[AGRICULTURE] En Bretagne, Kaol Kozh produit ses propres semences paysannes

Publié le ven 09/10/2020 - 07:04

Légende : Le potager de Kaol Kozh, qui promeut les semences paysannes, se trouve en creux d’habitations. Crédit : Manon Boquen. 

Par Manon Boquen

Tout part des graines. L’association Kaol Kozh, basée en Bretagne, en est persuadée. Depuis 2007, elle cherche à former jardiniers et maraîchers à la production de leurs propres semences paysannes. Un moyen de protéger la biodiversité tout en s’autonomisant.

« Au fait, tu as des 48 ? », questionne Isabelle, carré blond et sweat-shirt rose, sur la route pour sa ferme de légumes de Roscoff. René, au volant, coiffé de son béret l’accompagnant partout, acquiesce volontiers. Oui, il a ça chez lui, des « 48 ». Et non, le nombre n’a rien d’un code utilisé pour d’étranges opérations mais se veut simplement le nom, qu’entre eux, les paysans et maraîchers de l’association de défense des semences paysannes Kaol Kozh («vieux chou » en breton), ont donné à une variété de chou, justement. Plus précisément aux graines permettant d’obtenir ces choux.

Isabelle Kervellec, 54 ans et René Léa, 63, ne badinent pas sur le sujet. Depuis de longues années, tous deux produisent chez eux une partie de leurs semences pour en faire des légumes consommables et commercialisables. L’oignon de Roscoff, le chou de Ploujean ou de Lorient… Les variétés paysannes, adaptées à leur environnement et au terroir, ont retrouvé leur place dans leurs champs. Et il arrive de temps en temps qu’ils s’achètent des graines et en découvrent de nouvelles par le biais de Kaol Kozh.

Homogénéité non merci

La pratique pourtant, n’est, en théorie, pas autorisée. Interdit en effet de vendre des semences paysannes à des professionnels, depuis le décret no 81-605 de 1981 inscrit au Journal officiel. « Le ministre de l’Agriculture tient un catalogue comportant la liste limitative des variétés ou types variétaux dont les semences et plants peuvent être mis sur le marché sur le territoire national », indique le texte. Pour entrer dans les petits papiers, trois conditions sont requises : une variété distincte, stable et suffisamment homogène. Ce qu’on appelle une variété hybride puisqu’elle nécessite d’assembler les caractères intéressants de deux lignées, à l’aide d’artifices techniques, pour obtenir des plantes similaires en tout point, mais non reproductibles.

Un autre critère compte : le budget. Puisque, pour apparaître au catalogue officiel, le brevet coûte entre 6 000 et 15 000 euros. Résultat : Bayer-Monsanto, Corteva, Syngenta et Limagrain, ces quatre multinationales commercialisent la grande majorité des semences. Le constat va même plus loin puisque, selon l’Organisation des Nations-Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), 75 % des aliments de la planète proviennent d’à peine douze espèces végétales et cinq animales. De quoi perdre tout un pan de biodiversité en offrant un excellent terrain de chasse à de nouvelles maladies. En effet, les variétés sont génétiquement identiques et appauvrissent les sols en micro-organismes, premiers remparts aux agents pathogènes.

« Tel un produit industriel, on stabilise la variété au détriment de ce qui fait qu’un écosystème se maintient, c’est-à-dire la diversité », explique Véronique Chable, chercheuse généticienne à l’Institut National de Recherche Agronomique (INRA), qui a créé conjointement avec René Léa et Marc Sire, aujourd’hui animateur salarié de l’association, Kaol Kozh. Le déclic ? René, producteur de légumes à Plouescat tout juste retraité, s’en souvient comme hier : « Quand on a vu arriver les semences hybrides au début des années 2000, on a su qu’elles allaient prendre le pas sur tout le reste. »  Certains de ne pas vouloir planter de « légumes hybrides » dans leurs champs, ils se sont tournés vers les savoirs d’antan : les semences paysannes, par définition instables, hétérogènes et évolutives.

Sensibiliser le plus grand nombre

En 2007, l’association voit donc le jour en Bretagne et en Loire-Atlantique et se compose de maraîchers, de jardiniers et de chercheurs comme Véronique Chable, dans une optique participative. Une grande partie des connaissances ayant disparu après-guerre, beaucoup de variétés se sont éteintes. Tout était à apprendre et à retrouver. Les anciens ont partagé des graines qu’ils conservaient au congélateur, des producteurs ont transmis les rudiments des semences paysannes et les chercheurs ont étudié ces anciennes variétés. « En tout, il reste près d’un million d’échantillons en Europe, compte Véronique Chable. Mais ce n’est rien par rapport à ce que l’on a perdu. ». Douze ans et beaucoup de connaissances accumulées plus tard, l’organisation aux 140 adhérents ouvrait, en 2019, une première Maison des Semences Paysannes à Roscoff dans le Finistère. « Un lieu de découverte et de sensibilisation pour que jardiniers et maraîchers se réapproprient les savoirs », présente Marc Sire sur le site jouxtant le château du Laber, loué à l’association par la communauté de communes. Les fondations, pour le moment abandonnées, vont être restaurées pour y inclure des espaces de formation, de partage de matériels et une grainothèque(1).

Mais, à l’arrière, en passant une porte en bois délavée, un jardin de savoirs s’offre déjà aux curieux. Sur une petite surface entourée de murs de pierre, Marc Sire a créé un semencier témoin où les variétés de légumes foisonnent. Le jardin se visite tous les mardis. Haricots cherokee, maïs de Croatie, tomates ukrainiennes… il récupère ici-et-là de nouvelles graines, libres de droit, qu’il étudie par la même occasion. Ce matin-là, muni de ses tongs, il fait le ménage dans les plants de tomates aidé de René Léa. « Souvent, on a dit aux maraîchers et jardiniers que faire de la graine, c’était compliqué. On veut leur montrer que ce n’est pas le cas », insiste-t-il en pointant l’œil sur les rangs d’oignons. Dépendants du secteur privé, les professionnels ont progressivement perdu leur autonomie au profit de grands groupes vendeurs de semences. Pourtant, le quadra le promet : muni de quelques connaissances, faire ses propres semences est possible. Un exemple ? Six kilos de graines donnent deux hectares d’oignons à cultiver.

Un travail de longue haleine

C’est ce qu’Isabelle Kervallec met en œuvre dans ses champs d’oignons de Roscoff, un légume issu de semences paysannes, maintenant protégé par une AOP. Elle sourit : « Les semences, on n’apprend pas à faire ça à l’école. Moi, j’ai appris avec mon beau-père. » Son petit semencier tient sur dix ares, dont elle retire huit à seize kilos de graines selon les années.

Si la vente des graines de variétés paysannes a été autorisée en juin 2020 pour les particuliers, « une première reconnaissance » selon Marc Sire, elle reste interdite pour les professionnels qui ne peuvent pas non plus commercialiser les produits de ces semences. Une réglementation que Kaol Kozh est parvenue à contourner comme s’en réjouit René : « On a déclaré que les semences appartenaient à tous et on a rémunéré la personne qui nous donnait les graines en fonction de la production. » L’association n’a pas rencontré d’ennuis depuis. Plus que de contourner les lois, reste malgré tout sa volonté de faire connaître et développer les semences paysannes au plus grand nombre. « La racine du problème est plus profonde et concerne la façon dont on conçoit la vie de l’Homme sur cette planète », théorise la chercheuse Véronique Chable. Le chemin est encore long mais les membres de Kaol Kozh ne perdent pas espoir et en apprennent toujours plus. Leur dernière trouvaille ? Le « bricoli », une variété de brocoli tardif qui se cueille en novembre.

Note de bas de page :

  1. Lieu où il est possible de déposer et échanger librement des graines de fleurs, de fruits et de légumes.

Plus d’infos

kaolkozh.bzh

www.semencespaysannes.org

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