[FAUNE] : L'Hirondelle, hôpital pour animaux sauvages

Publié le sam 20/03/2021 - 07:14

Légende : Plutôt rare, le centre a accueilli un castor cet hiver / Photo Jérémy Pain

Par Jérémy Pain

Il est un des plus grands centres pour animaux sauvages de France. Situé entre le Rhône et la Loire, l’Hirondelle rayonne sur quatre départements et accueille chaque année en moyenne 4 000 animaux blessés. Mais alors que les questions de biodiversité n’ont jamais été aussi présentes dans les débats publics, le centre de soins se bat en permanence pour trouver des financements. Sa survie est en jeu et celle de centaines d’animaux avec.

 

La neige est encore visible sur les hauteurs de Saint-Forgeux (Rhône). Accroché à flanc de colline, le centre de soins pour animaux sauvages de l’Hirondelle s’est calé sur le rythme de ses pensionnaires. Pas à l’arrêt - le centre est ouvert tous les jours de l’année - mais en activité réduite. En moyenne, 200 animaux sont soignés en cette saison, essentiellement des oiseaux. L’été, le centre peut accueillir plus de 1 000 animaux en même temps.

Ce matin d’hiver, Anne Fourier, chargée de développement du centre de soins, fait le tour du propriétaire. À l’entrée d’un bâtiment récent dédié aux mammifères, le calme est de rigueur. Pour ne pas effrayer les pensionnaires, un panneau ordonne de parler à voix basse. Derrière une porte, une femelle chevreuil se remet difficilement d’une attaque de chiens de chasse. « Quand elle a été trouvée, ils étaient en train de la dévorer vivante, les chasseurs n’étaient pas dans le coin. »Il a fallu trois opérations pour la remettre sur pattes. En attendant d’être relâchée, la chevrette est en convalescence dans une pièce où sont projetées les images d’un sous-bois. Dans les autres salles, on retrouve des rangées de box et d’“éleveuses”, petits compartiments chauffés. « C’est comme à la maternité. On a un très bon taux de récupération grâce à ça, c’est vraiment magique. »

Une activité doublée en quelques années

Dans les départements du Rhône, de la Loire, la Drôme et l’Ardèche, quiconque fait la découverte d’un animal sauvage, blessé ou isolé, peut contacter la structure pour recevoir des conseils. Au besoin, l’animal peut être transféré vers le centre, grâce à un grand réseau de rapatrieurs bénévoles. Depuis 1998, date de création du centre, 45 000 animaux de 250 espèces différentes ont été accueillis. En seulement 5 ans, l’activité de l’Hirondelle a doublé et 3 900 animaux ont été recueillis ces 6 derniers mois. « La société est beaucoup plus sensibilisée à la protection animale. Nous communiquons davantage, on est donc plus sollicité. C'est une bonne chose : ces animaux ont une solution. »Mais pour Anne Fourier, il s’agit aussi d’une conséquence directe de l’activité de l’homme. « On accueille des bébés hérissons dont la mère a été écrasée sur la route, des oiseaux qui souffrent d'épisodes de canicule… La prédation naturelle, ça n’arrive presque pas. »

Sur place, les soigneurs nettoient les plaies, posent les bandages pour immobiliser les fractures et parfois, opèrent. Les oiseaux forment le plus gros des troupes. Dans les volières dont une longue de 100 mètres, des vautours réapprennent à voler. Leurs ailes butent pour le moment sur le grillage. Dans quelques semaines, après cette phase de rééducation, ils seront remis en liberté dans le sud de la Drôme. « Certains ne migrent plus à cause du dérèglement climatique. Les hivers sont plus doux. Dès la première vague de froid, si le sol est gelé, ils tombent comme des mouches », s’alarme Anne Fourier.

L’Hirondelle bat de l’aile

Pour fonctionner, le centre s’appuie sur une quinzaine de salariés et une armée de jeunes bénévoles, prêts à passer des semaines au milieu des oiseaux et des mammifères. « Ils se forment rapidement aux techniques de soins. L’été, on est quarante par jour. C’est une fourmilière », loue Anne Fourier. Solène, 23 ans, est en service civique et s’occupera de l’accueil jusqu’au début de l’été. « Je conseille les gens au téléphone. Souvent, ils sont démunis et n’ont pas toujours les bons réflexes, notamment sur la nourriture. J’organise également les transports d’animaux avec les bénévoles. »Certains jeunes ne repartent jamais de l’Hirondelle. Eloïse Cruiziat, 25 ans, y est aujourd’hui soigneuse. Quatre ans après son service civique, elle est responsable du pôle “mammifère”, en charge à la fois des animaux et des équipes. « Une amie m'a parlé de l'Hirondelle. J'ai tout appris ici », savoure celle qui doit désormais organiser les soins et les plannings de biberons pour les juvéniles. « Jour et nuit, toutes les deux ou trois heures. Jusqu’à ce qu’ils puissent manger tout seul. »Une énergie sans limite au profit de bébés écureuils et autres chauve-souris. « Parmi les jeunes, on parle de plus en plus de la faune sauvage en détresse. Les générations futures seront encore plus impliquées », espère-t-elle.

Derrière cet engouement, se cache pourtant une grande fragilité financière. « Les soins sont gratuits, on ne facture pas, rappelle Anne Fourier. Les animaux restent 45 jours en moyenne, de 24 heures à plusieurs mois. Un animal coûte 2,30 euros par jour, 100 euros en moyenne pour le séjour. Allez trouver un vétérinaire qui pratique ces prix ! Pour bien fonctionner, il nous faudrait le double. »Depuis des années, l’Hirondelle bat de l’aile. Une crise accentuée par de violents épisodes climatiques : les orages de grêle et, il y a deux ans, de fortes chutes de neige qui avaient mis à terre les volières. Ces difficultés avaient contraint le centre à fermer ses portes pendant huit mois.

Pousser les communes à s’engager

Mais des solutions existent : pour pérenniser ses actions d’alerte, de sensibilisation du public et de suivi sanitaire, le centre pousse pour la mise en place de conventions avec les collectivités locales. Sur le même modèle que les fourrières, les communes peuvent financer à hauteur de 10 centimes par an et par habitant la prise en charge de la faune sauvage en détresse. Trois communautés de communes se sont déjà engagées, toutes situées à proximité du centre, dont celle de Saône Beaujolais et ses plus de 44 000 habitants. « Ils rendent un service de salubrité, de santé publique. C’est normal que l’on cotise », s’enthousiasme Guillaume Combe, responsable développement durable de la collectivité et conscient de l’importance des enjeux de biodiversité. « Pour nous, cela représente 4 400 euros sur le budget général, ce n’est pas rédhibitoire. C’est une question de choix politique, on peut faire des choses au niveau local sans tout attendre de l’État. »

Si les collectivités locales des autres départements se sentent moins concernées, Anne Fourier lorgne surtout vers les nouveaux élus écologistes de la métropole de Lyon (1,4 million d’habitants). À la clé : plus de 140 000 euros annuels. « Ça sauverait le centre, clairement. Pendant les élections, ils nous avaient dit qu'ils feraient tout leur possible pour nous aider. Aujourd'hui, il n’y a pas grand chose, on a du mal à se faire comprendre. »Le centre devrait tout de même recevoir une aide de la métropole de 20 000 euros en 2021. La région, quant à elle, a décidé de supprimer son soutien de 20 000 euros. Quant à l’État, les discussions se mettent en place progressivement. « C’est paradoxal : nous sommes la seule structure de la région habilitée à prendre en charge les animaux mais nous n’avons pas de financement de l’État. Lors de notre dernière fermeture, 1 600 animaux n’ont pas pu être sauvés. Pour cet été, on ne sait pas comment on va faire. Si on ferme, ce sera une nouvelle catastrophe. »

Aujourd’hui, parmi la centaine de centres de soins pour animaux sauvages en France, sept sur dix sont en sursis. L’Hirondelle espère, pour le moment, passer l’hiver.

Plus d'infos : www.hirondelle.ovh

 

Pour soutenir l'Hirondelle : https://bit.ly/Sauvez_Hirondelle

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