Légende : Le projet prévoyait l'installation de 29 990 tables photovoltaïques, nécessitant 80 000 m3 d'eau – plus de la moitié de la consommation en eau potable des habitants du Larzac méridional -, réparties sur 400 hectares, soit la superfice de 550 stades de foot. Crédit : Dominique Voillaume
Par Julie Chansel
Alors que la société Arkolia spécialisée dans les énergies renouvelables souhaitait installer un méga-parc photovoltaïque sur des terres agricoles du Larzac, la mobilisation des opposants face à ce projet industriel colossal a entraîné son gel temporaire.
L'opposition des habitants et le manque de soutien des élus ont provisoirement mis fin à Solarzac, le méga-parc photovoltaïque de 400 hectares d’Arkolia. La société héraultaise spécialisée dans les énergies renouvelables a repoussé d'un an l'éventuel dépôt d'un permis de construire d'un projet revu à la baisse.
Fin novembre, le calme semble revenu sur la partie méridionale du Larzac. Trois semaines après l'annonce par Arkolia, le 25 octobre, du report du dépôt d'un permis de construire, l'association Terres du Larzac, Terres de Biodiversité, Terres de Paysans – créée dès l'annonce du projet et fortement mobilisée contre Solarzac – s'est félicitée de ce « grand succès ». Tout en indiquant rester « vigilante pour la préservation des terres agricoles et pastorales ainsi que pour la biodiversité » de ce territoire. Presqu'un an de lutte depuis que fin 2018, Arkolia a annoncé vouloir créer un parc photovoltaïque de 400 hectares sur l'actuel domaine de chasse de Calmels et du Luc qui en couvre 1 000. Dépendant de la commune du Cros, le domaine est un groupement foncier agricole - la nature agricole des terres est attestée au cadastre – dirigé par l'homme d'affaires Eric Saint-Cierge. Arkolia prétend pourtant que les terres visées par le projet sont « impropres à l'agriculture ». La société prévoyait la production de 180 MW (MégaWatt) grâce à une centrale photovoltaïque, de 138 MW par la mise en place d'un procédé de méthanation et souhaitait ouvrir au public 600 hectares clôturés qui seraient « dédiés à la gestion et à la sauvegarde de la faune sauvage ». De quoi faire grincer des dents.
Et l’histoire commence par une question. Peut-on artificialiser des terres agricoles pour installer un projet « industriel hors normes, camouflé sous un vernis environnemental » demande Julien Pradel, élu au conseil municipal du Caylar et administrateur de Terres du Larzac, lors d'une réunion le 22 février. La salle des fête du Caylar pouvait à peine contenir les plus de 200 habitants venus s'informer, mais surtout commencer à s'organiser. Quelques semaines plus tard, lors d'une conférence de presse à Calmels, le président d'Arkolia Énergies, Laurent Bonhomme, lance une concertation préalable et évoque entre « 1,5 à 3 millions d'euros de retombées fiscales annuelles » pour les communes concernées et la création d'« une trentaine à 190 emplois ». Julien Pradel souligne lui que le Larzac est le seul territoire agricole français présentant un solde positif : « Il y a plus de paysans qui s'installent que de paysans qui arrêtent leur activité. Au Caylar, il y a plus d'emplois que de population active. Arkolia ne peut pas se présenter comme un gentil bienfaiteur qui viendrait apporter une manne sur le plateau.»
Des projets spéculatifs
Le président de Terres du Larzac, Bernard Ricau, ornithologue à la retraite, rappelle que le site concerné fait partie du réseau Natura 2000, est au cœur du territoire Causses et Cévennes inscrit au patrimoine mondial de l'Unesco et dans le périmètre du cirque de Navacelles, classé Grand site de France. « De tels projets industriels et spéculatifs, poursuit Bernard Ricau, s'opposent au développement harmonieux des énergies renouvelables nécessaires à la transition énergétique ». Le 19 juin, une quarantaine de membres de la Confédération paysanne occupent les locaux de la société Arkolia Energies, à Mudaison, près de Montpellier. Le syndicat paysan estime que le bilan énergétique de ce type de projet est faible et instaure une spéculation foncière intense sur des terres agricoles. Dominique Voillaume, éleveuse de brebis, membre de Terres du Larzac et une des porte-paroles de la section héraultaise de la « Conf' », souligne quant à elle que « l'occupation de ces terres dévaloriserait de manière irréversible la valeur patrimoniale du territoire, avec un impact négatif sur les ressources naturelles - hydrologiques en particulier - et la biodiversité ». Et Agnès Langevine, vice-présidente de région chargée de la transition énergétique, déclare que « les terres agricoles en Occitanie sont sanctuarisées » et qu'il y a suffisamment de terrains artificialisés pour mettre en place des projets d'énergies renouvelables. Ça commençait à coincer...
Une zone test
La concertation publique se termine finalement le 23 juillet. Deux mois après, le garant Bruno Védrine rend un rapport très factuel. Arkolia avait alors deux choix : arrêter le projet ou déposer un permis de construire. Face au manque de soutien des services de l’État – l’ancien préfet Pouëssel n’était pas pour et son successeur Jacques Witkowski non plus - et à l’opposition d’une grande partie de la population, la société opte pour une troisième voie. D’ici un an, un nouveau dispositif qui serait acceptable pour les habitants des communes concernées (28 dans l’Hérault, 2 dans le Gard et 2 dans l’Aveyron) devrait donc être proposé. La population serait « régulièrement informée des réflexions futures », lesquelles devraient amener à « des projets plus aboutis », selon Laurent Bonhomme. Il annonce aussi la création d’un comité de suivi, présidé par Jean-Paul Volle, professeur émérite de géographie urbaine et régionale à l’université Paul-Valéry. « C’est une concertation prolongée », explique l’universitaire qui se dit « séduit par le sérieux du projet, par une réponse de haute intensité à une demande en énergie, par l’ambition d’un chef d’entreprise dynamique et par le souci de donner une impulsion dans un territoire désert.» La superficie prévue du nouveau parc aurait « une taille acceptable », soit moins de 400 hectares. Arkolia - 41 236 620 euros de chiffre d'affaires en 2018 - propose que les collectivités acquièrent le terrain, en échange d'un loyer. En oubliant de préciser qu'une entreprise qui investit dans une « zone de revitalisation rurale » bénéficie d'exonérations fiscales.
Pour Julien Pradel, ce recul est une « manœuvre dilatoire », Arkolia attendrait de meilleures perspectives avec les élections municipales : « Pour l'instant, 5 maires sur les 28 communes du Lodévois-Larzac sont favorables au projet. Même d'une taille réduite, le parc sera toujours installé sur des terres agricoles, dans une zone protégée. C'est du pur greenwashing. Quant au président du comité de suivi, c'est un spécialiste de géographie-urbaine, pas de nature. Il est présenté comme une caution universitaire par Arkolia, qui essaye – vainement – de monter les urbains, forcément progressistes contre les ruraux archaïques. » « Nous avons le sentiment que l'important pour eux, c'est de pouvoir continuer à communiquer vis-à-vis des autres acteurs de l’énergie » renchérit Bernard Ricau. Solarzac aurait selon lui valeur de test sur la question de la multiplication de projets énergétiques industriels et financiers sur des zones naturelles protégées. « Le plateau est très convoité. Dans des régions trop chaudes, quand la chaleur monte l'été, la production et le rendement stagnent, puis chutent. Le Larzac est privilégié par les industriels, car le rendement y reste bon tout au long de la saison ensoleillée. Arkolia est une tête de pont pour de grands groupes industriels – Engie et Total - qui se lancent dans le solaire et cherchent à s'installer sur le plateau. Durant l'hiver 2018/2019, nous avons vu un démarchage forcené de ces sociétés qui sont passées de ferme en ferme pour installer des parcs de 100 à 200 hectares. Si on fait le total, les 10 000 hectares du Larzac partiraient en photovoltaïque !» Pour Arkolia, c’est aux politiques de « prendre leurs responsabilités ». Pour que la transition énergétique soit une réalité en Occitanie, « il va falloir faire des choix ». Mais pas n’importe lesquels.
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