[DOSSIER] Entretien avec Gilbert Cochet et Béatrice Kremer-Cochet : « Il faut faire confiance en la capacité de la nature à se régénérer toute seule »

Publié le lun 05/07/2021 - 14:00
© Estelle Pereira

Propos recueillis par Estelle Pereira

Béatrice Kremer-Cochet et Gilbert Cochet sont à l’initiative de la vulgarisation en France de la notion anglo-saxonne de « réensauvagement ». Les deux naturalistes ont ausculté le grand retour du monde sauvage dans L’Europe réensauvagée - Vers un nouveau monde (Actes Sud, 2020) et en ont tiré des préconisations afin de limiter l’impact humain sur les milieux naturels, nous invitant à lâcher du lest, tout en savourant les bienfaits que la nature peut avoir sur notre psychisme.

Qu’avez-vous découvert en sillonnant l'Europe à la découverte des espèces sauvages?

Béatrice Kremer-Cochet : Pendant une vingtaine d'années, nous avons beaucoup voyagé. Nous avons eu comme un choc culturel auquel on ne s'attendait pas. Dans les pays anglo-saxons, comme aux États-Unis ou en Australie, les rapports des populations à la vie sauvage ne sont pas les mêmes. Il existe encore une proximité entre ces deux mondes qu’en Europe, la plupart des gens ont perdu. Et elle procure un réel bonheur !

Gilbert Cochet : À notre retour, nous avons vu la France, et plus généralement l’Europe, avec un œil neuf. Nous sommes bénis par une mosaïque d’écosystèmes très variés, mais certains sont complètement vides de vie animale. L’idée est de convaincre nos compatriotes qu’autre chose est possible, en prenant des exemples dans toute l’Europe, là où le sauvage a fait son retour grâce à la libre évolution.

Vous défendez dans votre livre l’idée que l’Humain a tout à gagner à un retour de la vie sauvage. Pour quelles raisons ?

Béatrice Kremer-Cochet : Il ne faut pas oublier que le vivant non-humain, ce sont quatre milliards d’années de recherche et de développement pendant lesquelles la nature a procédé par essais, erreurs, rectifications. Un milieu qui fonctionne naturellement, sans gestion humaine, est donc quasiment parfait parce que tout ce qui ne marchait pas a été naturellement éliminé. Il faut faire confiance en la capacité de la nature à se régénérer toute seule. Mais pour cela, il faut lui en laisser le temps.

Gilbert Cochet : Il y a aussi les services que nous rend la nature. Au-delà de la purification de l’air et de l’eau, elle peut nous aider à lutter contre les changements climatiques. Une forêt est capable d’imposer son climat. Mais en France, elles sont trop petites pour cela [79 % des arbres de la forêt française ont moins de 100 ans, ndrl]. On estime qu’il leur faut 1 000 ans pour que se régénère toute sa biodiversité.

Pourquoi le mot “réensauvagement” fait-il peur et le terme de “libre évolution” lui est-il parfois préféré ?

Béatrice Kremer-Cochet : En France, certaines personnes associent le sauvage à quelque chose de menaçant. C’est un terme qui a été utilisé par des partis politiques pour qualifier notamment la violence qui a lieu dans des banlieues. Nous ne parlons pas du tout de la même chose : “sauvage”, vient de silva, “la forêt” en latin. Réensauvager, c’est permettre le retour de cet écosystème forestier qui était dominant en Europe avant le Néolithique. Avant la transformation du chasseur-cueilleur en horticulteur-éleveur, 80 % de l’Europe était couverte de forêts.

Gilbert Cochet : Heureusement que nous avons créé les parcs nationaux, sinon on pourrait raconter impunément que sans l’espèce humaine, la nature n’est rien. En 2014, les Suisses ont fêté les 100 ans de leur parc national, sans aucune intervention humaine. Et tout se passe bien ! Les fameuses prairies, dont on disait qu’elles allaient disparaître sans l’élevage, sont toujours là parce qu’il y a les cerfs et les biches qui viennent s’y nourrir. L’écosystème s’est reconstitué.

L’Humain n’est donc plus naturel ?

Béatrice Kremer-Cochet : L’Humain est naturel, mais en même temps, est-il nécessaire qu’il gère la planète toute entière ? Peut-on imaginer qu’il laisse la nature évoluer toute seule sur une petite partie de la planète ? Cela ne veut pas dire que dans une forêt en libre évolution l’être humain n’a pas sa place, mais seulement qu’il ne la gérera pas. Cette façon de voir les choses est difficile car nous avons pris l’habitude de tout maîtriser, même si cela nous donne énormément de travail et que ce n’est pas très rentable. Même parmi les adeptes d’une gestion durable, beaucoup ont la certitude qu’il nous faut entretenir la forêt, sans quoi elle court à la catastrophe.

Il existe des personnes soucieuses de la nature qui voient leur projet d’installation en habitat réversible refusé parce que situé dans une zone naturelle. Est-il envisageable pour des humains de vivre en harmonie avec le vivant?

Béatrice Kremer-Cochet : J’aurais tendance à demander à ces gens-là pourquoi elles souhaitent occuper le peu de nature qui reste encore sans occupation humaine. Pourquoi ne pas avoir une démarche inverse ? C’est-à-dire essayer de faire revenir la nature dans des habitats, des endroits où elle a complètement disparu. Ce serait peut-être plus intéressant.

Pour autant, nous avons besoin de la nature et ce n’est pas un hasard si ces personnes ont envie de s’installer dans ces zones naturelles : elles s’y sentent bien ! On a tellement aseptisé les habitats que c’est devenu invivable ! Nous en avons vraiment pris conscience lors du premier confinement. Les gens qui ont pu sortir de la ville se sont rués dans les bois, dans les campagnes, à la plage. Ils ont eu une soif de nature dont ils n’avaient jamais eu conscience auparavant.

Garantissez l'indépendance rédactionnelle et financière de Sans transition !