LES HERBES DE PROVENCE BIO ne demandent qu’à pousser

Publié le lun 20/11/2017 - 18:31

Thym, romarin, origan, sarriette. Ces plantes aromatiques, ramassées de tout temps dans la garrigue, se sont transformées en une filière agricole, celle des herbes de Provence. En bio, la demande dépasse largement la possibilité de production. Une culture qui émerge entre débrouille et valeurs pour se démocratiser.

Par Eric Besatti


UNE FILIÈRE EN MANQUE DE PRODUCTEURS

Qui n’a pas son petit pot d’herbes de Provence dans un placard de sa cuisine ? Face à l’attrait des consommateurs pour ce produit, notamment en bio, les pays alentours se sont mis à cultiver ces herbes. Mais, question de terroir, leur qualité ne peut atteindre celle des plantes qui poussent en Provence. Enquête sur une filière en devenir.

Au pied des Alpilles, à quelques encablures du village de Saint-Rémy-de-Provence, le panneau « Mas de la chouette » précède un chemin de terre. Ici, Jean-Marie Goret, cheveux blancs, moustache à la Brassens et lunettes de soleil, cultive majoritairement les plantes qui rentrent dans la composition officielle (1) des herbes de Provence : le thym, le romarin, l’origan et la sarriette. « Dès le Moyen-Age, la sarriette était associée aux légumineuses comme les pommes de terre pour limiter les flatulences et faciliter la digestion, s’amuse le sexagénaire, intarissable sur les vertus de ses plantes. Au départ, ce n’était pas pour faire beau dans l’assiette ! » Alors comment les herbes de Provence se sont transformées en un incontournable du barbecue ?

De la cueillette aux abus de l’industrie

Si les herbes de Provence sont aujourd’hui mondialement connues. Les mettre dans un pot en verre et les vendre vient d’une intuition commerciale d’un certain Gilbert Ducros dans les années 1950. Au départ, dans les villages, tout le monde le prend pour un fou. Ce qui n’empêche pas le père Ducros d’arpenter les marchés provençaux pour acheter à tour de bras ce que les cueilleurs ramassent dans les garrigues. Le succès commercial est rapidement au rendez-vous. Pour faire face à la demande, il participe à la structuration de la filière. C’est là qu’apparaît la culture en plein champ des herbes, et des agriculteurs se spécialisent pour fournir Ducros. Au fil des ans, la logique de l’agro-industrie s’impose. Question de coût, besoin de volume, l’industriel s’approvisionne dans les pays d’Europe de l’Est, notamment en Pologne, et dans le bassin méditerranéen, au Maghreb. À la fin des années 90, Ducros met une telle pression sur les prix que, par manque de rentabilité, la filière provençale est en danger.

Un goût, un climat unique

Les producteurs réagissent à l’aube des années 2000. Il s’agit de revendiquer la singularité du terroir provençal, et le goût sans pareil de l’herbe de Provence cultivée en Provence. Et ce n’est pas simplement un discours marketing. Scientifiquement, la qualité gustative se vérifie grâce au taux d’huile essentielle présent dans les herbes. L’huile essentielle, c’est la protection de la plante contre la sécheresse et la chaleur. Cette essence végétale fonctionne comme un bouclier qui permet à la plante de garder son eau. Un bouclier odorant, un concentré d’arôme. Les herbes de Provence en contiennent entre 2,5 et 3 % « contre 0,7 et 0,8 % pour les produits standard », compare Vincent Mignérat, président de l’association interprofessionnelle des Herbes de Provence. « Le marché est dominé par le thym de Pologne, la sarriette dAlbanie, lorigan de Turquie ou le romarin du Maroc. Au Maroc, le climat est trop chaud et lhuile essentielle s’évapore, en Pologne avec lhumidité, elle est diluée. Nous avons le terroir idéal ! Sec et chaud. On ne fait pas du Bordeaux sur les bords de Loire !», ajoute Vincent Mignérat. En 2003, les producteurs provençaux s’allient et font sortir de terre un Label rouge Herbes de Provence, qui exige 2 % d’huile essentielle, un taux que seules leurs terres peuvent offrir et qui permet une différenciation sur les étals des commerçants.

Devant ses rangées de thym et romarin, Jean-Marie Goret, le producteur de Saint-Rémy souhaiterait aller encore plus loin. « le Label rouge n’est pas un critère d’achat pour la ménagère, c’est un combat d’arrière-garde », commente-t-il franchement. « Avec le désir des consommateurs de produits sains, la vraie différenciation, c’est le bio ! » Et le marché lui donne raison. Au début des années 2000, quand il transforme son exploitation arboricole vers la production d’herbes aromatiques et médicinales, l’agriculteur choisit directement le bio. Par conviction, mais aussi par bon sens économique : « les acheteurs m’ont dit : ’’produisez, on vous achète tout’’ ». La demande est tellement forte pour le bio que la production est loin d’y répondre.

Une demande insatiable

Même avec sa silhouette svelte, Jean-Marie se définit comme un « petit gros » dans la filière bio, avec ses 6 hectares de plantes aromatiques. Ses mélanges sont un produit d’exception qui se retrouve uniquement dans les réseaux spécialisés bio. Loin des herbes de Provence bio des grandes surfaces cultivées à l’étranger et fades en goût. « En France, la consommation d’herbes de Provence toutes certifications confondues est de 500 tonnes, alors que la production hexagonale n’est que de 40 tonnes », confirme Vincent Mignérat, président de l’association interprofessionnelle des Herbes de Provence, plutôt orientée production conventionnelle. Avec son entreprise Araquelle, Philippe Petit est un des poids lourds du marché bio. Il commercialise sous la marque Provence d’antan entre 3 et 5 tonnes d’Herbes de Provence bio par an. Soit la production des 10 hectares des producteurs qu’il a réussi à fidéliser. Il pourrait vendre plus, mais la ressource manque. « Depuis 3-4 ans, nous plafonnons, nous n’arrivons pas à augmenter nos volumes. Pourtant, le marché du bio augmente de 20 % en France tous les ans. » En cause, une pression foncière dans le Sud de la France qui fait décoller les prix des terres agricoles et freine l’installation des jeunes. Puis, il y a la concurrence du vin rosé de Provence qui utilise les mêmes types de terres et dont la culture est plus rentable.

La débrouille pour faciliter le bio

Avec une telle demande, « si c’était facile, tout le monde ferait du bio », constate Jean-Marie Goret. « Le secret, c’est la maîtrise des difficultés », dévoile-t-il devant son tracteur magique. Il a adapté sur sa machine un système hydraulique pour mécaniser le désherbage autour des pieds de thym, de romarin ou de sarriette. Ce qui lui permet de simplifier l’entretien des champs, principale source de coût et de difficulté dans la culture des plantes aromatiques. Aujourd’hui, sa trouvaille sert d’exemple comme alternative aux pesticides à ceux qui veulent se convertir en bio. Pas besoin d’insecticide non plus. Entre deux rangées de plantes, il laisse les herbes pousser. « Elles abritent toute une diversité d’insectes qui se mangent entre eux. Résultat : ils laissent tranquilles les plantes et je n’ai pas de problème », lance-t-il comme une évidence.

Jean-Marie partage ses petites « trouvailles » avec ses collègues et l’association Bio de Provence qui accompagne les agriculteurs à la conversion bio. Selon une étude de l’association réalisée cette année, en Paca, 289 hectares sont cultivés pour les plantes aromatiques et médicinales en bio, soit 13,2 % des surfaces régionales des plantes à parfum, aromatiques et médicinales. « Notre seul potentiel pour augmenter les volumes, c’est de convaincre les producteurs actuels de passer en bio », analyse Philippe Petit de la société Araquelle, toujours à la recherche de nouveaux producteurs. Et les arguments d’évangélisation ne manquent pas : « On leur propose une meilleure rémunération et le symbole de travailler un produit d’exception, de se tourner vers le qualitatif ». Néanmoins, il faudra du temps pour lutter contre la religion phytosanitaire bien installée chez les agriculteurs. Et peut être rogner sur les marges excessives des transformateurs pour augmenter la rémunération des producteurs et les convaincre de se lancer.

Des pratiques variées

Autre frein au développement des herbes de Provence bio, « une offre atomisée avec de nombreux agriculteurs et des petites surfaces morcelées », analyse l’association Bio de Provence dans son rapport 2017. Mais c’est aussi le charme du milieu des plantes aromatiques et médicinales. Pour diversifier leur modèle économique et leurs activités, les petites exploitations sont quelques unes à proposer des sentiers découvertes, des ateliers de confection de cosmétique… C’est le cas des Sentiers de l’abondance à Eygalières (13), des voisins de Jean-Marie Goret qui utilisent de temps en temps son alambic. Lui vient de créer sa gamme de bouquets et d’huiles essentielles et les vend sur son site internet à des prix accessibles pour « que les gens puissent avoir accès à des produits naturels », milite l’agriculteur. Les plantes aromatiques et médicinales bio, c’est aussi un esprit.

(1) 19 % de thym, 27 % de romarin, 27 % de sarriette, 27 % d’origan selon le label rouge Herbes de Provence.

Plus d'infos : 
lemasdelachouette.com
www.provence-dantan.fr
www.bio-provence.org
www.cpparm.org


TRACER LES PESTICIDES, la responsabilité des marques !

Par Éric Besatti

Dans le secteur des plantes à parfum, aromatiques et médicinales (PPAM), les trop rares contrôles des autorités laissent, de fait, la responsabilité sanitaire des produits aux marques.

© Pixabay

Les deux dernières enquêtes réalisées par la répression des fraudes (DGCCRF) pour rechercher des résidus de pesticides dans les herbes aromatiques conventionnelles se sont révélées malheureusement positives. La première a concerné 20 échantillons – dont 17 étaient de production française – prélevés en Alsace à tous les stades entre la production et la mise en vente. Au final, 4 échantillons français se sont montrés « non conformes » pour présence de matière active non autorisée et dépassement des limites maximales de résidus en termes d’insecticides et fongicides. L’autre prélèvement concernait la région Lorraine. Sur 18 échantillons, un seul de persil italien dépassait les limites maximales de résidus. Un constat : le bio reste le meilleur moyen de se prémunir contre la présence de produits chimiques, dont les pesticides.

FLORILÈGE DE MARQUES…

Même en bio, si aucune analyse récurrente n’est obligatoire pour l’obtention du label bio (ABF), chez Araquelle, grossiste et conditionneur sous la marque Provence d’Antan « nous nous imposons des analyses sur les résidus de pesticides systématiques », explique Philippe Petit, président de la société. Dans son entreprise, les commandes se font par volumes de plusieurs tonnes. Deux lots sont refusés en moyenne tous les ans. « Rien n’est obligatoire, mais c’est le sérieux des sociétés qui est en jeu », prolonge-t-il. Des contrôles d’Ecocert, organisme certificateur, peuvent déboucher sur une éventuelle « délabellisation », en cas de présence de pesticides. Voire des analyses d’associations de consommateurs, qui peuvent mettre à bas la réputation d’une marque. « Depuis des années, on voit fleurir des marques, certifications, processus pour tracer les origines des produits, des procédures de traçabilité. C’est une tendance forte », constate Claude Chailan, délégué filière plantes à parfum, aromatiques et médicinales chez France Agrimer, établissement qui a pour mission d’être le lien entre les filières et l’État. Reste à espérer pour le consommateur que ces contrôles des industriels demeurent suffisants et perdurent à l’avenir…

Plus d'infos :
www.ecocert.com
www.franceagrimer.fr
www.provence-dantan.fr

 
 

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