[REPORTAGE] Bretagne : la ruée vers l’or bleu

Publié le ven 19/11/2021 - 11:00
© Sarah Roullier

Par Sarah Roullier

Le Finistère abrite le plus grand champ d’algues d’Europe mais seulement 173 licences de récoltants de rives et 78 de goémoniers professionnels. Pour rendre plus durable la ruée vers ces plantes dont on découvre de plus en plus de vertus et d’usages, des quotas de ramassage ont été institués tandis que des instituts de recherche travaillent à développer une culture propre.

A marée basse, bottes en caoutchouc aux pieds, Véronique et Sandra Arzel sillonnent les côtes du Finistère de la presqu’île Saint-Laurent jusqu’à Saint-Pabu en passant par la côte touristique de Landunvez et Tréompan, pour ramasser les algues commandées par des entreprises clientes . « On a la plus belle vue de la fenêtre du bureau », plaisante Véronique, récoltante d'algues professionnelle à quelques années de la retraite. Sa fille Sandra a abandonné ses études de coiffure pour la rejoindre. « J’étouffais, j’avais besoin de l’immensité de la plage, d’être au grand air, avec les oiseaux marins, les phoques dans la brume..., raconte la jeune femme, les yeux brillants. Je me suis mise à mon compte, comme ma mère. Mais il faut que ce soit un métier passion, sinon on ne peut pas durer dans la profession, ça reste un métier dur.» Les mains entre les rochers, à demi-immergées dans une eau à 14 °C, les petits doigts fouillent, coupent et mettent en sac cet or brun, vert, rouge… Une profession physique, très respectée par les populations littorales, qu’elles ne troqueraient pour rien au monde.

78 licences de goémoniers

Le métier s’est professionnalisé. Véronique et Sandra font partie des 173 professionnels autorisés à récolter les algues de rives en Finistère, auxquels il faut ajouter 78 licences de goémoniers délivrées en Bretagne pour les récoltes en bateau, dont 31 à des navires du Finistère. « Et ce nombre est bloqué », affirme Éric Guivarch, responsable du laboratoire de R&D de l’entreprise bretonne Agrimer. « Il y a quelques années, tout le monde pouvait récolter des algues de rive. Maintenant il y a un permis à avoir pour chaque variété d’algues, explique Véronique Arzel. C’est important de bien faire les choses pour que les algues puissent repousser et que notre métier perdure ».

En quelques années, Véronique a pu observer un accroissement de la demande. « Nous ramassons de plus en plus de variétés différentes, notamment certaines algues qui n’étaient pas exploitées il y a quelques années comme le codium et qu’on nous commande maintenant, notamment pour la cosmétique, explique-t-elle. Il faut parfois se documenter en amont pour savoir de quelle espèce on parle. »

Une fois les algues ramassées, le travail des deux récoltantes se poursuit par plusieurs jours de séchage et de retournage, parfois sur les dunes, parfois sous serre. « Certaines entreprises nous commandent des algues fraîches, mais d’autres des algues sèches, précisent-elles, en étalant et retournant à la fourche leur pêche du jour, du « p’tit goem » qui doit sécher et blanchir pour une commande spéciale. Comme la récolte, le séchage est souvent conditionné par les éléments et les fenêtres météo favorables. » C’est toute une vie qui s’organise autour des algues. Des touristes de passage observent les récoltantes de loin, sans oser s’approcher. « Souvent les gens viennent nous demander ce qu’on récolte, pourquoi on étale nos algues », témoigne Véronique, toujours enchantée de partager son savoir.

renniser la ressource

Situés au cœur du parc marin d’Iroise, réserve de biosphère classée par l’Unesco, les champs d’algues du Finistère sont largement exploités depuis des décennies. Pour les préserver, l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer) de Brest analyse depuis des années l’état de santé des différentes espèces. Notamment des laminaires, des algues brunes en forme de ruban qui peuvent mesurer jusqu'à 4 mètres de long, très demandées par l’industrie.

Martial Laurans, référent sur les ressources en algues à l’Ifremer, élabore chaque année des préconisations en fonction de l’état de la ressource, qu’il fait appliquer en concertation avec le CNRS, le comité des pêches et les professionnels du secteur. « Scientifiques, naturalistes et pêcheurs-goémoniers se sont mis d’accord pour mettre en place des quotas : un tonnage (autour de 60 000 tonnes en 2020) à ne pas dépasser afin d’assurer une bonne gestion de la ressource, mais aussi des zones de jachères et des bonnes pratiques de récolte », détaille le spécialiste.

Développer la culture

Avec ces précautions pour préserver la ressource et la demande croissante, le ramassage ne suffit plus et la filière se tourne désormais vers la culture d’algues en pleine mer. L’algoculture a débuté en mer d’Iroise ainsi que dans le sud Finistère et des concessions y ont vu le jour. « Pour une production plus importante, l’avenir de la filière c’est la culture, en mer ou en bassin  », soutient Éric Guivarch, dont l’entreprise Agrimer commercialise des algues pour l’agriculture, la cosmétique et la nutrition. Même analyse de Philippe Potin, directeur de recherche au CNRS à la station biologique de Roscoff, l’un des plus grands spécialistes des algues en France. « Il faut faire attention aux ressources naturelles et, si on veut augmenter notre production demain, nous n’aurons pas d’autres recours que de cultiver. La culture permet de produire des algues de qualité maîtrisée et rigoureusement propres. »

Dans ces champs, les tempêtes, les navires et les prédateurs marins sont des contraintes à prendre en compte. Ce qui fait que, pour le moment, l’algue de culture reste chère à produire et ne représente que 1% de la production bretonne. Résoudre ces difficultés et assister les algoculteurs dans leur production fait partie des objectifs de la station biologique de Roscoff. « Avec la connaissance génétique des algues, une de nos missions est d’être capable de sélectionner les meilleures variétés d’algues pour les environnements dans lesquels elles doivent pousser, comme cela se fait en agriculture », indique Philippe Potin.

Intérêt industriel

Le docteur en biologie marine a coordonné pendant dix ans Idealg, un projet associant une vingtaine de partenaires publics et privés (1), visant à introduire les biotechnologies au sein de la filière des macroalgues, en se focalisant sur la recherche de molécules et principes actifs issus des algues. « Le projet développe de nouveaux outils et méthodes permettant d’identifier et sélectionner des populations ressources locales ayant un intérêt industriel », explique-t-il.

Les algues, usines biochimiques naturelles, sont une promesse d’avenir pour une agriculture plus propre car elles fabriquent des sucres et des protéines qui stimulent la croissance des plantes, les rendant plus résistantes aux maladies en évitant l’utilisation d’engrais. Mais pour qu’elles tiennent ces promesses, encore faut-il organiser un développement soutenable de leur production. C’est le but de la création en 2021 de la Safe Seaweed Coalition, une coalition mondiale pilotée par la station biologique de Roscoff, financée par Lloyd’s Registrer Foundation, avec le soutien du Pacte mondial des Nations-Unies UN Global Compact. « Les algues représentent un enjeu majeur pour la planète, souligne Philippe Potin : économique et social en ce qui touche à l’industrie et à la nutrition, mais aussi environnemental en ce qui concerne le réchauffement climatique et la biodiversité. ». Seules ressources alimentaires à avoir un impact neutre sur l’écosystème marin, les algues pourraient aussi devenir des alternatives biosourcées pour de nombreux usages, de la santé aux biomatériaux.

 

Note :

(1) Une dizaines d’organismes de recherche, un centre technique des algues et cinq entreprises bretonnes spécialisées dans l’aquaculture et la valorisation des algues

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