L’éolien en Provence : une histoire impossible ?

Publié le ven 17/11/2017 - 18:10

Alors que l’éolien ne cesse de se développer en France, avec plus de 1500 parcs déjà en activité, la région n’en compte que cinq. Malgré un gisement de vent considérable et une manne financière qui s’offre à des communes en manque de recettes, les projets restent dans les cartons. L’éolien réussira-t-il à décoller en Provence ? Enquête sur une région qui résiste encore aux investisseurs.

Par Christophe Castano

Au pied de la montagne de Lure, à Peipin (04), les habitants s’apprêtent à vivre au rythme du nouveau projet de cinq éoliennes situées sur la colline surplombant le village. Au printemps, les quelque 1 500 Peipinois ont été conviés à deux réunions publiques, puis à une visite d’un parc éolien. Sur le site web municipal sont affichés des photomontages, accompagnés d’une panoplie de documents permettant de suivre les avancées du projet. Les citoyens ont aussi été invités à s’exprimer sur un registre public. Seuls 60 ont donné leur avis, mais « 48 sont favorables et 12 défavorables », précise le maire Frédéric Dauphin.

Aucune opposition publique ne s’est manifestée à ce jour, mais les habitants restent prudents. « C’est plutôt une bonne nouvelle sur le plan écologique », estime un Peipinois. « Je suis partagée, dit une autre, on va produire une énergie plus propre que le nucléaire ou le pétrole, mais je m’interroge sur les conséquences pour la faune et le paysage. »

De son côté, le maire tente de convaincre ses administrés en évoquant les enjeux de la transition énergétique et les difficultés budgétaires : « On a hérité d’une commune ruinée et surendettée. Ce projet apporte une ressource financière supplémentaire », estimée à près de 66 000 € par an pour la commune, et autant pour l’intercommunalité. Ces taxes et loyers seront versés par l’industriel RES à qui la commune a confié le développement du projet puis l’exploitation du futur parc éolien.

Un marathon de plusieurs années vient de démarrer en vue d’obtenir toutes les autorisations. Les éoliennes devraient être installées « dans quatre ans au mieux » espèrent les promoteurs. L’optimisme de ce projet est loin d’être la norme en région.

Pourtant La région PACA est loin de subvenir à sa demande en électricité, notamment sa partie Est, isolée et menacée de rupture de réseau. Pour répondre en partie à ce déficit, le projet de Schéma Régional Eolien prévoyait de passer en puissance installée de 45 MW en 2012 à 1245 MW en 2030, soit la production d’une centaine de parcs. Mais aujourd’hui les installations éoliennes totalisent toujours moins de 50 MW.

Certes, les espaces propices sont rares. La région compte nombre de zones protégées. Et la distance réglementaire entre les éoliennes et les habitations de 500 mètres minimum, dans un secteur où l’habitat est très éparpillé, réduit les possibilités d’implantation. Pour autant, une dizaine de projets ont été lancés ces dernières années, mais ils ont quasiment tous été bloqués, comme à Montjay (05), Saint-Julien-d’Asse et en Pays de Banon (04) ou encore à Trigance et sur le plateau des Pallières (83). Pourquoi tant d’inertie au pays du mistral ?

UN CIEL TRÈS ENCOMBRÉ

Premier frein, une biodiversité très riche, avec des réglementations très strictes pour protéger des espèces telles que les chauves-souris, les rapaces ou les oiseaux migrateurs susceptibles de percuter les éoliennes. Le ciel est aussi quadrillé par nombre de radars pour la surveillance et les entraînements militaires, la météo, l’aviation… qui peuvent être perturbés par les éoliennes. L’armée a bloqué plusieurs implantations pour cette raison.

Autre point sensible : l’intégration esthétique. D’autant que les prospections se sont tournées ces dernières années vers les montagnes où sont situées la plupart des zones à fort potentiel : Hautes-Alpes, Préalpes du Sud, plateau d’Albion, Haut-Var... Pour capter le vent, il faut monter sur les crêtes, ce qui modifie ces paysages de carte postale et hérissent certains habitants.

UNE OPPOSITION OMNIPRÉSENTE

Les oppositions locales, constituées d’une poignée de personnes en général, sont quasi-systématiques. Regroupés en association, ces citoyens n’hésitent pas à attaquer en justice pour vice de procédure ou sur des aspects techniques des projets, ce qui ralentit ces derniers considérablement. « Un peu d’argent pour quelques-uns, des nuisances pour tous », dénonce l’association Asse au contre vent, née en 2013 dans les Alpes-de-Haute-Provence pour s’opposer au projet éolien mené par EDF Énergies nouvelles dans la vallée de l’Asse. De son coté, un collectif d’associations dans le Buëch (05) se bat contre ces moulins à vent en prédisant « un nouvel exode rural », « la fuite des touristes », « la baisse de la valeur de notre patrimoine immobilier » et des effets sur la santé des riverains.

Pourtant, les études menées par l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, le CAUE (Conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement) ou l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) sur des parcs en activité ne confirment pas ces craintes. Ainsi, un sondage de l’ADEME mené en 2003 en Aude et en Finistère montre que la majorité des riverains estiment que les parcs éoliens ne nuisent pas au tourisme. Par ailleurs, une enquête menée par le CAUE de l’Aude en 2002 conclue que les éoliennes n’ont pas d’impact significatif sur le marché immobilier. Concernant les risques sur la santé, l’Agence Nationale de Sécurité Sanitaire de l’Alimentation, de l’Environnement et du Travail démontre que les mesures d’infrasons réalisées à proximité des éoliennes « ne révèlent aucun impact sur la santé des riverains ».

Devant ces problèmes d’acceptation, « beaucoup d’élus n’osent pas se lancer » constate Arno Foulon, animateur régional d’Énergie Partagée, association qui accompagne et finance des projets citoyens de production d’énergie renouvelable. Et les développeurs attendent davantage des institutions pour créer un contexte régional favorable à l’essor de l’éolien, regrettant sous couvert d’anonymat la « lenteur des services instructeurs de l’État » et « le manque d’ambition politique ».

Si les perspectives en mer suscitent désormais de nouveaux espoirs (voir ci-contre), des éoliennes essaient toujours de germer sur les terres arides de Provence. Mais « à chaque projet, on repart à zéro, on retrouve les mêmes questionnements, les mêmes oppositions » déplore Joseph Wolfers, directeur adjoint à l’association FNE PACA. Face à ces blocages répétés, la solution pourrait venir des acteurs eux-mêmes, et de leur capacité à travailler autrement.

JOUER COLLECTIF

Première piste, « regrouper les services instructeurs et les experts » au sein d’un « pôle régional », comme le préconise une étude d’Enercoop PACA, pour « organiser le dialogue », « renforcer la qualité des projets et limiter les risques de recours irrationnels ».

Un autre enjeu consiste à améliorer les méthodes de travail des développeurs éoliens, accusés parfois de ne pas assez s’entourer des acteurs locaux et de s’attirer inutilement les foudres des habitants. Pour créer un climat de confiance, le club des collectivités locales éoliennes propose aux élus et aux professionnels de signer une charte de bonnes pratiques, incluant des temps de concertation avec la population tout au long du projet.

Côté finance, le modèle participatif qui a fait ses preuves dans le photovoltaïque, a le vent en poupe. En rentrant au capital des sociétés de projet aux côtés des industriels, les collectivités et les habitants permettraient d’augmenter les retombées économiques et l’adhésion locales. « Les acteurs locaux ont l’expertise de terrain, explique Arno Foulon d’Énergie Partagée, ils doivent participer à toutes les phases du développement du projet pour garder la maîtrise des finances, du foncier et de la concertation », et ainsi augmenter les chances de succès.

Faire collaborer les parties prenantes, revoir les montages financiers, rendre l’éolien plus citoyen… Autant de pistes à creuser qui nécessitent au préalable de mettre tous les acteurs autour de la table.

Plus d’infos :

paca.enercoop.fr
energie-partagee.org
fnepaca.fr

www.ademe.fr/energie-eolienne-l-0
oreca.regionpaca.fr
www.paca.developpement-durable.gouv.fr
www.peipin.fr/projet-eolien


Et si le salut venait de la mer ?

Par VG

Trois éoliennes flottantes de 8 MW chacune devraient voir le jour à 17 km au large de Port-Saint-Louis-du-Rhône (13) l’ici 2021. Le projet baptisé Provence Grand Large, lauréat de l’appel à projets de l’Ademe pour les fermes pilotes d’éoliennes flottantes en Méditerranée en 2016, bénéficiera de vents bien plus forts que les éoliennes terrestres. Et devrait produire l’équivalent de la consommation électrique (hors eau chaude et chauffage) d’environ 40 000 habitants. L’éolien en mer, plus productif que le terrestre serait-il la voie d’avenir ? Loin des habitations, les nuisances sonores et esthétiques ne seraient plus invoquées par les riverains… mais les impacts sur la biodiversité restent encore à maîtriser. 


INTERVIEW

Pierre-Yves Guihéneuf : « Dialoguer pour prendre la meilleure décision publique »

Propos recueillis par FD

Pierre-Yves Guihéneuf est consultant pour DialTer, société coopérative montpelliéraine qui organise des actions de concertation sur des projets d’aménagement locaux. Dont ceux de parcs éoliens.

Pourquoi assistons-nous aujourd’hui à une méfiance vis-à-vis de plusieurs projets éoliens ?

Cette méfiance n’est pas propre à l’éolien. Elle est générale aux projets d’aménagement. L’opposition à ces projets va croissant depuis des années. Ce que l’on appelle la « conflictualité environnementale » augmente : à Sivens, à Notre-Dame-des-Landes, à Bure... Elle est due à de multiples raisons. Notamment à un attachement des populations, de plus en plus important, au cadre de vie, à la qualité des paysages et à l’environnement. Une crise de confiance se manifeste aussi envers les élus, les experts et les entreprises. Cela est parfois dû à de mauvaises expériences de concertation : on organise une réunion publique, on dit qu’on a entendu les personnes. Mais rien ne change. C’est fréquent.

Quelles sont les principales plaintes des opposants ?

Les oppositions vont de la préservation de l’intégrité des paysages à la peur de voir les prix de l’immobilier chuter. En passant par les perturbations de la réception des télévisions et des impacts possibles des infrasons sur la santé – ce qui n’est pas avéré selon un récent rapport de l’Anses1. Mais il faut regarder cela de plus près car les connaissances scientifiques ne permettent pas d’être formel.

Des oppositions sont de nature plus générale. Elles renvoient au modèle énergétique de la France (expression de pro-nucléaires) ou à la défense des oiseaux et de la biodiversité. Certains considèrent que ce sont les ruraux qui subissent les nuisances des installations destinées aux urbains. Lorsque des éoliennes s’ajoutent à une déchetterie ou à une ligne à haute-tension, un sentiment d’injustice territoriale peut s’exprimer. Il faut l’entendre. D’autres expliquent que ces projets d’aménagement viennent de l’extérieur et non pas de la commune ou de intercommunalité pour répondre aux besoins du territoire. Cela peut créer des oppositions et des fractures dans les sociétés locales.

Comment faire, selon vous, pour désamorcer les blocages ?

Il faut promouvoir une véritable concertation, où chacun s’écoute. Où on prend le temps d’examiner les arguments des uns et des autres. On essaie ensuite d’avancer en distinguant les points d’accord et de désaccord. La concertation vise à prendre la meilleure décision publique. Dans certains cas, on, peut arriver à un compromis. Mais, parfois, la meilleure décision est d’abandonner le projet.

Plus d’infos : www.dialter.fr

1Exposition aux basses fréquences et infrasons des parcs éoliens : renforcer l’information des riverains et la surveillance de l’exposition aux bruits - Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail - 2017

 

 

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