[PROVENCE] Le bois raméal fragmenté pour une agriculture durable

Publié le dim 12/07/2020 - 13:00

Par Hélène Saveuse

Souvent décrié pour l’utilisation de pesticides et autres produits issus de la chimie visant à augmenter les rendements, le secteur agricole pourrait pourtant participer à la diminution des gaz à effet de serre. L’une des pistes envisagées : l’intégration de bois raméal fragmenté dans les terres agricoles. Une pratique bénéfique tant pour le sol que pour l’agriculteur, ou encore pour atteindre de la neutralité carbone, l’un des futurs engagements de la France lors de la COP 21. Explications.

Depuis 15 ans, l’agriculteur Gérard Daumas, installé dans les Alpes-de-Haute-Provence, intègre à la terre des jeunes rameaux grossièrement broyés pour fertiliser le sol. Une pratique inspirée de l’humus forestier qui présente l’avantage de stocker le carbone dans la terre et d’en compenser en partie les émissions issues de l’activité humaine.

Dans sa ferme du Mas de l’Aurore, Gérard Daumas, céréalier et maraîcher bio, cultive des légumes comme des salades, mais aussi des lentilles et des pois chiches. Si à première vue rien ne distingue son exploitation de celle des autres, c’est en plantant un coup de bêche dans le sol que l’on mesure toute la différence.

Entre une à deux fois par semaine, il actionne le broyeur qui se trouve à l’arrière de sa maison. À chaque session, l’agriculteur installé en bio depuis 1987 sur la plaine de Mane, dans les Alpes-de-Haute-Provence, broie des branches et des rameaux d’arbres qu’il répand sur les 13 hectares de son exploitation. « La technique existe depuis longtemps au Canada », explique Gérard Daumas. Elle était pourtant tombée en désuétude, malgré des résultats au rendez-vous. « Quand je me suis installé le sol était difficile. Il était totalement dépourvu de matières organiques. Aujourd’hui, les vers de terre sont extrêmement nombreux. Les bonnes bactéries, les champignons se développent et permettent au sol d’être vivant ». L’intérêt ? « Ces matières organiques labiles sont un peu le carburant de la vie du sol. Plus elles sont nombreuses, plus le sol sera fertile. Ces rameaux riches en chlorophylle apportent de l’azote et des matières carbonées nécessaires à la fertilité du sol. » Un autre avantage, financier cette fois-ci, complète le tableau : « Avec cette technique, hormis l’investissement d’un broyeur et son entretien pour lequel il faut compter en moyenne entre 1800 à 2000 euros par an, l’apport de bois raméal fragmenté ne me coûte rien ». Livré à domicile par la déchetterie de la communauté de communes voisine qui en profite pour valoriser ses déchets végétaux localement, Gérard Daumas dispose d’une manne de 7 000m3 de branches, toutes essences confondues, pour fabriquer son broyat. Chaque année, il en dépose 200 m3 par hectare sur ses terres.

Sol plus meuble

Au départ, l’agriculteur a dû faire preuve de patience : « J’ai commencé, pour essayer, avec un broyeur de 3m3, puis j’ai avancé à tâtons. J’ai d’abord essayé plusieurs techniques sur une zone test. Le couvert trop grossier asphyxiait le sol mais l’incorporation du bois raméal fragmenté dilué, mélangé dans la terre, fonctionnait bien sur mon terrain. C’est ce que je fais toujours aujourd’hui. » Avec son tracteur, Gérard Daumas creuse un labour de 20 cm de profondeur et il enfouit son broyat à 10/15 cm. « Il faut commencer par de petites quantités », conseille-t-il. Et de poursuivre : « 60m3/hectare, ça suffit largement au début ».

Depuis qu’il utilise cette technique, l’agriculteur bio a diminué par deux sa consommation d’eau mais aussi de carburant. « Le sol est plus meuble, le tracteur force moins. C’est au bout de 5 ans que j’ai vraiment vu la différence », assure-t-il. Et l’atteinte de la neutralité carbone dans tout ça ? « Pour être honnête, j’ai utilisé cette technique, héritée de mon père, pour économiser l’eau, si précieuse en Provence sèche » confie-t-il. Outre l’eau, cette technique expérimentée au Québec dans les années 70 pourrait bien être une alternative crédible pour permettre aux agriculteurs d’avoir des terres fertiles, et ainsi d’obtenir un bon rendement de production. Une technique intéressante, également, pour permettre à la France d’atteindre la neutralité carbone.

Si l’agriculteur souhaite que les bonnes bactéries se développent, les rameaux ne doivent pas être trop petits, d’après Gérard Daumas. Crédit :  L.-N.S

Stocker du carbone

Dans une étude commandée par l’Ademe et le ministère de l’Agriculture et de l’alimentation, l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) note que « l’enrichissement des sols en matière organique, essentiellement en grandes cultures, est un objectif important pour améliorer différentes composantes de leur fertilité » et qu’« en mettant en œuvre l’ensemble des pratiques identifiées sur la totalité des surfaces où cela est techniquement faisable, il est possible d’atteindre un stockage additionnel de +3.3 pour mille pour les seules surfaces agricoles ». En augmentant l’apport en carbone dans les sols agricoles, via des déchets végétaux notamment, à hauteur de 0,4% ou de 4/1000, la France pourrait atteindre la neutralité carbone. D’après une étude sur le cycle du carbone du CNRS : « Aujourd’hui, les activités humaines seraient responsables d’un rejet d’environ 7 Gigatonne de CO2 par an dans l’atmosphère. L’océan recyclerait 2 Gigatonne par dissolution tandis que la biosphère photosynthétique en utilise 2 GT. Les 3 Gigatonne restants contribuent chaque année à l’augmentation des taux de CO2 atmosphérique, soit une évolution de 0.4% par an. »

En bref, si les agriculteurs y trouvent un intérêt pour leurs cultures et que cette pratique participe à l’atteinte de la neutralité carbone, n’est-elle pas une partie de la solution pour réduire l’impact de l’activité humaine ?  « Oui et non », tempère Didier Jammes, responsable du pôle Agro-environnement Energie Climat pour l’association Bio de Provence, qui fédère en région Provence-Alpes-Côte d’azur les agriculteurs bio. La limite de cette pratique réside dans la qualité du sol selon Didier Jammes qui en fait l’expérience : « Nous avons organisé une visite sur deux fermes distinctes à l’automne 2019, dans le cadre de du projet national de Mobilisation collective pour le développement rural (MCDR). Nous nous sommes rendus dans la ferme de Gérard Daumas, puis dans une autre exploitation située à Forcalquier, à seulement quelques kilomètres de la première. Malgré une situation géographique similaire, sur la seconde ferme, il paraît difficile d’utiliser la pratique du BRF : l’agriculteur qui vient de s’installer va devoir travailler avec une terre bénéficiant de seulement 1,76% de matières organiques, alors que chez Gérard Daumas, nous atteignons les 10 % sur certaines parcelles sous serre ».  Concrètement, le risque de rajouter du BRF serait de détruire la structure du sol. « Si la démarche n’est pas bien accompagnée et que le sol réagit mal ou que le terrain n’est pas adapté à cette pratique, les effets seront dévastateurs. Cette pratique ne peut pas être utilisée à la légère » argumente le spécialiste.

Alors comment savoir si le sol le permet ? « Il n’y a pas de sol type, ni d’exposition préférentielle. Globalement, l’intégration de BRF fonctionne plutôt sur les sols pauvres mais il n’y a pas de dogme » explique Karim Riman, agro écologue. Et Didier Jammes d’ajouter : « Le stockage de carbone en "grande culture" (ndlr ; les céréales, les oléagineux, et les protéagineux) ne se limite pas à l’utilisation du BRF, il peut aussi être envisagé en fonction de la qualité du sol, la technique du couvert végétal qui évite entre autre l’érosion, l’allongement de prairie temporaire qui repose le sol, l’agroforesterie, la plantation de haie ou encore l’apport de biomasse exogène via le compost ». Autant de possibilités qu’il convient d’explorer.

En 15 ans, Gérard Daumas a réussi à revitaliser les 13 hectares de son exploitation. Ce dernier prône désormais le développement d’une agriculture biologique qui respecterait davantage les sols. Il envisage également de « travailler collectivement avec le BRF », en partageant notamment son broyeur avec d’autres agriculteurs.

 

Plus d'infos

www.bio-provence.org
www.inrae.fr/actualites/stocker-4-1000-carbone-sols-potentiel-france
www.jediagnostiquemaferme.com/bois-rameal-fragmente-brf

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