Nucléaire à Narbonne : des riverains en quête de transparence

Publié le mer 30/01/2019 - 18:45

Quasiment tout l’uranium naturel destiné à l’alimentation des centrales nucléaires françaises passe par le site Orano (ex-Areva) de Malvesi, à Narbonne. Cette matière y reçoit un premier traitement générant des effluents radioactifs, stockés dans de grands bassins. L’industriel a pour projet de construire une nouvelle installation de traitement de ces déchets par la chaleur. Ses éventuels rejets inquiètent riverains et associations. D’autant que le dispositif doit être couplé par un atelier destiné au recyclage de l’uranium appauvri...

Par François Delotte

 


Site nucléaire de Malvési : quelles gestion des risques ?

 

Risques de débordement des bassins ou sont stockés des effluents nitratés radioactifs, traitement par la chaleur de déchets, recyclage d’uranium appauvri, explosion d’un fût... Le site Orano (ex-Areva) de Malvési, à Narbonne, préoccupe riverains, associations et militants antinucléaires.

Vue de l’oppidum gaulois de la colline de Montlaurès, le site Orano (ex-Areva) de Malvési ressemble à des marais salants. Cependant, dans ces vastes bassins bleus, point de sel. Mais des résidus issus du traitement de l’uranium. Selon l’entreprise, 25 % de l’uranium mondial et la majeure partie de la matière destinée à alimenter les centrales nucléaires françaises passe par cette usine située à moins de 3 km, à vol d’oiseau, du centre-ville de Narbonne.

Explosion d’un fût

Un événement récent a accentué l’inquiétude des riverains et des associations à propos d’un éventuel risque nucléaire : l’explosion d’un fût, le 19 septembre 2018, entreposé sur le site, occasionnant deux blessés légers. « Nous ne pouvons commenter les faits en raison de l’enquête en cours, explique Cécile Lemierre, responsable communication pour le site Orano Malvesi. L’explosion a eu lieu durant une opération menée sur un fût de matière historique. » C’est-à-dire présente depuis longtemps sur le site. « Une personne s’est tordu la cheville et une autre souffrait de maux de tête après l’explosion », continue-t-elle. Selon le journal local, l’Indépendant, le fût ferait « partie d’un ensemble de 221 fûts [...] arrivés sur le site narbonnais à la fin des années 1980, en provenance d’une entreprise liée à des activités militaires ».

Laurent Denis, directeur de la Direction régionale environnement aménagement logement (Dreal) d’Occitanie, qui suit les activités de l’usine, apporte un éclairage sur cet incident : « Nous avons demandé à Orano de mettre en place une filière de recyclage pour des fûts contenant des matières uranifères recyclables1. Ce qui nécessite de faire des échantillonnages. C’est dans ce cadre qu’a eu lieu l’explosion, indique-t-il. Il est vraisemblable qu’il y ait eu une erreur d’identification sur le fût. Le préfet a suspendu cette opération spécifique jusqu’à ce qu’Orano réponde à un protocole validé. »

Pour Mariette Gerber, médecin et biologiste qui intervient aux côtés de groupes de riverains préoccupés par les activités d’Orano, « il y a de l’uranium appauvri dans certains fûts stockés ici. Ce qui signifie que l’on a, à un moment donné, renvoyé à Malvési de la matière déjà utilisée dans des centrales, dans le but de le retraiter pour produire de nouveaux combustibles ».

 

« Areva induit travailleurs et riverains en erreur sur la nature réelle des risques radiologiques »

Bruno Chareyron, directeur du Criirad

L’activité principale du site de Malvési n’est pourtant pas le traitement de la matière appauvrie : « L’uranium provient de mines du monde entier. Notre métier consiste à le purifier et à le convertir en combustible permettant d’alimenter les centrales », indique Cécile Lemierre.
D’autres infrastructures suscitent l’inquiétude : neuf bassins contenant, selon Orano, des effluents nitratés, résultat d’une purification de l’uranium, obtenue grâce à l’utilisation de nitrates. « L’eau s’évapore avec le soleil et le vent. À la fin de ce processus, nous trouvons des sels fondus qui contiennent des nitrates », décrit Cécile Lemierre. Et de l’uranium ? « Il y en a des traces, mais à de très faibles doses », poursuit-elle. Les autorités se veulent rassurantes : « C’est un site classé Seveso2 seuil haut, précise Laurent Denis, de la Dreal. À ce titre, nous le visitons tous les ans, afin de voir quels sont les moyens mis en œuvre pour éviter les accidents en lien avec le stockage d’acide fluorhydrique. Il n’y a pas de problématiques majeures identifiées ici. »

Boues radioactives

Pourtant un accident est déjà survenu en 2004. Suite à des intempéries, les digues des bassins B1 et B2 avaient cédé, répandant des boues dans la plaine. En 2006, le laboratoire de la Commission de recherche et d’information indépendante sur la radioactivité (Criirad) a effectué des analyses sur le site. « Outre une forte radioactivité, un échantillon a révélé la présence de produits très dangereux, tels le plutonium et le technicium, constate Bruno Chareyron, directeur du laboratoire Criirad et ingénieur en physique nucléaire. Cela montre que l’usine traite de l’uranium, irradié il y a plusieurs décennies dans des réacteurs nucléaires. Parler d’“effluents nitratés” pour des liquides qui ont une telle radioactivité est très illustratif de la manière dont Areva induit travailleurs et riverains en erreur sur la nature réelle des risques radiologiques sur le site. »

À Malvési, les boues des bassins qui ont cédé ont été ramassées et stockées à proximité immédiate des bâtiments. Ils prennent maintenant la forme d’immenses monticules de terre. Cette partie du site a finalement été classée Installation nucléaire de base (IBN), en 2010, après avis de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). « Il n’y a pas de radioactivité importante. Mais son niveau nécessite néanmoins ce classement », explique Laurent Denis.

Ce statut nécessite un renfort de la sécurisation des installations et de leur contrôle, notamment par une Commission d’information locale nucléaire (CLI). Cette dernière réunit des élus locaux, des associations, l’État ainsi que l’industriel. « Ce n’est pas un réacteur nucléaire, mais il faut être attentif à l’eau qui circule autour de ces bassins. Un mur étanche de 10 mètres de profondeur a été créé autour de l’INB. Lorsque l’eau circule, elle bute contre celui-ci », indique Maryse Arditi, présidente de l’association locale de protection de l’environnement ECCLA (Écologie du Carcassonnais et du littoral audois), et membre de la CLI. Mais cela est insuffisant pour Bruno Chareyron, l’ingénieur du Criirad : « Les nappes phréatiques sont très proches, le secteur est inondable et les déchets sont à l’air libre. Il n’est pas normal que les personnes qui vivent près du site respirent des micropoussières qui contiennent du plutonium, de l’uranium ou du technicium3. »

« Le risque zéro n’existe pas »

Un débordement des autres bassins contenant toujours des effluents liquides pourrait-il advenir, dans une région fortement concernée par les risques d’intempéries ? « En cas d’inondation sévère, je vois mal comment les bassins peuvent tout contenir. Les niveaux peuvent monter assez rapidement », témoigne une personne ayant travaillé sur le site et désirant rester anonyme. Cécile Lemierre, d’Orano, défend la politique de sécurité de l’entreprise : « Notre hauteur de garde4 est strictement encadrée par un arrêté préfectoral. Tout est mis en place pour se prémunir des débordements. Mais le risque zéro n’existe pas. Pour supprimer ce risque, il faut supprimer les bassins. »

La solution pour le groupe ? La création d’un atelier de Traitement des nitrates (TDN), courant 2019. Le procédé doit permettre de détruire les effluents nitratés présents dans les bassins à très haute température, pour ensuite récupérer des résidus sous forme de ciment contenant les éléments radioactifs. Une fois à l’état solide, les déchets pourraient être stockés dans un site de l’Andra (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs).
Mais des riverains ne le voient pas de cet œil. Plusieurs associations, dont Transparence des canaux de la narbonnaise (TCNA), ont déposé des recours contre le projet. Mariette Gerber s’est plongée dans l’étude d’impact d’Orano. « Il n’y a pas de prise en considération de l’impact de chaque polluant rejeté par l’atelier de traitement des nitrates, affirme-t-elle. Le procédé va dégager des oxydes d’azote et des particules fines très agressifs pour les poumons. Mais aussi du benzène, qui est un cancérigène, et des phtalates, qui sont des perturbateurs endocriniens. Ces derniers ne sont même pas pris en compte par l’arrêté préfectoral5 qui fixe les prescriptions à Orano pour ses rejets. »

« Un cheval de Troie »

Toutefois, pour les opposants au projet, le problème est plus profond : « Le TDN est un cheval de Troie. Le dernier arrêté préfectoral6 l’autorisant parle également de la création d’un atelier de dioxyde d’uranium. Et ce, sans l’obligation de passer par une enquête publique », indique Fabrice Hurtado, président de TCNA.
« Le dioxyde d’uranium est obtenu à partir d’uranium appauvri, qui a donc déjà été utilisé. Il serait obtenu par l’intermédiaire d’un procédé appelé Nouvelle voie humide (NVH). Il partirait ensuite à l’usine Melox, dans la vallée du Rhône, où on lui ajouterait du plutonium. Il s’agirait de faire du combustible MOX destiné aux centrales les plus anciennes », explique Mariette Gerber. Malvési deviendrait donc aussi un centre de retraitement. Ce qu’Orano ne dément pas. « Ça peut effectivement servir à faire du MOX », lâche Cécile Lemierre, sans plus de précisions.

Le sujet a été abordé en séance du conseil municipal de Narbonne, le 15 novembre dernier. « Voulez-vous, oui ou non, organiser une réunion à laquelle participerait Orano, la Dreal, les associations environnementales et des experts professionnels ? », a demandé Sabine Flautre, membre de l’opposition, au maire, Didier Mouly (DVD). « La ville de Narbonne se sent concernée, mais attend que l’agglomération prenne [...] cette réunion publique à bras le corps », a balayé le premier magistrat. Face à lui, dans l’assistance, plusieurs dizaines de citoyens brandissaient des feuilles A4 sur lesquelles étaient inscrites « Non TDN » et « Non NVH ». Tous demandent qu’Orano soit aussi claire que ses bassins de Malvési...

 

Plus d’infos  :

http://tcnarbonne.org/

https://lesfamillespapillons.wordpress.com/

http://www.rubresus.org/

http://www.eccla-asso.fr/

1Matière contenant de l’uranium ayant déjà été utilisé dans le cadre d’une activité donnée (militaire, alimentation de centrale nucléaire...).

2Directive européenne qui impose aux États d’indiquer quels sont les sites industriels présentant des risques majeurs

3Les habitants les plus proches vivent à quelques centaines de mètres du site Orano de Malvési qui, rappelons-le, est situé dans l’agglomération narbonnaise

4Niveau d’eau des bassins

5Arrêté préfectoral du 26 juillet 2018 n° DREAL-UD11-2018-037 fixant des prescriptions complémentaires d’exploitations applicables aux installations de la Société Orano Cycle Malvési, situées sur le territoire de la commune de Narbonne

6 Arrêté préfectoral du 26 juillet 2018 n° DREAL-UD11-2018-037

Garantissez l'indépendance rédactionnelle et financière de Sans transition !