[DOSSIER] Les scientifiques à la barre : « Ça donne un sens à notre travail »

Publié le mer 10/03/2021 - 08:02

Procès en appel à Lyon des militant.e.s d’ANV-COP21, inculpé.e.s dans le cadre de la campagne de désobéissance civile « Décrochons Macron », le 19 décembre 2020. Crédit photo : Alternatiba

Propos recueillis par Estelle Pereira

Juliette Mignot, climatologue à l’institut de recherche pour le développement (IRD) et membre du Giec, est venue témoigner dans le cadre d’un procès des militants d’ANV-COP21. Elle raconte les débats qui animent le monde scientifique sur la place du chercheur dans la lutte contre le réchauffement climatique.

À partir de quand avez-vous décidé d’intervenir en dehors de votre laboratoire ?

À Valence, c’était la première fois que je participais à un procès. Je dirais que la nécessité de sortir de nos laboratoires est en lien avec la prise de conscience générale de la population française. En automne 2018, la concomitance entre la démission de Nicolas Hulot, la publication du rapport du Giec et la marche des jeunes pour le climat ont été comme un nouveau point de départ. Ce qui ne veut pas dire qu’avant nous étions moins engagés. Nous l’étions peut-être moins publiquement.

Les scientifiques ont-ils un rôle à jouer pour faire avancer la justice climatique ?

Je voudrais faire avancer la politique avant de faire avancer la justice. Mais aussi contribuer au fait que la justice reconnaisse l’état de nécessité (voir page suivante). Là oui, je le pense très clairement. C’est pourquoi, quand je suis invitée par des associations militantes en marge de manifestations, je garde toujours ma casquette de scientifique. Je fais partie de celles et ceux qui ne sont pas à l’aise avec la désobéissance civile car je veux garder ma légitimité de chercheur. Si je participais en tant que militante, j’aurais l’impression d’être juge et partie. Je préfère intervenir uniquement en tant que scientifique et garder ma parole forte.

Comment ces collaborations sont-elles vues par le milieu scientifique ?

Pour ma part, ce n’est pas quelque chose que je vais scander dans tout le laboratoire. L’action de désobéissance civile n’est clairement pas acceptée. Le témoignage durant les procès éventuellement. Il y a beaucoup de débats sur notre position. Récemment, des groupes de réflexion sur l’éthique du scientifique ont été créés pour en discuter. Certain.e.s vont être plus militant.e.s avec leur casquette de scientifique, d’autres avec celle de citoyen. À l’inverse, certains disent qu’ils veulent moins parler, estimant qu’après tout, les gens peuvent lire les rapports du Giec, tout est dedans.

Informer sur vos recherches fait partie de vos missions ?

Effectivement, quand on signe un contrat avec le CNRS, il est explicitement indiqué que le chercheur a pour mission de mettre la science à disposition de la société. La question est de savoir à quel endroit placer le curseur. En tant que modélisatrice du climat, si je sors de mon laboratoire en disant : « attention, l’urgence climatique est là ! », une information issue de mes recherches, suis-je une militante ? C’est un débat nourrissant, mais il ne faut pas qu’il devienne trop inhibant.

Vous étiez à l’aise à venir témoigner lors d’un procès ?

Je me trouvais à une place dans laquelle je suis très confortable. Je fais souvent des actions de vulgarisation, devant l’amicale des retraités par exemple. C’est bien, mais ce n’est pas là que je suis en train de changer le monde. Au procès, j’ai l’impression d’être à ma place. Je défends un point de vue légal et scientifique. Dans le cadre du procès des « décrocheurs », je défends une action, sans juger de sa forme, mais seulement du fond qui me semble important, à savoir démontrer que chaque degré de réchauffement compte et qu’il y a une urgence. Raconter au tribunal ce que je fais m’a donné envie de poursuivre un certain engagement, de continuer à témoigner. Prendre la parole, cela donne un sens à notre travail.

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