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Par Julie Chansel
La Préfecture de l’Hérault a fait expulser en septembre quatre bidonvilles de Montpellier, renvoyant des centaines de familles à la rue ou à l’hôtel, sans susciter d’opposition de la mairie, mais provoquant la colère des associations qui y mènent depuis des années un patient travail pour résorber ces habitats indignes et réinsérer les habitants, financé par la ville et l’Etat.
Entre le 31 août et le 8 septembre, quatre des treize bidonvilles de l’agglomération montpelliéraine ont été expulsés sur décision du préfet de l’Hérault. « Jusque-là, les préfectures étaient pourtant sur une ligne ‘’pas d’expulsion sans solution’’, s’indigne Sylvie Chamvoux, directrice de l'Agence régionale Occitanie de la Fondation Abbé Pierre. Selon le préfet, les bidonvilles ne sont pas souhaitables, mais personne ne souhaite des bidonvilles sur la métropole de Montpellier ! Ces familles y vivent parce que rien d’autre ne leur est proposé. Certaines étaient d’ailleurs en procédure de relogement. »
Près de 900 personnes vivaient fin 2020 dans un de ces treize bidonvilles, dont presque 400 enfants, certaines y étant arrivées dès 2004. Un travail social global associatif était effectué depuis 2015 en vue de la résorption de ces habitats indignes et de la réinsertion des habitants, co-financé par l'État et la ville. D’où l’incompréhension des associations face à ces expulsions. « Le travail inter-associatif mené en concertation avec l’Etat (1) et la mairie prenait tout son sens et portait ses fruits. Tout cela est remis en cause », se désole Christophe Perrin, de la Cimade.
Familles à la rue, enfants déscolarisés
La moitié des personnes expulsées a été mise à l’abri dans des hôtels, mais ceux-ci sont souvent éloignés de leur lieu de travail, sans cuisine et inadaptés à une vie familiale. Les autres - des couples, des femmes seules avec enfants, des jeunes adultes seuls de moins de 20 ans - dorment à la rue, dans des voitures ou ont rejoint trois nouveaux bidonvilles. Au lieu de poursuivre leur travail au long cours, l’Area (qui intervenait sur les bidonvilles du Mas Rouge 1 et 2, expulsés le 31 août, et du Zénith 2, le 8 septembre) comme La Cimade (présent sur le Zénith 3) doivent gèrent les conséquences dramatiques des expulsions. « On a basculé en mode humanitaire, s’alarme Catherine Vassaux, directrice de l’Area (Association Recherche Éducation Action). On ne fait plus de travail social, on essaye de comprendre où sont les gens, comment ils vont. Concernant la scolarisation des enfants, c’est une catastrophe ! Pour la rentrée, seuls trois enfants du Mas Rouge sur 21 se sont présentés. »
Jusqu’aux expulsions, « une relative stabilité avait permis d’accompagner les personnes sur l’insertion professionnelle, la scolarisation des enfants et sur la santé, témoigne Damien Nantes, coordinateur de Médecins du Monde Languedoc- Roussillon qui menait des actions de médiation pour permettre aux personnes d’accéder aux soins dans le système de droit commun et à une couverture santé. Les expulsions stoppent tout processus de réinsertion. » Des actions de prévention sur les besoins en santé avaient été menées en inter-associatif et avec les habitants, par exemple des ateliers sur la santé bucco-dentaire. D’autres, sur la santé sexuelle et reproductive, étaient en préparation. « Pendant que les personnes sont en errance, la question du soin et de la santé devient secondaire, leur priorité étant d’abriter leurs enfants et de les nourrir », poursuit-il.
Initiatives intempestives de la Préfecture
Pourquoi la mairie de Montpellier (2), propriétaire de la plupart des terrains sur lesquels sont installés les bidonvilles, « partie prenante depuis l’été 2020 d’une réflexion politique de long terme, un plan de résorption qu’elle cofinance, y compris en allant chercher auprès de la Région des fonds européens pour leur mise en oeuvre » selon Damien Nantes, ne s’est-elle pas opposée ces expulsions ? « Les explications données par la mairie étaient abracadabrantesques, ironise Christophe Perrin de la Cimade. Or nous avons besoin d’un positionnement clair. »
Dans plusieurs communiqués, pendant et après les expulsions, la mairie a réaffirmé sa volonté de continuer le travail partenarial avec les associations. « La municipalité n’a pas formulé de demande d’expulsion de bidonvilles et demeure extérieure à ces opérations initiées par la Préfecture, en application d'une décision de justice et sur la base d'une demande formulée sous le précédent mandat », précise un communiqué du 8 septembre. Réaction insuffisante pour les associations qui souhaitent que la municipalité dirigée par le socialiste Michaël Delafosse prenne des positions, y compris juridiques, « très claires vis-à-vis des initiatives intempestives du préfet de l’Hérault ».
Me Élise de Foucauld, avocate de plusieurs personnes expulsées, s’interroge sur le positionnement de la mairie, propriétaire d’un terrain où se trouve un petit campement dit TGV Sud pour lequel elle a déposé une assignation à bref délai devant le juge de l’exécution. Elle dénonce « une vraie schizophrénie politique ». « Ce n'est pas que la mairie ne s'oppose pas aux expulsions, c'est qu'elle les demande !, affirme-t-elle. Soit on expulse avec un processus de relogement, soit on le fait comme monsieur le maire aujourd'hui avec pour conséquence la résurgence de nouveaux bidonvilles ailleurs. »
Plaintes et manifestations
L’avocate a également déposé plainte le 16 septembre auprès du procureur de la République pour plusieurs habitants expulsés au sujet d’une série de faits - menaces avec arme et suspicions d’incendies volontaires - allant du 1er au 16 septembre. En effet, trois incendies ont eu lieu en moins d’un mois, suivis d’expulsions au Mas Rouge et à Zénith 2, le dernier étant survenu mi-septembre avenue Nina-Simone, où l’Area intervient depuis 2016. « Autant d’incendies en si peu de temps, cela ne s’est jamais vu ! Avec de plus des menaces d’individus cagoulés de noir et armés qui tirent en l’air sur les bidonvilles de Saporta, de la Mosson, du Zénith 1 et 2 et de La Blaquière… », s’inquiète Catherine Vassaux, se fondant sur des témoignages d’habitants. Les associations demandent que leur protection soit assurée et qu’une enquête soit menée. Un collectif a manifesté, à l'appel de la Ligue des Droits de l'Homme, contre la violence dont les habitants des bidonvilles font l’objet.
Après l'incendie de l’ancien Ehpad de l’avenue Nina-Simone et au vu du travail social entrepris, le préfet a accepté de surseoir à l’expulsion pour trois semaines, le temps qu’un « habitat intercalaire » soit trouvé. Les 35 personnes qui y habitent, dont quatorze enfants, vivent depuis « entre la peur et l'expectative, en voyant les expulsés des bidonvilles dormir à la rue et en attendant la décision concernant un logement intercalaire », témoigne la responsable de l’Area.
Dimanche 12 septembre, lors de l’Antigone des associations à Montpellier, des dizaines de personnes sont venues auprès de l’Area pour témoigner leur soutien à ces « concitoyens expulsés de leurs domiciles ». Pour Catherine Vassaux, « 90 % des habitants de Montpellier pensent que la solution aux bidonvilles est la mise en place de politiques sociales ». La mairie aussi, qui a lancé en juin 2020 un « plan de résorption de l'habitat indigne, et notamment des bidonvilles, en mobilisant les associations et acteurs de la solidarité ». Associations dont il faudra désormais regagner la confiance.
Note de bas de page :
(1) La Délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement des personnes sans abri ou mal logées (Dihal) et la Direction départementale de l’emploi, du travail et des solidarités (DDETS).
(2) Sollicitée à plusieurs reprises pour un entretien, la mairie de Montpellier n'a pas répondu à nos demandes, tout comme la préfecture de l'Hérault.