« Si les réglementations semencières s’assouplissent, les agriculteurs auront plus de liberté »

Publié le ven 09/10/2020 - 07:57

légende : espèce de tomate ancienne issue de semences paysannes de Koal Kozh. Crédit : Manon Boquen

Recueillis par Élodie Crézé

Frédéric Thomas est chercheur au CNRS en biologie évolutive. Pour lui, la question des semences paysannes est sur la bonne voie pour réussir à s’imposer davantage,  mais il reste du chemin à parcourir pour leur complète libération.

 

Quel est l’enjeu des semences paysannes, notamment leur impact sur l’alimentation, en particulier dans les pays du Sud ?

Dans les pays les plus pauvres ou émergents, la plupart des systèmes agraires vivriers sont dépendants d’une production de semences par les agriculteurs eux-mêmes. Le système marchand, lui, ne parvient pas à répondre aux besoins des paysans locaux : soit parce que les semences sont trop chères, soit parce que les zones sont reculées. Ajoutons que les réglementations semencières de ces pays ne protègent pas assez les variétés commerciales. Les réseaux marchands n’investissent pas ces régions jugées, au final, pas assez solvables. Dans ce contexte, interdire d’un seul coup les semences fermières produites par les agriculteurs serait un non-sens. Malheureusement, les lobbies industriels exercent une pression auprès des ministères des agricultures pour les inciter à suivre le système européen ou américain en interdisant la pratique des semences de ferme…

En quoi les semences paysannes remettent en question la dépendance des paysans aux grands groupes industriels ?

D’abord, s’il est vrai de dire qu’à l’échelle internationale, le marché des semences est tenu par un oligopole constitué de quelques grands groupes(1) qui détiennent près de 80% du marché mondial des semences, ce marché reste avant tout celui des échanges entre les États. Il n’inclut pas forcément les pratiques à l’intérieur d’un seul pays. Ainsi, le marché domestique des semences n’en demeure pas moins très important ! Précisons ensuite que si des paysans souhaitent se tourner vers l’agroécologie, d’autres, nombreux, préfèrent garder des variétés performantes, issues des grands groupes industriels. De leur côté, les lobbies industriels résistent au discours de l’agroécologie car ils savent que si les réglementations semencières(2) s’assouplissent, les agriculteurs auront plus de liberté pour aller vers d’autres systèmes. Mais la grande bataille des semences paysannes a commencé à devenir publique. Ses défenseurs marquent progressivement des points sur l’idée que les réglementations semencières sont trop industrielles(2) et pas assez inclusives de la diversité des acteurs pour réintégrer les problématiques de conservation de la biodiversité dans les champs. Une nécessité pourtant, pour une agriculture plus résiliente.

  1. Entre autres Bayer, Monsanto, Syngenta, DowDupont.
  2. « Les réglementations semencières ont été construites au cours des Trente Glorieuses, favorisant un système industriel de mécanisation des cultures, de rentabilité aujourd’hui à bout de souffle, pour des raisons sanitaires, de surproduction et d’écologie des sols qui sont épuisés ». F. Thomas

NB : Distinction à faire entre les semences de fermes, qui peuvent être produites à partir de n’importe quel type de variétés, aussi bien industrielles qu’anciennes (donc ne sont pas forcément synonymes de biodiversité) ; et les semences paysannes qui nourrissent la biodiversité en utilisant essentiellement des variétés anciennes.

 

Plus d’infos : www.youtube.com/channel/UCQktYBFFWHuzUqudgmjx93w

Chaîne Youtube de Frédéric Thomas Histoire politique des plantes et des forêts

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