[AGIR POUR LE VIVANT] Cyril Dion, « Seule la coopération nous sortira de l’impasse collective »

Publié le mar 13/07/2021 - 10:03
Crédit photo : Fanny Dion

Propos recueillis par Julien Dezécot

Écrivain, réalisateur et militant écologiste, Cyril Dion va sortir un nouveau film, Animal. Objectif : montrer les solutions qui visent à réparer notre biodiversité menacée. L'occasion de (re) découvrir son entretien.

Cyril Dion, auteur et réalisateur très engagé dans les questions de transition durable et de biodiversité au travers de son œuvre, échange sur sa vision du « monde d'après », dans ce contexte particulier. Quelles solutions pour demain ? Entre concertations citoyennes et territoires résilients, mais également changement climatique et risques pour la biodiversité, Cyril Dion exprime ses craintes et ses espoirs.

Post- Covid, quelle Transition va - selon vous - être mise en œuvre en France ?

Pour l'heure, j'observe que certains lobbys - notamment agricoles - ont à nouveau tenté, durant cette crise majeure, de lever les « contraintes environnementales ». Et en France, comme dans la plupart des pays européens, les gouvernements prévoient des plans de relance plutôt classiques, avec malheureusement peu de place à la transition écologique. Aux États-Unis, c'est même pire, puisqu'on lève les limitations de gaz à effet de serre et les mesures de pollution atmosphérique...
En somme, bien que tout le monde clame : « Ça va changer, plus jamais comme avant… », qui peut vraiment y croire ? C'est exactement ce qu'a montré la journaliste canadienne Naomi Klein. Dans La Stratégie du choc, elle décrit comment certains gouvernements profitent de telles crises pour  passer des mesures encore plus libérales.

Paradoxalement, le contexte actuel (crise sanitaire, changement climatique, perte de biodiversité, inégalités intenables), offre un moment idéal pour construire un modèle économique alternatif.
Mais comme le souligne Rob Hopkins, « On a encore un vrai défaut d'imagination ! ». Car peu de gens prennent vraiment la peine de réfléchir au monde de demain : quels seront les secteurs vitaux à l'avenir ? Comment une économie post - croissance pourrait-elle fonctionner ? Un monde sans carbone ? Comment réparer notre biodiversité ? Il nous faut sortir de ce cercle vicieux infernal !

 

Va-t-on, selon vous, vers un effondrement de notre système économique ?

Si l'on regarde les prévisions des climatologues, des chercheurs sur la biodiversité, de Piketty sur les inégalités… Il est clair qu’un certain nombre de facteurs se conjuguent pour mettre en évidence une situation particulièrement épineuse. Et c'est bien la coopération, notamment à l'échelle européenne, et non la seule compétition qui nous sortira de cette impasse collective.
Je ne sais pas si ces indicateurs sont les prémices d'un effondrement, mais ils montrent la fragilité de nos sociétés, liée à notre spécialisation dans la course à la mondialisation. Trop peu de place est faite à la construction de territoires résilients. Au détriment d'une croissance rapide et infinie, qui fragilise nos sociétés, ainsi qu'une non-redistribution devenue inquiétante.

 

Faut-il imaginer un Conseil de la résistance écologique et social, pour préparer le fameux « monde d'après » ?

C'est tout à fait possible mais uniquement si des citoyens s'y engagent. Qui va prendre en charge un tel travail ? Qui veut faire le job ? J'ai envie de dire à tous mes amis altermondialistes, faisons-le, montons au créneau plutôt que de rester dans l'incantation et la seule opposition ! Comment intégrer les citoyens ? Avec des assemblées délibératives, en tirant des gens au sort. Ces derniers proposeraient ensuite des mesures soumises à un référendum local. Cela signifierait une autre organisation de la prise de décision.

 

Justement, les 150 citoyens tirés au sort pour la Convention citoyenne sur le climat, est-ce une bonne idée qui s'inscrit dans cette logique participative ?

Oui, c’est moi qui l'avais proposée à M. Macron. Malgré les contraintes liées notamment au coronavirus, son déroulement s'est très bien passé et confirme ce que l'on pensait. Cet exercice démocratique s'inscrit dans le sens de l’intérêt général. Je trouve que cette dynamique s'avère très positive à ce stade, puisque 50 propositions ont été adressées au gouvernement courant avril. Nous serons vigilants sur la suite qui sera donnée à ces pistes pour un plan de relance économique, écologique et social.

 

Après le film Demain, vous sortez un nouveau film en décembre, baptisé Animal, qui explore notre capacité à vivre avec le monde vivant. Est-ce une ode à la biodiversité ?

Avec ce film, nous explorons des solutions de restauration des écosystèmes. Comme au large de Los Angeles, où une espèce de renard unique au monde était gravement menacée à cause des humains (pesticide DDT déversé dans la chaîne alimentaire, NDLR). Mais grâce au travail des scientifiques et des associations, cette espèce a pu finalement être sauvée ! Ça a fonctionné car il n’était pas trop tard ; il restait encore une trentaine de spécimens au moment où la biodiversité a pu être restaurée… Le propos du film vise à montrer ces solutions pour la biodiversité mais aussi à alerter avant qu'il ne soit trop tard pour agir. Il s'agit bel et bien de mettre l'accent sur la coopération entre les humains et les animaux, avec le vivant en général. On y apprend aussi que de mettre des ruches avec toujours la même variété d'abeilles n'est pas forcément la solution pour une meilleure biodiversité… Mieux vaut planter des plantes mellifères différentes !

 

Pour bénéficier d'un meilleur environnement, d'une biodiversité foisonnante, de plus en plus de gens envisagent de partir des métropoles. La restauration des écosystèmes passe-t-elle aussi par une meilleure répartition géographique des citoyens, aujourd’hui concentrés dans les villes ?

Je vois bien autour de moi que de nombreuses personnes commencent à se dire qu'il faut partir de Paris, des métropoles. Et ce n'est pas complètement idiot… Ce mouvement va certainement s'amplifier encore après la crise. Ce que j'appelle de mes vœux, c'est d'abord que les territoires s'organisent pour devenir résilients. Ici, on peut produire de l'énergie locale, là de la nourriture de qualité, pour garantir le minimum et éviter le chaos en cas de nouvelle crise. Mais pour y parvenir, nous devons d'abord nous extraire de notre dépendance aux hydrocarbures ! Cette résilience des territoires peut se mettre en musique de nombreuses manières. Elle peut partir d'entrepreneurs qui décident de produire localement en proposant des denrées en circuits courts. Ça peut aussi venir des élus, comme à Mouans-Sartoux (06), car l'échelon local offre un levier puissant de changement. Ou encore à l’échelle des citoyens qui achètent local et bio ou s'engagent dans des associations… Avec les médias qui montrent ces voies alternatives et les sondages qui attestent de l'aval de l'opinion, le récit collectif change ! Pour créer des millions d'économies locales interconnectées. Pas forcément cantonnées à leur territoire, dès lors que la résilience de ce dernier est assurée !

Il s'agirait donc d'organiser de manière participative la résilience des territoires, pour réussir collectivement la Transition écologique, économique et sociale ?

Pendant la guerre mondiale, ce que les Anglais avaient appelé les Victory gardens assuraient 43 % des besoins alimentaires. Ces petites unités jouent un rôle essentiel pour devenir résilient. Car la clé pour augmenter cette capacité nécessaire à la durabilité, c'est aussi une biodiversité organisée en régions, avec des petites – moyennes – et grandes unités agricoles.
D'un point de vue démocratique, je pense qu'on a également besoin d'un principe de subsidiarité. Autrement dit, avoir certes une part de décision centralisée par l’État mais avec une autonomie pour les échelons locaux en fonction de leurs spécificités. Pour que les collectivités puissent prendre leur part dans un véritable plan de résilience décentralisé. À l'échelle européenne, cela passe aussi par une logique collective et de solidarité comme avec le Green new deal qui doit être mis en œuvre. Mais aussi par une nouvelle politique agricole commune !

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