[THEMA] Souveraineté alimentaire : des pouvoirs publics à la ramasse

Publié le mer 15/02/2023 - 11:00

Par Magali Chouvion

L’organisation actuelle du système alimentaire en France, comme dans d’autres pays industrialisés, le rend particulièrement vulnérable. Les menaces qui planent et se font de plus en plus présentes démontrent chaque jour que les conditions ayant permis au modèle agro-industriel de voir le jour et de prospérer sont entièrement remises en cause. Sans changement de modèle, notre sécurité alimentaire est menacée. Pour autant, les pouvoirs publics peinent à répondre de manière systémique à ces menaces et à remettre en cause un modèle néo-libéral tout puissant.

« Un droit qu’aurait chaque État de décider de ses propres politiques agricoles pour ses propres populations, sans affecter les autres États ». Telle est la définition de la souveraineté alimentaire, telle qu’elle a été énoncée dans les années 1980 en Amérique centrale par les membres de l’association altermondialiste Via Campesina. Sous son impulsion, l’idée gagne la scène internationale dans les années 1990. « Le concept de souveraineté alimentaire a été développé par Via Campesina, porté au débat public à l’occasion du Sommet mondial de l’alimentation en 1996, et présente une alternative aux politiques néo-libérales. Depuis, ce concept est devenu un thème majeur du débat agricole international, y compris dans les instances des Nations unies », détaille l’association.

Pour autant, au cours de la seconde moitié du XXème siècle, un modèle agricole plus productif et plus compétitif s’est développé, accompagné par l’intensification du libre-échange à l’échelle mondiale, dopé par des politiques économiques de plus en plus libérales. Ce système alimentaire agro-industriel est basé sur des échanges à longue distance, avec un éloignement très fort entre le consommateur final du produit et le producteur initial. Bien loin de la vision de « souveraineté alimentaire » de Via Campesina. Pour l’organisation altermondialiste, c’est limpide : « les politiques néo-libérales détruisent la souveraineté alimentaire. Elles donnent la priorité au commerce international et non à l’alimentation des populations. »

La fin de l’abondance

Et nous serions tentés de les croire. Les avertissements sérieux commencent dès la crise alimentaire de 2007-2008 qui met en avant certaines des limites de ce système, notamment la dépendance envers les marchés internationaux avec de la spéculation sur les matières premières alimentaires, une rétention de stocks et une flambée des prix des denrées alimentaires, en particulier des céréales. Puis belote pendant l'épidémie de Covid-19 qui nous a fait toucher du doigt, dans nos contrées industrialisées, ce à quoi pourraient ressembler des pénuries alimentaires. Et re-belote avec la guerre en Ukraine. Toutefois, certaines personnes ont semblé être touchées par la grâce devant les rayons vides des supermarchés. Ainsi, contre toute attente, Emmanuel Macron déclarait en 2020 : « il existe des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché ». Et de poursuivre : « déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner notre cadre de vie, au fond, à d'autres est une folie. Nous devons en reprendre le contrôle, construire plus encore que nous ne le faisons déjà une France, une Europe souveraine. » Soit.

Des politiques à la petite semaine

Mais l’instant de grâce aura fait long feu contre les arguments massue des ténors de l’économie libérale et de la croissance. Et si face aux menaces et aux vulnérabilités bien définies de notre système alimentaire, les pouvoirs publics, qu’ils soient français, européens ou internationaux, mettent en place des gouvernances transversales pour porter la responsabilité de la souveraineté alimentaire, les mesures adoptées semblent insuffisantes devant l’ampleur des risques encourus. De l’adaptation, de la bonne volonté, mais aucune remise en cause des modèles destructeurs. Pire, il s’agit de déshabiller Jacques pour habiller Paul.

Ainsi, l’an passé, la ré-autorisation temporaire des néonicotinoïdes pour protéger les semences de betterave aurait apporté « une forme de pragmatisme politique pour une transition vers une agriculture plus durable, sans affaiblir les filières », selon Julien Denormandie, l’ancien ministre de l’Agriculture. « Autoriser les néonicotinoïdes, c’est une question de souveraineté, martèle-t-il. Sans ce choix, le risque est de tuer une filière pour finir par importer du sucre de pays étrangers aux normes environnementales bien moins-disantes que les nôtres. »

Autre exemple, plus récent, dès le début de la guerre en Ukraine : la FNSEA, le ministre de l’agriculture et la candidate LR à la présidentielle Valérie Pécresse ont appelé d’une même voix à la « libération du potentiel agricole » de l’Union européenne et de la France pour « nourrir le monde ». Pour cela, il fallait lever toute contrainte environnementale et autoriser par exemple la mise en culture des jachères avec utilisation des pesticides sur ces surfaces – chose qu’ils obtiendront en l’espace de quelques jours seulement. Emmanuel Macron parle également de revoir la stratégie européenne « De la ferme à l’assiette » qui impose une réduction des engrais et des pesticides de synthèse respectivement de 20 et 50% d’ici 2030. A l’aune de ce « produire plus » mais pas « mieux », les fervents défenseurs de la souveraineté alimentaire, telle qu’elle a été définie à ses débuts, ne sont pas au bout de leur peine…

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