ÉOLIEN BRETON : pourquoi tant de blocages ?

Publié le ven 10/11/2017 - 16:01

La Bretagne, région en pointe en matière d’énergie éolienne il y a quelques années, est en perte de vitesse. Manque d’espaces disponibles, blocages législatifs, militaires, citoyens… Les obstacles sont nombreux, mais pas insurmontables ! Enquête.

Par Claire Baudiffier


L’éolien breton en manque de souffle ?

Objectifs non atteints, oppositions virulentes, contraintes militaires qui pourraient s’élargir… Le secteur de l’éolien breton paraît en difficulté, mais les professionnels du secteur restent optimistes. Enquête.

Fin 2016, la Bretagne comptait un peu plus de 160 parcs éoliens pour une capacité de 913 MW. Si la filière a connu une montée en flèche entre 2004-2005 et 2011-2012, depuis, les chiffres stagnent ! Et la région pointe à la traîne par rapport à d’autres qui dépassent les 2 GW installés (Grand-Est et Hauts-de-France). Les objectifs affichés par le Conseil régional de 1400 MW raccordés en 2015 n’ont pas été atteints et les prochains – 1800 MW pour 2020 – semblent désormais hors de portée. « Il y a en effet un décalage entre envies et réalité. La Bretagne, auparavant leader, est à la traîne », reconnaît Anne Couëtil, déléguée régionale adjointe Bretagne de France Énergie Éolienne (FEE), association des professionnels du secteur. L’une des raisons ? Le peu d’espaces disponibles, dû notamment à l’habitat dispersé. La législation interdit la présence des éoliennes à moins de 500 mètres d’une maison). « On estime qu’il reste environ 4 % du territoire à couvrir. Si l'on en installait déjà sur ces zones-là, les capacités augmenteraient », ajoute Anne Couëtil.

Ce ratio tient aussi compte des radars, servitudes militaires et aéronautiques existantes, qui imposent aux développeurs des règles strictes. « Dans le Finistère, quasi tout le territoire est incompatible », développe Éric L’Hotelier, d’EDPR, groupe spécialisé dans les renouvelables. « Les servitudes militaires ont été particulièrement durcies ces dernières années, notamment en Bretagne, zone de défense prioritaire. Ces enjeux priment sur ceux de la transition énergétique. Nous aimerions qu’ils soient davantage mis en balance », poursuit Anne Couëtil, évoquant les discussions en cours entre le secteur et l’armée, qui souhaite encore durcir les contraintes...

Manque de transparence ?

Qui dit éolien, dit aussi anti-éoliens… De nombreux projets rencontrent des oppositions. « Nous stoppons nos projets quand les élus ne veulent pas de l’éolien… », précise Florent Épiard, chargé de projets chez IEL, PME de Saint-Brieuc. Quand ce ne sont pas les élus qui sont contre, ce peuvent être des habitants, qui déposent alors des recours, une fois que le préfet a autorisé le projet. En Bretagne, selon FEE, le taux de recours concernant les projets autorisés entre début 2012 et fin 2016 est de 65 %. Le taux national affiche 53 %. Anne Couëtil estime que de nombreux recours sont « abusifs ». Même si la plupart du temps (80 % des cas), le développeur finit par avoir gain de cause, parfois, la justice va jusqu'à annuler un projet. Ce fut le cas cet été avec celui des 16 éoliennes en forêt de Lanouée (56). Le juge a évoqué la richesse écologique du milieu et les dimensions « hors d’échelle ». L’État et la société porteuse, Boralex – qui indique « avoir pris en compte l’impact paysager et l’enjeu de biodiversité avec l’idée de faire cohabiter tous les enjeux » – ont fait appel.

En général, ce que dénoncent les habitants – en sus de l’inquiétude quant au bruit, à l’impact paysager et à la valeur immobilière de leurs habitations –, c’est le manque de concertation et de transparence. Éric Ferrec, farouche et bien connu opposant breton à la tête de l’association Vents de folie, estime que « les développeurs avancent masqués » et que la plupart ne proposent « plus de réunions publiques Certains vont directement chez les propriétaires fonciers pour leur parler d’études de pré-faisabilité ! »,s'exclame-t-il.

Anne Couëtil déplore quant à elle le fait que « les réunions publiques soient devenues des espaces de débats non constructifs, où les opposants monopolisent la parole. » Elle indique que d’autres modes de communication sont recherchés (permanence en mairie, groupe de concertation…) pour un cadre plus serein.

Besoin d’impliquer les élus

Quelle est la recette des projets qui ne rencontrent pas d’opposition ? « Cela peut passer par la capacité de faire participer les citoyens », estime Éric L’Hotelier, citant le parc de Boqueho et Plouagat (22), sorti de terre au printemps et pour lequel plus de 200 personnes (dont la moitié de Bretons) ont prêté 121 000 euros. « Il faut aussi faire de la pédagogie, expliquer aux gens à quoi correspondent les chiffres, les kilowatts par heure (kWh) sur leur facture, les inviter à visiter les éoliennes… », rajoute Florent Épiard, d’IEL. Pour André Crocq, l’élu de la Région délégué à la transition énergétique, l’important reste désormais de « mettre les territoires en ordre de marche ». Il détaille : « Les élus doivent échanger, capitaliser sur les réussites. S’ils ne sont pas impliqués, cela ne fonctionnera pas. » Il demeure optimiste quant à l’avenir, faisant référence à la Conférence bretonne de la transition énergétique, qui définira une feuille de route de l'éolien pour accélérer la réalisation des parcs. En attendant, 800 MW de projets sont autorisés, dont 500 MW pour le site offshore en baie de Saint-Brieuc, l’un des premiers du genre en France.  


Et le Schéma régional éolien, alors ?

En avril, la cour administrative d'appel de Nantes a confirmé l'annulation du SRE de Bretagne, donnant raison à une vingtaine d’associations. Ce schéma, élaboré par l’État et la Région, fixait « des objectifs quantitatifs et des recommandations guidant le développement de l’éolien terrestre dans les zones favorables identifiées ». Les juges ont estimé que « les spécificités locales avaient été négligées ». Quatorze régions sur vingt-deux ont connu la même décision. Cette annulation ne changera rien à l’instruction des dossiers en cours. Le SRADDET (Schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires) devrait prendre le relais.


Plus de parcs, moins de production...

En 2016, la production éolienne représentait 47 % de l’énergie générée en Bretagne, malgré une baisse de la production (-10,5 %) entre 2015 et 2016. « Elle s’explique par des vents moins favorables. Malgré tout, le rendement moyen dans la région était de 19 %. Le rendement national étant de 21,8 %, on reste dans des taux proches », explique Carole Pitou-Agudo, déléguée de RTE (Réseau de transport d'électricité) dans l’Ouest.


Plus d’infos

L’observatoire de l’éolien proposé par FEE fee.asso.fr/actu/observatoire-de-leolien-2017/

Bilan électrique 2016 Bretagne, RTE www.rte-france.com/sites/default/files/ber_2016_bretagne.pdf

 

Carte des parcs bretons geobretagne.fr/mapfishapp/map/83bcd5874b7c0a7567e4207e77ac404a


Si la solution était l’éolien citoyen ?

Dans le pays de Redon, les habitants ont fait un pari fou. Celui de porter et financer des parcs éoliens. Et ça marche !

« Si on avait su il y a quinze ans qu’on en serait là, je crois qu’on n’aurait pas osé », sourit Michel Leclercq, vice-président et cofondateur de l’association Énergies citoyennes en Pays de Vilaine. En 2003, le sculpteur envisage d’installer une éolienne chez lui. Ses voisins agriculteurs, aussi. Mais les démarches sont compliquées et le petit éolien n’est pas rentable. Ils créent alors une association pour monter un parc éolien coopératif, en maîtriser les revenus et essaimer. Très vite, une trentaine d’habitants les rejoignent. Ils sont aujourd’hui bien plus… « À l’époque, l’éolien citoyen n’existait pas en France », se souvient Michel Leclercq.

Peu ou pas d’opposants

Après deux tentatives de projets en collaboration avec un développeur qui n’aboutissent pas, la troisième sera la bonne ! « On a embauché un salarié et décidé de lancer les études par nous-mêmes. » L’association lève 300 000 euros en deux mois grâce à ses membres actifs, des clubs d’investisseurs (les Cigales) et des collectivités territoriales. Une société de capital risque est créée et, au final, deux permis de construire sont obtenus. En 2014, 4 éoliennes – qui couvrent les besoins en électricité de 2600 foyers – financées par 1000 particuliers ont ainsi vu le jour à Béganne (56). En 2016, quatre autres ont poussé à Sévérac-Guenrouët (44), financées par 750 citoyens. Il y a quelques semaines, un troisième parc a été inauguré à Avessac (44). Et, chose rare dans l’éolien, il y a eu peu ou pas d’opposants. « Parce qu’on a discuté, rencontré les habitants, expliqué. Parfois, ils peuvent se sentir désemparés devant un projet, car ces derniers sont mal « boutiqués », avec un impact sur le paysage trop important. Et il y peut y avoir aussi un manque de transparence des développeurs industriels. » L’association, qui a créé un bureau d’études accompagnant divers projets en France, a gagné son pari: faire participer et travailler ensemble citoyens et collectivités. « On est dans un territoire où l’on pense avoir peu de ressources, mais l’énergie, c’en est une incroyable ! »

Plus d’infos

www.eolien-citoyen.fr


INTERVIEW

Pierre-Yves Guihéneuf : « Dialoguer pour prendre la meilleure décision publique »

Propos recueillis par FD

Pierre-Yves Guihéneuf est consultant pour DialTer, société coopérative montpelliéraine qui organise des actions de concertation sur des projets d’aménagement locaux. Dont ceux de parcs éoliens.

Pourquoi assistons-nous aujourd’hui à une méfiance vis-à-vis de plusieurs projets éoliens ?

Cette méfiance n’est pas propre à l’éolien. Elle est générale aux projets d’aménagement. L’opposition à ces projets va croissant depuis des années. Ce que l’on appelle la « conflictualité environnementale » augmente : à Sivens, à Notre-Dame-des-Landes, à Bure... Elle est due à de multiples raisons. Notamment à un attachement des populations, de plus en plus important, au cadre de vie, à la qualité des paysages et à l’environnement. Une crise de confiance se manifeste aussi envers les élus, les experts et les entreprises. Cela est parfois dû à de mauvaises expériences de concertation : on organise une réunion publique, on dit qu’on a entendu les personnes. Mais rien ne change. C’est fréquent.

Quelles sont les principales plaintes des opposants ?

Les oppositions vont de la préservation de l’intégrité des paysages à la peur de voir les prix de l’immobilier chuter. En passant par les perturbations de la réception des télévisions et des impacts possibles des infrasons sur la santé – ce qui n’est pas avéré selon un récent rapport de l’Anses1. Mais il faut regarder cela de plus près car les connaissances scientifiques ne permettent pas d’être formel.

Des oppositions sont de nature plus générale. Elles renvoient au modèle énergétique de la France (expression de pro-nucléaires) ou à la défense des oiseaux et de la biodiversité. Certains considèrent que ce sont les ruraux qui subissent les nuisances des installations destinées aux urbains. Lorsque des éoliennes s’ajoutent à une déchetterie ou à une ligne à haute-tension, un sentiment d’injustice territoriale peut s’exprimer. Il faut l’entendre. D’autres expliquent que ces projets d’aménagement viennent de l’extérieur et non pas de la commune ou de intercommunalité pour répondre aux besoins du territoire. Cela peut créer des oppositions et des fractures dans les sociétés locales.

Comment faire, selon vous, pour désamorcer les blocages ?

Il faut promouvoir une véritable concertation, où chacun s’écoute. Où on prend le temps d’examiner les arguments des uns et des autres. On essaie ensuite d’avancer en distinguant les points d’accord et de désaccord. La concertation vise à prendre la meilleure décision publique. Dans certains cas, on, peut arriver à un compromis. Mais, parfois, la meilleure décision est d’abandonner le projet.

Plus d’infos : www.dialter.fr

1Exposition aux basses fréquences et infrasons des parcs éoliens : renforcer l’information des riverains et la surveillance de l’exposition aux bruits - Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail - 2017

 

Garantissez l'indépendance rédactionnelle et financière de Sans transition !