DE LA GRAINE DE RÉSISTANTS au secours des semences paysannes

Publié le jeu 11/01/2018 - 10:01

Depuis l’été 2016, les agriculteurs ont le droit d’échanger des semences anciennes, dites paysannes. Mais depuis longtemps une résistance s’était organisée dans les champs, les vergers et les jardins pour sauvegarder ces graines libres de tout droit de propriété industrielle. En Occitanie, les initiatives sont nombreuses. Tour d’horizon.

Par Charline Poullain

Le pétrin emplit presque toute la pièce, à côté du poêle en fonte et du four à bois. Il faut connaître pour dénicher le petit fournil de Florence Peloux. L’antre de l’agricultrice-boulangère est au beau milieu de la campagne, à Vindrac dans le Tarn. À l’entrée, trônent des gerbes de blé. Des blonds, des sombres, des barbus et des plus glabres. C’est cette diversité qui a décidé la militante, paysanne depuis 1990, à cultiver son blé et à le panifier en 2003. Sur une quarantaine d’hectares, elle lui en réserve 10 à 12. Sans engrais chimique.


L’agricultrice-boulangère Florence Peloux. Les blés issus de semences paysannes sont tous différents. L’une des variétés, la Pétanielle, a donné son nom à l’association toulousaine qui réunit paysans et jardiniers. © C. Poullain 

Une fois le blé récolté, trié et moulu sur place, deux fois par semaine, Florence Peloux pétrit sa farine à la main, puis laisse reposer ses pains près de 5h avant de les enfourner. Dans chaque miche, un bouquet de variétés : du blé fin de Tauriac, du Lot, de la Bladette de Puylaurens… Et ce, « grâce au pouvoir des jardiniers », rappelle-t-elle. Car pour sauvegarder ces semences libres de droit industriel, qui disparaissent, des particuliers se sont engagés aux côtés de paysans dans l’association toulousaine Pétanielle. Chaque jardinier sème sur 1 m² des graines données par d’autres membres du Réseau semences paysannes, des paysans en ayant conservées tout comme le Centre de ressources biologiques des céréales à paille de l’INRA. Ils assurent ainsi la conservation et la multiplication. Et chaque année, la collection s’enrichit.

Au four et au moulin

« Nous les appelons semences paysannes, explique Florence Peloux. Ce qui nous intéresse, ce sont leurs caractéristiques, leur large diversité et leur faculté d’adaptation aux terroirs, aux conditions climatiques. » « Le seul moyen de les conserver, c’est à travers nous, les paysans. Car en terre, elles s’adaptent, dit Éric Marie. Installé à Monleon-Magnoac, dans les Hautes-Pyrénées, il est aussi paysan-boulanger et membre de l’association Terre en vie, au sein de laquelle 50 paysans et jardiniers multiplient des variétés anciennes de céréales.

Avec une dizaine d’autres producteurs de Hautes-Pyrénées, du Gers et de Haute-Garonne, il a créé en 2014 l’Odyssée d’Engrain, qui commercialise des pâtes issues de ces variées de blé anciennes et bio. Jusqu’à 1,5 tonne par mois. « Cela a permis à un meunier de remettre un moulin en état ». Le boulanger ajoute : « L’enjeu est de se réapproprier, sur un territoire, la souveraineté alimentaire ».

« On s’est toujours échangé nos semences »

« Le but est l’autonomie paysanne », formule Florence Peloux. Depuis juillet 2016, dans le cadre de l’entraide agricole, la loi Biodiversité autorise enfin les professionnels à s’échanger des graines non-protégées par un certificat dit d’obtention végétale. « Cela n’a rien changé pour moi, réagit Éric Marie, je l’ai toujours fait ». « On s’est toujours échangé nos semences, l’agriculture s’est construite comme cela ! », rappelle Florence Peloux.

« La loi change quelque chose en terme de reconnaissance », estime Martin Lacroix, coordinateur du Réseau Fruits oubliés (lire l’encadré). Et en terme de temps... Car les agriculteurs avaient trouvé la parade : puisqu’ils n’avaient le droit ni de vendre ni de donner des semences à qui en ferait un usage commercial, mais bien celui de cultiver les graines non inscrites au catalogue officiel et d’en vendre le fruit, il suffisait à celui qui recevait des semences anciennes de les cultiver durant un an, de façon à pouvoir vendre la récolte de ses propres graines l’année suivante. « Cela demandait une année de plus », résume Yves Giraud, des Semeurs du Lodevois Larzac. Le collectif regroupe des jardiniers et maraîchers qui sauvegardent des variétés potagères locales et antérieures à l’utilisation de produits phytosanitaires. En 2012, ces derniers ont créé une Maison de la graine.

« Cette autorisation dans la loi biodiversité est une avancée, poursuit Yves Giraud. Sauf qu’il est précisé que les amateurs peuvent s’échanger des graines à condition de respecter les règles sanitaires valables pour les grandes entreprises… Or, il est évident qu’aucun jardinier ne peut le faire ! »

Ce maraîcher en retraite est sûr d’une chose : « Avec des variétés que l’on ne protège pas, la plante gagne en rusticité, elle est moins sensible aux parasites. » Sur ses oignons anciens, il a ainsi vu des problèmes sanitaires disparaître. « Sans intrant, la plante est habituée à se débrouiller seule, explique Florence Peloux. Par exemple sur le blé, le système racinaire est plus puissant. »

Toutes ces associations organisent des journées de formation, des bourses d’échange, des travaux aux champs en commun... Pour conserver le savoir-faire mais aussi cultiver le lien citoyen.


Formation à la taille des oliviers avec le Réseau Fruits oubliés. © Martin Lacroix

Plus d’infos :
www.fruitsoublies.org
petanielle.org
semeurslodevoislarzac.org
www.terreenvie.com
odysseedengrain-patesbio.fr


Réseau Fruits oubliés : des vergers au plaidoyer

D’abord, ils font le tour des vergers. Pour dresser l’inventaire des fruits d’antan. « On interroge les anciens dans les villages, on mène de véritables enquêtes », explique Martin Lacroix, coordinateur du Réseau Fruits oubliés. Basé dans les Cévennes, le collectif regroupe 250 adhérents en France.

Deuxième phase : la caractérisation. « On analyse le potentiel du fruit, on détermine à quel usage il est adapté. » Vient ensuite la multiplication, par boutures, rejets, greffons. « Avant, ce savoir-faire était dans les campagnes, l’enjeu est de le réapprendre aux gens. Le but étant qu’un maximum de personnes s’en emparent. » D’où les bourses et formations proposées.

De plus, le réseau diffuse son savoir à 700 abonnés via des publications thématiques et la revue Fruits oubliés. « Nous avons aussi une partie plaidoyer. » Salariés et bénévoles interpellent les parlementaires français et européens.


UNE NOUVELLE RÉGLEMENTATION pour sortir les semences paysannes de la clandestinité

À l’heure actuelle, la loi française interdit la vente de graines issues de variétés non-inscrites au catalogue officiel. Les tests de validation pour entrer dans ce catalogue sont coûteux et inadaptés aux semences paysannes. Certaines variétés anciennes peuvent être inscrites sur des listes annexes mais peuvent être vendues seulement par petits conditionnements. Cette aberration législative enferme la circulation des graines et restreint donc la biodiversité cultivée.

Par Éric Besatti


© E. Besatti

Bientôt un mauvais souvenir ? Le 20 novembre dernier, le Parlement européen a adopté un compromis définitif concernant le nouveau règlement européen sur la production biologique. Une partie concerne la commercialisation des semences. Il introduit notamment une nouvelle catégorie de « variétés » de semences disponibles pour l’agriculture biologique : le « matériel biologique hétérogène », qui correspond essentiellement aux milliers de variétés traditionnelles actuellement interdites à la vente par l’effet du « catalogue officiel ».

Cette nouvelle catégorie sort du champ de la législation actuelle sur le commerce des semences. Fini le passage par la case catalogue officiel. Les semences pourront être mises sur le marché après une simple déclaration préalable fournissant une description sommaire des caractéristiques agronomiques et phénotypiques de la variété. L’administration compétente du pays aura trois mois pour formuler des observations. Passé ce délai, le dossier sera de facto accepté et les graines pourront être mises sur le marché.

« Ce nouveau règlement devra encore faire l’objet d’un vote final en séance plénière au Parlement, au mois d’avril, et d’un vote également définitif par les ministres de l’Agriculture des États membres réunis formellement au Conseil. Ces dernières procédures ne sont plus que des formalités », analyse Blanche Magarinos-Rey, avocate spécialisée dans le droit environnemental. Et ajoute : « Ces décisions sont très positives. »

+ D’INFOS
www.semencespaysannes.org


INTERVIEW

JONATHAN ATTIAS ET ALEXANDRE LUMBROSO : « Cultiver librement les semences ! »

Propos recueillis par FS

Jonathan Attias et Alexandre Lumbroso ont réalisé le film Des Clics de Conscience, sorti en salle le 4 octobre dernier. Ce documentaire raconte un parcours du combattant : celui de transformer en loi leur pétition en ligne ayant recueilli quelque 80 000 voix, et qui demande le droit, pour les maraîchers, de multiplier et d’échanger librement leurs semences.


© Comunidée Production

Avant le film Des Clics de Conscience, vous avez réalisé la série « Jardiniers, levez- vous ». Qu’est-ce que cela vous a appris sur les semences paysannes ?

Les semences paysannes s’adaptent à leur terroir et aux conditions climatiques. Elles représentent un véritable patrimoine culturel ! Grâce à ces semences, les paysans étaient autonomes et pouvaient eux-mêmes multiplier leurs graines pour la saison suivante. Mais, dans les années 60, la loi a changé et a obligé les agriculteurs à acheter des variétés de semences inscrites dans un catalogue officiel. Les critères pour inscrire une semence dans celui-ci sont impossibles à obtenir pour une variété traditionnelle, ce qui les exclues du commerce. De fait, on demande à la nature de produire des robots en série !

Après cette série, vous avez lancé une pétition demandant le libre échange des semences. Comment avez-vous réussi à la transformer en loi ?

On a réalisé qu’on ne sait jamais ce que deviennent les pétitions que l’on signe ! Alors nous nous sommes demandés comment faire pour que notre pétition devienne une loi. Le sénateur morbihannais Joël Labbé nous a proposé d’inscrire nos revendications dans la loi sur la biodiversité sous forme de deux amendements : le premier demandant que les agriculteurs puissent échanger librement leurs semences et le second appelant à l’interdiction des semences hybrides. Nous avons ensuite dû prendre part à cette machine institutionnelle, participer à une forme de lobbying citoyen, pour tenter d’écrire et de faire voter cette loi.

Seul le premier amendement a été voté favorablement, que change-t-il pour les agriculteurs ?

C’est une petite victoire, car nous ne changeons pas le commerce des semences. Mais désormais quand la répression des fraudes vient voir un maraîcher et lui demande de justifier où il a acheté ses semences, il peut dire que c’est un collègue qui les lui a données ! Pour la première fois depuis plus de 50 ans, un agriculteur peut cultiver librement toutes les variétés traditionnelles hors catalogue !

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