[DOSSIER] Budgets participatifs : prendre part aux décisions

Publié le lun 27/09/2021 - 12:00

Par Elodie Potente

Outils de démocratie directe nés à la fin des années 80, les budgets participatifs sont désormais utilisés dans le monde entier. En France, ils se sont multipliés durant le dernier mandat municipal et ont même fait partie des arguments de campagne de nombreuses listes lors des élections locales de mars 2020. Mais malgré certains succès et des budgets de plus en plus conséquents, la participation citoyenne reste souvent limitée.

Né à Porto Alegre (Brésil) en 1989, le budget participatif permet de mettre à disposition des citoyens et des citoyennes une partie du budget d’investissement de la collectivité (5% en moyenne). Les projets sont déposés par la population puis leur faisabilité analysée par les services municipaux avant d’être soumis au vote citoyen, le plus souvent en ligne. L’idée largement véhiculée en Amérique du Sud à la fin du XXème siècle comportait une forte dimension de justice sociale et la volonté de lutter contre la corruption. Dans la mouvance altermondialiste, la France s'est dotée au début des années 2000 de budgets participatifs, au départ plutôt consultatifs que décisionnels.

170 en 2020

L’initiative s’est fortement développée dans l’Hexagone lors du mandat 2014-2020. Les budgets participatifs sont ainsi passés de sept en 2014 à 170 en 2020, s’élargissant à des municipalités de toute couleur politique. Mis en place au départ plutôt par la gauche, ils ne sont plus aujourd’hui un marqueur politique, comme le montre une étude de la fondation Jean Jaurès (1) : 64% des communes engagées sur un budget participatif étaient dirigées par la gauche en 2017, 55% en 2018 et à peine la moitié en 2019.

« On s’aperçoit tout de même que les objectifs ne sont pas les mêmes avec des mairies de gauche ou de droite, signale Antoine Bézard, l’auteur de cette note, spécialiste des budgets participatifs et consultant auprès des collectivités. Par exemple à Grenoble, les élus ont beaucoup travaillé sur l’inclusion des citoyens, en se demandant comment faire participer les sans-abris, les résidents de quartiers populaires. Alors qu’à Bordeaux, sous la mandature d’Alain Juppé, la question de l’inclusion n’a pas été évoquée. »

Les budgets participatifs portés par des mairies comme Rennes ou Grenoble font d’ailleurs partie d’une palette d’outils de participation citoyenne : conseils de quartiers, réunions publiques, conseils citoyens indépendants... D’autres collectivités en revanche font le pari d’un budget participatif sans mettre en place d’autres initiatives visant à inclure la population dans les décisions.

5% des budgets

Les sommes consacrées aux budgets participatifs représentent en moyenne 5% des budgets d’investissement des collectivités. La ville de Rennes met chaque année 3,5 millions d’euros à disposition des projets citoyens. « Nous ne voulions pas que ce soit un dispositif marginal, témoigne Xavier Desmots, adjoint délégué à la démocratie locale et à la participation citoyenne. Pour que le dispositif fonctionne, pour gagner l’adhésion de la population, il fallait des moyens conséquents. Au final, chaque projet lauréat peut être financé jusqu’à une hauteur de 350 000 euros ».

Une critique faite parfois à ces budgets participatifs est que les projets retenus auraient pu être menés directement par la municipalité (travaux de voirie, rénovation d’aires de jeux, réhabilitation de bâtiments ou végétalisation de la ville). Mais à Rennes, sur les 105 projets financés, certains sont très originaux et n’auraient jamais été portés par la ville : des chèvres pour tondre les jardins, une éolienne urbaine, un four à pain de rue ou encore l’implantation de bitume végétal. Ces réalisations ont « un impact physique et quotidien sur les quartiers de la ville », constate l’élu rennais.

Antoine Bézard a observé que la concrétisation de ces projets choisis par la population était souvent plus rapide que d’autres réalisations soumises au conseil municipal pouvant mettre des mois, voire des années, à voir le jour. « Finalement, le budget participatif n’est-il pas un outil pour la gestion de la ville au quotidien, décidée par et pour les habitants ? », s’interroge-t-il.

Mais pour lui, les budgets participatifs ne sont intéressants que si les montants alloués sont importants. « On pourrait décider de faire un budget participatif avec 15 euros, mais ça n’aurait aucun sens, lance le consultant qui souligne dans son étude les difficultés des petites communes à porter des budgets participatifs. C’est dans les communes de moins de 5 000 habitants que les expériences sont le plus fréquemment interrompues, probablement en raison du peu de ressources humaines ou financières qu’elles peuvent accorder à la démarche ». Pour Yves Sintomer, politologue et auteur d’un livre sur les budgets participatifs en Europe, dans les villages, « les enjeux sont différents, car il n’y a pas de professionnalisation de la politique. Les citoyens s’adressent directement aux élus. »

Certaines équipes de grandes villes ont beaucoup d’ambition pour les budgets participatifs, comme à Grenoble où Eric Piolle, maire écologiste arrivé en 2014 à la tête de la commune de l’Isère, a fait de la participation citoyenne la priorité de son premier mandat. « Actuellement, nous avons engagé 800 000 euros sur des projets que nous n’aurions pas eus sans concertation avec les citoyens, affirme Annabelle Bretton, adjointe à l’éducation populaire, la jeunesse et la démocratie ouverte. Mais nous souhaitons vraiment pousser les Grenoblois·es à proposer des projets plus ambitieux, Pour l’instant, nous avons beaucoup de propositions qui concernent l’aménagement de l’espace public, la nature en ville ou la mobilité. Nous voulons des projets plus structurants, quitte à proposer un budget participatif de deux millions d’euros, une année sur deux. »

Inclure les classes populaires et les jeunes

En 2012, dans un article évoquant L'instrumentation participative de l'action publique, la chercheuse en sciences politiques Alice Mazeaud estimait les dispositifs de budgets participatifs trop méconnus du public pour avoir un réel impact politique et critiquait « une entreprise de relégitimation des gouvernants et de leur capacité d’action ». De son côté, la sociologue Héloïse Nez jugeait en 2013 que « ceux qui prennent part aux budgets participatifs en Europe appartiennent souvent aux classes moyennes et aux professions intellectuelles supérieures. Les jeunes, les personnes d’origine étrangère et/ou issues des classes populaires sont généralement absents ou fortement sous-représentés au sein de ces instances. » Les choses ont-elles changé aujourd’hui et le dispositif s’est-il vraiment démocratisé ?

Paris, pionnière dans la mise en place des budgets participatifs, a su toucher les quartiers populaires en favorisant deux sortes de dépôts de projets : un par quartier et un sur l’ensemble de la ville. Ainsi, l’Atelier parisien d’urbanisme a démontré dans une étude (2) que 16 % de l’ensemble des projets déposés sur les trois premières sessions du budget participatif concernaient les quartiers populaires. À Grenoble, des projets ont même été déposés par des sans domicile fixe.

Dans le département très rural de l’Ardèche où le premier budget participatif a vu le jour en mars 2020, une politique d’inclusion des 11-30 ans les faisant participer à l’élaboration du budget participatif a été décidée (voir article suivant). « La parole des jeunes doit absolument être mieux prise en compte », souligne Laurence Allefresde, conseillère départementale et ex-vice-présidente en charge de la jeunesse et de la vie associative.

La participation à un budget participatif peut aider les jeunes à comprendre le fonctionnement des collectivités locales et, pourquoi pas, les amener à s’engager en politique. « Les actions de participation citoyenne créent des passerelles entre les habitants et les élus », affirme Annabelle Bretton, devenue conseillère municipale à Grenoble après avoir déposé un projet pour le budget participatif et avoir été tirée au sort pour participer au conseil citoyen indépendant, une instance lancée en 2014.

Renforcer la confiance

Malgré des effets positifs, l’implication effective de la population concerne encore une minorité. Souvent, le pourcentage de votants pour choisir les projets se situe autour de 5% en moyenne, ce qu’on peut considérer comme faible. « Le paradoxe de ces budgets participatifs est qu’ils sont créés sur le postulat d’une demande de participation mais qu’en pratique, ils sont systématiquement confrontés à la faible mobilisation du public », analysaient déjà en 2010 Alice Mazeaud et Julien Taplin.

Cependant, en 2019, la participation au vote à Paris a dépassé les 10 %, un record ! A Rennes, elle se situe autour de 7 %, ce qui n’est pas négligeable. Et à Grenoble, « 25% des 6 046 personnes ayant voté en 2016 n’étaient pas inscrites sur les listes électorales », assure Boris Kolytcheff (3), chargé de mission au budget participatif grenoblois au sein d’un service démocratie participative composé de sept personnes. Un phénomène surprenant et intéressant à étudier pour comprendre la dynamique de participation à l’œuvre.

Pour éviter les écueils, s’entraider et partager les bonnes pratiques, Grenoble, Rennes, Montreuil et Paris ont lancé un réseau national dédié. « Le budget participatif est conçu comme un moyen de transformation de la relation entre élus, agents et citoyens, reconstruisant ainsi de nouveaux espaces de dialogue et renforçant la confiance entre les habitants, l’administration et les élus », est-il écrit dans leur charte commune (4), dans laquelle est posée la nécessité de clarté et transparence de la part des responsables politiques. Loin d’un simple outil de communication, le budget participatif y a pour ambition d’impliquer citoyens et citoyennes pour leur redonner réellement du pouvoir.

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