intérêt de filtrer la qualité de l’air des villes souvent trop peuplées. Si les arbres plantés n’ont pas de racines suffisantes ni d’ancrage local, le moindre aléa climatique risque d’avoir des conséquences radicales sur de telles cités et leur capacité de résilience sera affaiblie durablement. Autre défi que devront relever ces villes-forêts, la question de l’approvisionnement en eau pour alimenter tous ces végétaux, en plus des nombreux habitants. Plus les arbres pourront puiser loin dans le sous-sol, plus ils pourront avoir accès à cette précieuse ressource. Là encore, les vieux arbres seront nos alliés.
 

Quelle solution proposez-vous pour l’approvisionnement en eau ?
Les toits de nos maisons sont les meilleurs systèmes de récupération d’eau. On peut stocker chaque année 1m3 d’eau par m² de toit. C’est un potentiel énorme. Imaginons que les communes créent des citernes souterraines, pour conserver cette eau fraîche à l’abri de la lumière, comme de l’eau de source. Dans un futur où les voitures auraient moins de place dans nos villes, au détriment de transports collectifs efficaces, les nombreux parkings souterrains devenus disponibles, pourraient permettre de stocker l’eau, afin d’alimenter ces forêts urbaines.
Les villes qui réfléchissent à de tels scénarios envisagent aussi d’enherber les toits plats des bâtiments. Tout comme les façades des immeubles, qui pourraient être recouvertes de verdure, à l’image des arbres là encore.
La contribution de la ville pourrait être d’approvisionner gratuitement l’eau récupérée, pour permettre un accès à tous pour le jardin ou les balcons. Ces villes bienveillantes envers la nature pourraient inviter leurs citoyens, dont les plus jeunes, à venir planter un arbre de leur choix dans les parcs, en lien avec les écoles. Une boucle vertueuse participative et inclusive !

 

À lire : Les arbres entre visible et invisible, Ernst Zurcher, Actes Sud 2016 

Planter un arbre, Ernst Zurcher, Actes sud, 2021

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