[THEMA] Les nouvelles technologies, un atout au service de la transition énergétique ?

Publié le lun 25/04/2022 - 09:05

Par Elodie Crézé

Les nouvelles technologies tiennent une place de choix dans les politiques de réduction de la consommation énergétique. Si elles ont un rôle à jouer dans un monde post-pétrole, une réflexion doit être menée sur le cadre environnemental, social et politique dans lequel elles s'inscrivent. Elles ne doivent pas non plus éclipser la sobriété, nécessité face à l'effondrement des ressources planétaires.

 

Omniprésentes, les nouvelles technologies sont désormais utilisées en faveur de la transition écologique : optimisation de la collecte de déchets, préservation des ressources en eau, accroissement de l'efficacité du tri... La liste n'est pas exhaustive. Nombre de collectivités misent sur leur emploi pour créer des villes moins énergivores et plus propres. Mais pour certains chercheurs, leur usage ne doit pas occulter une réflexion globale autour de leur mise en oeuvre et de leur finalité réelle.

Car si elles constituent un formidable atout pour la sobriété énergétique, elles génèrent également de nouvelles pollutions. Le numérique, notamment, très gros consommateur d'énergie (lire encadré), n'aurait pas encore fait « sa révolution circulaire et d'usage », met en garde Isabelle Delannoy, environnementaliste. Selon elle, il faudrait cesser de posséder le hardware(1), très extractif en matières premières. Il faudrait plutôt en louer l'usage, en récupérer la matière et la réassembler localement.

Second impératif, « au niveau de l'usage, il serait préférable de développer des systèmes de partage de nos mémoires, (processeurs) par des systèmes pair à pair(2) qui ont commencé à apparaître dans les années 90 et 2000 et qui ne se sont pas déployés ». Un exemple ? Celui de l'université de Berkeley, en Californie, à la pointe en termes de modalisation climatique (Lire encadré).

« Créer des communs autour des solutions open source(3) serait alors la indispensable », martèle Isabelle Delannoy. Mais avant, concède-t-elle, « il nous faut régler les problèmes de propriété intellectuelle liés à toute cette open innovation.» En bref, « le numérique permet beaucoup d'efficience lorsqu'il est bien utilisé - pour réduire la consommation par exemple - sauf qu'il ne sert pas assez à cela aujourd'hui. Le stockage des données coûte une énergie folle !»

Bilan carbone

Puisqu'il n'est pas réellement question de se passer des nouvelles technologies, autant choisir les moins énergivores, propose Catherine Larrère, essayiste et philosophe de l'éthique environnementale(4). La philosophe se méfie notamment « de la mode du bilan carbone, qui isole tel instrument de son contexte ». Et de prendre l'exemple des JO de Pékin, « archétype de ce qu'il ne faut pas faire, où l'on créé une station de sports d'hiver totalement artificielle dans une région connue pour sa sécheresse hivernale », en ayant recours à des prétendues technologies vertes.(5) Catherine Larrère nous enjoint à éviter le piège du « solutionnisme technologique : ce leurre qui consiste à penser que l'on peut continuer à vivre comme avant en se reposant sur des solutions purement techniques. Cessons de croire que la technique réduira notre consommation énergétique à notre place !»

Inutile donc, pour réduire la consommation énergétique, d'espérer renoncer à toute forme de sobriété. A l'instar de Philippe Bihouix, membre de l'Institut Momentum, qui promeut la low tech(6). S'il rejoint Isabelle Delannoy sur la nécessité d'un usage mutualisé des outils technologiques, il insiste sur le fait qu'il serait illusoire de faire l'impasse sur la décroissance en termes de consommation d'énergie, de production de déchets et de matières premières(7). Ainsi, il résidera toujours, selon lui, un problème de ressources non renouvelables (ex le lithium nécessaire aux voitures électriques ou encore le néodyme pour les éoliennes) et un problème de « vitesse de généralisation » des nouvelles technologies à l'échelle planétaire. De fait, leur déploiement mondial, espéré souvent en 10 ou 20 ans, se heurterait aux limites de notre capacité industrielle.

Intérêt général

L'urgence serait donc... de ralentir. Pas franchement dans la logique des nouvelles technologies. Mais il ne s'agit pas de cesser d'inventer de nouvelles techniques, précise Catherine Larrère, : « depuis la nuit des temps, l'homme – c'est dans son ADN - met au point des outils pour améliorer sa qualité de vie ». Changeons en revanche nos modes de vie, préconise la philosophe et prenons en compte « le contexte social, politique et environnemental qui ne peuvent être dissociés ». Ainsi, « la question environnementale ne peut être appréhendée comme un problème technique à solutionner». Et d'illustrer son propos avec l'exemple de la ressource en eau qui ne doit pas être gérée au seul moyen d'une application, aussi efficiente soit-elle, mais qui est bien souvent liée à des conflits sociaux, avec un accès non équitable pour tous. Autre exemple, où cette fois-ci le contexte politique est à considérer, si une nation fait le choix du nucléaire, outre les questions environnementales posées sur la gestion des déchets radioactifs, « le risque réside dans la mise en place d'une structure politique autoritaire, en réponse au risque induit par la production d'une telle énergie ».

« Le problème énergétique rejoint le problème démocratique», renchérit Isabelle Delannoy. « On a besoin de nouvelles plateformes numériques d'usage local, non possédées par les géants du net, avec une gouvernance partagée des données. Les collectivités locales doivent devenir proprétaires. C'est une question d'intérêt général. Si ces plateformes numériques retournent à des proprétaires privés, alors ceux-ci auront accès à une finesse de données des utilisateurs incompatible avec la démocratie et le respect des libertés individuelles.»

Des nouvelles technologies au service d'un monde post-pétrole, oui. Mais avec le bien commun en ligne de mire, s'accordent les chercheurs. En contrepartie, « proposons des espaces de liberté en extérieur, notamment pour les enfants », ajoute Isabelle Delannoy. « On a besoin de réinvestir le réél, de réinvestir nos quartiers, d'y faire de l'événementiel, de pouvoir connaître toute l'offre de consommation nouvelle et de nous y re-rencontrer. Le numérique, comme plus largement les nouvelles technologies, doivent servir à cela.»

 

(1) support matériel, smartphone, ordinateurs, serveurs
(2) Le pair-à-pair permet à plusieurs ordinateurs de communiquer via un réseau, en y partageant simplement des objets – des fichiers le plus souvent, mais également des flux multimédias continus (streaming), le calcul réparti, un service comme la téléphonie sur IP.
(3)L'open source permet de réutiliser les lignes de codes et de relier les logiciels entre eux plutôt que d'en fabriquer sans cesse de nouveaux. La capacité à communiquer de deux logiciels différents, issus d’équipes de développement différentes s'appelle l’interopérabilité.
(4)Le Pire n'est pas certain, Catherine et Raphaël Larrère, Premier parallèle, 2020
(5)Pékin avait promis d’offrir « les premiers Jeux neutres en carbone » en utilisant 100 % d’énergie renouvelable.
(6) L’âge des low tech. Vers une civilisation techniquement soutenable, Seuil, 2014 ; Points, 2021
(7) Jour du dépassement, il faut inventer un monde de post-croissance, journal Libération, août 2017

 

Consommation d'énergie par le numérique

D'après une étude de France Stratégie (octobre 2020), un doublement de la consommation d'énergie par le numérique serait à prévoir entre 2017 et 2025. La production des équipements est le segment le plus consommateur (plus de 40% de la consommation totale du secteur). Le numérique totalisait 3,4% des émissions mondiales de gaz à effet de serre en 2017 et 7,6% sont prévues en 2025.

Cette augmentation s'explique par l'augmentation croissante des usagers. Celle-ci entraîne une augmentation de la consommation d'énergie liée à l'utilisation des outils , mais aussi à l'extraction des matières premières nécessaires pour les composants des équipements numériques, à la production de ces équipements, à leur transport et à la gestion ou au recyclage de leurs déchets.

 

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