[INTERVIEW] Yves Sintomer « Les budgets participatifs sont un outil de transformation »

Publié le lun 27/09/2021 - 12:00

Propos recueillis par Elodie Potente

Politologue, Yves Sintomer a coécrit en 2008 Les budgets participatifs en Europe, des services publics au service du public, retraçant l’essaimage de ces outils sur le continent européen à partir des premières expérimentations en Amérique latine. Selon lui, les budgets participatifs de la « deuxième vague » sont mieux construits, mieux implantés et mieux compris.

Comment les budgets participatifs ont-ils essaimés en Europe ?

En Amérique latine, les budgets participatifs ont été considérés comme un instrument de bonne gouvernance, de justice sociale et de démocratie. Ils se sont beaucoup répandus parce qu’ils émanaient des associations, des partis politiques et des municipalités pendant une montée des gouvernements de gauche. En Europe, les maires qui ont fait le voyage à Porto Alegre (ville brésilienne pionnière sur les budgets participatifs) sont revenus avec l’idée des budgets participatifs à implanter dans leur commune. Mais, au début, les budgets participatifs européens n’étaient que consultatifs, sur des montants marginaux. Surtout, il manquait cette dimension de justice sociale très développée en Amérique latine. Néanmoins, cette vague-là a permis une modernisation des techniques de management public et du mode de fonctionnement de l’appareil municipal.

Peut-on parler de deuxième vague des budgets participatifs ?

Oui et cette deuxième vague est nettement plus intéressante que la première, notamment parce que les montants en jeu ne sont pas ridicules. Il y a surtout une véritable dimension de démocratie directe, malgré des allers-retours et une co-élaboration du projet avec les collectivités. Cela dynamise la société civile locale et les services municipaux. Encore faut-il que les choses promises soient réalisées et que toute la machine administrative change, c’est-à-dire que la politique et l’administration soient là pour servir les usagers et les citoyens.

Mais même là où les budgets participatifs sont sérieux et bien implantés, l’outil a ses limites et s’arrête à un certain seuil. Si on prend le budget participatif de Paris, il est très significatif en termes d’investissement, mais sur des enjeux comme la piétonisation de la voie express rive droite, il n’y a pas eu de participation des citoyens.

On a parfois l’impression que certains budgets participatifs sont des « façades » pour donner l’impression d’une démocratie citoyenne, avec des projets réalisés qui sont au final des travaux du quotidien. Qu’en pensez-vous ?

À mon sens, ce n’est pas très grave si, dans les projets réalisés au sein d’un budget participatif, on trouve des travaux que la municipalité aurait dû ou pu faire durant sa mandature. Cela veut juste dire que les habitants ont considéré que, devant chez eux, la route à refaire par exemple, était un projet urgent. Il faut savoir que, souvent, les services municipaux sont en concurrence les uns avec les autres pour obtenir des budgets concernant les travaux ou projets à conduire durant l’année. Mais dans les cas des budgets participatifs, ce sont les habitants qui décident des projets les plus urgents.

Les chiffres de la participation et des votes des habitants lors des budgets participatifs sont-ils significatifs ?

Quand on voit la crise des partis politiques ou le pourcentage de la population qui participe finalement à l’élaboration d’une décision, la participation aux budgets participatifs représente un élargissement non négligeable du cercle des citoyens qui prennent des décisions. Cela reste modeste, mais il y a des citoyens mobilisés, actifs, qui vont s’investir dans ce dispositif dès le départ. Puis, au fur et à mesure, d'autres habitants se mobilisent car ils voient que c’est sérieux.

Une étude révèle que 40 % des projets déposés dans le cadre des budgets participatifs sont liés à l’environnement. Comment l’expliquez-vous ?

Cela révèle l’importance de la montée du thème de l’environnement dans la vie quotidienne des Français. Par exemple, cette dimension a véritablement conforté l’équipe municipale de la ville de Paris pour prendre un tournant écologique rapide et radical. On voit ça un peu partout. Ce qui est intéressant pour le budget participatif de Paris, c’est qu’il y a deux axes : un au niveau des quartiers et un pour la ville dans son ensemble. C’est plutôt intelligent de favoriser des projets au micro-local et des projets à l’échelle de la ville. Concernant l’environnement, cela fait surtout partie d’une vague de transformation de la société et des pratiques municipales. On le voit avec l’élection des listes vertes et citoyennes aux municipales. Les budgets participatifs sont un outil, un élément de cette transformation.

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