[THEMA] Le service civique, un engagement populaire mais précaire

Publié le lun 17/10/2022 - 12:00

Par Anna Sardin

Depuis sa création en 2010 par le gouvernement de Nicolas Sarkozy, le service civique fait des milliers d’adeptes chez les 15-25 ans. Pour les jeunes engagés en mission, les expériences proposées sont certes enrichissantes, mais peuvent mener à des abus. Le dispositif continue pourtant de séduire, avec un nombre d’entrées en mission qui a quadruplé entre 2014 et 2021.

Lutter contre l’isolement des seniors à Périgueux, accompagner des personnes en situation de déficience intellectuelle en Belgique ou encore participer à l’organisation d’un club de football à Paris… Chaque année, plus d’une centaine de milliers de jeunes effectuent des missions de service civique de 6 à 12 mois. En 2022, il est possible de s’engager dans un des dix domaines d’intervention proposés : de l’éducation pour tous à l’environnement, en passant par la solidarité ou encore le sport. Entre 2017 et 2021, les jeunes en mission ont même représenté 10 % des 16-25 ans1. Alors qu’il existe depuis maintenant douze ans, le dispositif continue de prendre de l’ampleur, bénéficiant d’une image toujours très positive à leurs yeux : 91 % des engagés répondants s’en disent satisfait2.

Des expériences enrichissantes

C’est le cas de Mona, une étudiante de 25 ans. Pour elle, son service civique dans un club de sport rennais, c’était un peu le gros lot : « J’avais un contrat de 24 heures que j’ai pu faire en parallèle de mes études. Gagner 600€ euros par mois, ce n’est pas négligeable quand on est étudiante. » Elle décrit un tuteur disponible, une structure accueillante et des missions qui lui ont donné l’occasion de transmettre son goût pour le sport tout en développant des compétences professionnelles.

Une expérience idéale, conforme à l’évolution des fonctions du service civique au fil du temps. 80 % des volontaires estiment que leur mission les a aidés dans la définition de leur projet d’avenir, selon l’enquête post-Service civique de 2020. « Initialement, l’objectif du service civique était vraiment de sensibiliser les jeunes à la question de l’engagement social », explique Patricia Loncle, enseignante chercheuse et titulaire de la chaire de recherche sur la jeunesse à l’EHESP. « C’est devenu aussi un instrument d’insertion professionnelleOn voit que ça constitue pour les jeunes une forme de premier emploi. »

Pour Léa, l’engagement en service civique a été encore plus révélateur. À 20 ans, alors qu’elle se destinait à travailler dans l’aide sociale à l’enfance, elle effectue une mission de dix mois dans une école Montessori de la Somme. Être au contact des enfants l’a convaincue de poursuivre des études pour devenir psychologue dans l’Éducation nationale. « Sans ce service civique, je me serais trompée de filière », affirme-t-elle. « Aujourd’hui, j’utilise encore ce que j’y ai appris pour mes recherches sur l’apport de la pédagogie Montessori ». De son côté, Béatrice Angrand, la directrice de l’Agence du Service Civique, voit d’un œil serein cette réorientation : « Ce qui compte, c’est l’élan. Il n’y a jamais de mauvaises raisons de s’engager ». Si certains se lancent par envie d’accomplir une mission d’intérêt général, les motivations principales de l’engagement sont l’expérience professionnelle et le revenu, devant l’envie de se réorienter ou d’avoir une activité à temps partiel3.

Un engagement qui reste précaire

Pourtant, l’expérience de Léa n’a rien eu d’un long fleuve tranquille. « On devait tout faire, y compris le ménage », détaille la jeune fille. « Je me suis sentie un peu exploitée. Mais en même temps j’adhérais au projet, l’école n’avait pas trop de budget mais j’avais envie d’aider. Je dépassais donc régulièrement les 32 heures prévues par mon contrat ». Ici, Patricia Loncle concède : « On peut imaginer qu’il y ait des services civiques de manière massive dans les secteurs où il y a peu de moyens, qui viennent palier les faibles budgets d’un certain nombre d’organisations. Pour les entreprises, ce sont parfois – pas toujours – des formes d’emploi un peu déguisées. ».

En effet, quel que soit son temps de travail hebdomadaire (variable entre 24 et 48 heures), le contrat de service civique n’est indemnisé qu’à hauteur de 601€ net par mois. Un choix initial d’ordre philosophique, selon Béatrice Angrand : « Indemniser les jeunes indépendamment du nombre d’heures, c’était pour bien distinguer la mission de service civique d’un emploi. C’est un outil d’accessibilité ». Si, comme Mona ou Léa, certains peuvent toucher cette rémunération en parallèle des bourses d’étude, 46 % des volontaires n’ont d’autres revenus que cette indemnité. Et si d’aucuns trouvent la parade en continuant de vivre chez leurs parents, 44 % des engagés estiment que cela ne suffit pas à couvrir leurs besoins mensuels. « C’est une question que nous avons porté auprès des décideurs politiques », assure la directrice de l’Agence.

Pour peu que l’expérience ne soit pas optimale, le service civique peut alors rapidement tourner au cauchemar. Ce fut le cas de celui de Marina*, 24 ans, en service civique dans une résidence d’accompagnement pour des personnes atteintes de trisomie 21 du Pas-de-Calais. Déjà formée dans le social, elle s’engage pour « parler d’inclusion, faire de l’associatif ». Elle raconte un recrutement sur compétences, des tâches correspondant à celles d’une éducatrice spécialisée, une ambiance de travail délétère. « Au bout de quelques mois, j’ai démissionné, témoigne-t-elle. Personne ne me faisait confiance, je ressentais un énorme mal-être ».

« C’est un peu la loterie »

Pourtant, la directrice de l’Agence du service civique décrit un protocole de contrôle scrupuleux, en amont comme en aval des missions. En examinant la demande d’agrément des structures qui candidatent pour pouvoir accueillir des services civiques, le service de l’État vérifie notamment la conformité du projet d’accueil, celle des formations, et la capacité de l’organisation à payer la part de l’indemnité à sa charge, soit 111 euros par mois. Mais parmi les 10 500 structures qui accueillent parfois de nombreux services civiques en même temps, certains cas peuvent passer à travers les mailles du filet. C’est une situation bien connue de Patricia Loncle : « Au sein d’une même organisation, il y a des différences en termes de missions, d’accompagnement, de marge de manœuvre laissée aux jeunes ».

Des procédures de contrôle existent aussi en aval : « L’agence diligente des contrôles, et nous sommes en lien avec les volontaires via un standard, une boite mail et des messageries privées ». Une démarche qui se solde par un nombre résiduel de réclamations : 79 pour l’année 2021, soit 0,05% des jeunes en service civique.

Pour la sociologue de la jeunesse Patricia Loncle, les conclusions se font donc au cas par cas : « Parfois, les missions de service civique sont très formatrices pour les jeunes parce qu’on va à la fois les sécuriser et les laisser faire beaucoup de choses. Parfois c’est l’inverse. ». « Les services civiques, c’est un peu la loterie », résume Mona. Si l’essentiel des missions se révèlent formatrices pour les jeunes engagés, il reste des points d’amélioration conséquents pour garantir une expérience optimale pour toutes et tous.

*Le prénom a été modifié

Plus d’infos

 

1 Le Service civique en chiffres, INJEP 2022 - https://injep.fr/wp-content/uploads/2022/08/FR41_service_civique_Actu2022_2.pdf

2 Rapport d’activité 2021, Agence du Service civique. Rapport_d'Activité_2021.pdf

3 Rapport sur le service civique, INJEP. https://injep.fr/wp-content/uploads/2021/05/rapport-2021-09-Service-civ…

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