[SPIRULINE] : Un « super-aliment » artisanal cultivé en Ardèche

Publié le mar 19/01/2021 - 07:19

Crédit photo : Pauline De Deus. Il y a deux ans, Pascal et Evelyne Possety ont changé de vie. Ils ont quitté Lyon et sont devenus spiruliniers dans les monts d'Ardèche.

Par Pauline De Deus

C’est une culture nouvelle, faite à partir de l’une des plus anciennes formes de vie de la planète... En France, la spiruline est de plus en plus prisée et les industries chinoises et américaines arrosent le marché. Mais une production à contre-courant s'impose progressivement. Dans la montagne ardéchoise, découverte de la spiruline locale et paysanne d'Evelyne et Pascal Possety.

 

Un paysage à couper le souffle. Une interminable route étroite et escarpée. Puis soudain, perchée à flanc de montagne, une serre apparaît. C'est là, dans un hameau d'une dizaine d'âmes, à Saint-Jeure-d'Andaure, en Ardèche, qu’Évelyne et Pascal Possety cultivent leur spiruline. Loin de toute source de pollution, les néo-paysans travaillent d'arrache-pied pour produire environ 500 kg de cette micro-algue chaque année. Une quantité somme toute modérée, mais qui leur permet de vivre, « sans aucune aide », précise Pascal. Et surtout de s'assurer de la qualité de leur culture. Il y a deux ans, ces amoureux de la nature ont réalisé leur rêve : ils ont quitté Lyon pour devenir spiruliniers en Ardèche.

Le micro-organisme se multiplie à l'infini

En cet après-midi d'octobre, le hameau de Mazabrard est animé. À l'entrée de la ferme, les curieux venus des villages alentours se bousculent. La quinzaine de visiteurs s'installent sur des bancs, prêts à découvrir l'histoire de l'ancestrale spiruline. Vieille de 3,5 milliards d'années, « cette micro-algue a été découverte par les chercheurs occidentaux dans les années 50 », présente Pascal Possety. Vingt ans plus tard, l'industrie a commencé à inonder le marché. « Aujourd'hui, en France, on en consomme 250 tonnes par an »,souligne le paysan. 80 % de cette spiruline est importée et produite de manière industrielle. Le reste est cultivé par les quelque 200 paysans spiruliniers installés sur le territoire.

Face à un auditoire attentif, Pascal met en garde : « Durant sa croissance, la spiruline absorbe les métaux lourds de son environnement, donc le lieu de production est important. »Pour illustrer ses propos, il projette une image. « Là, vous avez 50 hectares de bassin à ciel ouvert, c'est à Hawaï. Et derrière, on voit les pistes de l'aéroport international. »L'exemple fait mouche. Les chuchotements fusent. « Je ne vous dis pas que ces gens-là vous empoisonnent, pondère-il. Mais c'est l'une des différences qu'il peut y avoir entre une production paysanne locale et une production industrielle importée... »

Et le bio dans tout ça ? Pas vraiment mieux. Sans cahier des charges spécifique, les spiruliniers français ne peuvent avoir accès au label. Le changement est pour bientôt, mais quand bien même... « La seule différence, ça sera le logo sur le paquet », prévient Pascal. Car pour la spiruline, pas besoin de pesticide de synthèse. Dans une eau douce assez alcaline (PH10), à une température de 25 à 40 degrés (37 pour un développement optimal), la magie opère. Le micro-organisme se multiplie, à l'infini.

Une culture peu gourmande en eau

À la Spiruline des monts d'Ardèche, on est loin de la production massive d'Hawaï. Trois bassins, moins de 700 m² au total... Une ferme à taille humaine, alimentée en eau de source. Vers cinq heures du matin, la lumière de la serre est la seule lueur de la montagne. Evelyne et Pascal s'activent avant que le soleil ne fasse monter la température. Car ici, pas de chauffage. Seule l'énergie solaire permet à l'eau des bassins de se réchauffer. Et en hiver, la spiruline hiberne.
Dans de larges caisses blanches, une épaisse masse verte foncée s'accumule. L'eau filtrée retourne transparente aux bassins. « Avec nos trois bassins de dix centimètres de profondeur, on ne consomme que 250 m3 d'eau par an : l'équivalent d'une famille de quatre personnes ! ».Pascal racle machinalement la table de filtration avec une pelle. L'épaisse purée coule dans un seau, avant d'être transportée dans la pièce fermée derrière lui.
C'est le laboratoire. Ici, Evelyne met en forme l'algue récoltée. Une fois pressée, la bactérie devient une sorte de pâte : de la spiruline fraîche. « On peut la manger comme ça », indique la paysanne en attrapant un morceau. « Mais comme c'est un aliment très riche en protéines, il ne se conserve pas plus de 48 heures. »Tout en parlant, la spirulinière s'attelle à la déshydratation. Des spaghettis verts sortent du poussoir à saucisse. Quelques heures dans un séchoir à 42 degrés et le tour est joué.

L'aliment du futur

« C'est un aliment naturel qui ne nécessite aucune transformation », insiste Pascal lors de sa présentation. Dans les régions du monde où l'on souffre de la faim, c'est l'une des seules denrées qui permet d'éviter la malnutrition. « Elle contient tous les nutriments dont le corps a besoin sauf trois : la vitamine C, les oméga-3 et l'iode », précise le spirulinier. « Et, puisqu'elle n'a pas de paroi cellulosique, elle est très facilement assimilable. »Avec une alimentation variée, seuls trois grammes par jour suffisent à jouer un rôle de « fortifiant » et à détoxifier l'organisme.

Pendant ces explications, dans le laboratoire, Evelyne et les enfants des visiteurs confectionnent quelques mets. Barres de céréales, vérines, ou simples tartines... Les idées de recette ne manquent pas. Et c'est justement ce que la productrice s'acharne à démontrer : la spiruline est un véritable aliment qui s'intègre facilement aux menus du quotidien : « il suffit d'essayer ! »À l'heure de la dégustation, chacun pioche un morceau, curieux de découvrir cette nouvelle saveur. « On retrouve un peu de végétal », commente Rémy. « Comme une saveur de champignon ».

Un peu plus loin, Léanne profite des barres de céréales cuisinées avec sa sœur pendant que ses parents achètent quelques sachets de spiruline. Si toute la famille en profitera, c'est surtout pour l’aînée qu'ils sont là aujourd'hui. À 14 ans, Ambre ne mange plus de viande depuis quelques mois. Avec la spiruline, ils espèrent trouver de quoi combler les manques que pourrait causer un régime végétarien. L'idée est bonne, à condition de continuer à consommer d'autres aliments d'origine animale. Car la vitamine B12 est bien présente dans l'algue mais inactive.

Reste que la spiruline est une puissante source de protéines, de vitamines, mais aussi de fer, de minéraux et d'oligo-éléments. Sa concentration en nutriments et ses avantages écologiques (forte capacité d'absorption du CO2 et faibles besoins en énergie) en font l'un des aliments les plus adaptés aux défis du futur. À condition, bien sûr, de la produire localement, en respectant à la fois le produit, l'environnement... Et le paysan qui la cultive !

 

Une fédération pour soutenir les petits spiruliniers

Ces dernières années, les paysans spiruliniers sont de plus en plus nombreux : environ 10 % de plus chaque année, d'après la fédération des spiruliniers de France. Cette dernière a d'ailleurs largement participé à la diffusion de ce savoir-faire agricole. Depuis sa création, en 2009, elle aide les producteurs à se former, à s'installer et à développer leur activité. En échange, les spiruliniers s'engagent à respecter les valeurs de la fédération : un espace de production restreint, des ventes en local et une complète transparence. L'objectif ? Soutenir une filière paysanne, de proximité, et une alimentation saine et durable. Jusqu'à là, leur stratégie a été efficace puisque la France est le pays d'Europe qui compte le plus de spiruliniers (plus de 200) et les exploitations industrielles sont minoritaires.

 

Plus d'info :

Le site de la fédération des spiruliniers de France regroupe de nombreuses informations sur la spiruline, les producteurs en France ou encore l'actualité de cette culture : www.spiruliniersdefrance.fr

L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail propose des recommandations pour la consommation de spiruline : www.anses.fr

Un point sur les études scientifiques faites sur la spiruline : www.antenna.ch/fr/activites/nutrition/etudes-cliniques

Texte sur la spiruline rédigé par le docteur Jean Dupire : www.natesis.com

Garantissez l'indépendance rédactionnelle et financière de Sans transition !