[DOSSIER - Leur monde d'après] L'écologie aux oubliettes ?

Publié le lun 20/07/2020 - 13:00

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Par Virginie Jourdan

C’est un fait, la pandémie de Covid-19 ne peut être décorrélée de la destruction de l’environnement. Alors que certains souhaitent en tirer des enseignements et appellent de leur vœu la construction d’un nouveau monde plus vert et solidaire, les tenants du vieux monde néolibéral veulent relancer la croissance coûte que coûte, au prix, parfois, de graves régressions sociales et écologiques. Deux visions irréconciliables s’affrontent pour le monde d’après. Le choc des titans post-Covid est en cours.

Alors que les racines de la crise sanitaire ne peuvent être séparées de la dégradation de l'environnement, les tenants de l'économie conventionnelle prônent un retour à la normale de l'activité, voire un rattrapage. Entre élan productif et volonté d'assouplir les normes environnementales, les pressions s'exercent en continu. Au risque de freiner la dynamique verte en cours.

Le hiatus entre les attentes de la société civile et les actes des grands acteurs de l'économie n'aura pas disparu à la faveur de la crise. Des propositions de la convention citoyenne pour le climat, début avril, aux résultats de la consultation notamment lancée par le WWF, la Croix Rouge et le groupe SOS, le constat est unanime. La cause écologique a encore gagné du terrain chez les citoyens. Mais l'espérance partagée pourrait être de courte durée. À mesure que les secteurs économiques reprennent leur activité, les promesses de sobriété s'éloignent au même rythme. Pire, certaines tentatives de régression sont même à l’œuvre.

 

Les lobbies à l’affût

Fin avril, l’association FNE a alerté sur l'allègement des procédures d'enquête publique qui pourrait notamment avoir pour conséquence de relancer la construction d’un vieux projet routier dans l'Allier et d'une centrale de production d’électricité au fioul dans les mangroves de Guyane. « Si la démocratie et le droit de l’environnement sont ainsi mis à mal pendant le confinement, c’est de mauvaise augure pour les promesses du gouvernement sur le monde d’après », s'inquiète Arnaud Schwarzt, président de l'association de défense de l'environnement. Au même moment, l'ONG Zero Waste a ainsi dénoncé les velléités du premier syndicat patronal français, le Medef, à enterrer les avancées de la loi anti-gaspillage votée en décembre dernier. Dans un courrier daté du 3 avril, dévoilé par le Canard enchaîné, le Medef a demandé à la ministre de l’Environnement Elisabeth Borne « un moratoire sur la préparation de nouvelles dispositions énergétiques et environnementales, notamment celles élaborées en application de la loi du 10 février dernier relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire. » Autrement dit : faire battre de l’aile au projet. Dans le viseur notamment, la réforme des filières de recyclage et du principe de pollueur-payeur, qui prévoient notamment de créer un fonds dédié au financement de nouvelles activités de réparation, de réemploi et réutilisation. « Il y a clairement une volonté de la part de certains lobbies de rejouer le match sur des mesures pourtant adoptées, à une très large majorité, par les députés et sénateurs il y a seulement quelques mois », explique Laura Châtel, responsable du plaidoyer à Zero Waste France.

Loin d'être cantonnée à la France, cette tendance est aussi à l’œuvre à l'échelle européenne. Le 8 avril dernier, l'Eupc, un syndicat européen qui représente près de 50 000 entreprises de transformation du plastique, a ainsi demandé à la Commission européenne de reporter d'au moins un an la mise en œuvre de la directive sur les plastiques à usage unique et de « lever toutes les interdictions » déjà en vigueur. L'argument ? Sacs plastiques, couverts et assiettes plastiques à usage unique sauveraient des vies en évitant les contaminations, plaident les industriels. Aux oubliettes l'impact écologique des déchets plastiques sur l’environnement.

 

Des produits locaux aux pesticides

Un argument sanitaire également repris dans le champ alimentaire. « Le besoin d'un retour à une production locale annoncée au début de la crise est positif, mais nous sommes inquiets du discours montant sur la sécurité sanitaire assurée par l'usage des pesticides, car il se fait au détriment de l'alerte sur les effets négatifs sur les milieux naturels et la santé », explique ainsi Dominique Le Goux, chargée de mission santé pesticides à Eaux et Rivières de Bretagne. La poursuite des épandages de pesticides à moins de 5 mètres des habitations a ainsi continué ce printemps. Et fin mai, le Conseil d'État n'a pas accédé à la demande des associations environnementales qui défendaient une suspension de cette pratique en référé le 12 mai au motif qu'il n'y avait pas « urgence » à statuer. Le dossier suit donc son cours sur le fond.

 

Autre sujet d'inquiétude pour la transition écologique, l'industrie du transport. Dès avril, l’Association des constructeurs européens d'automobiles (Acea) a annoncé qu'elle aurait du mal à honorer les engagements de réductions de 15% des émissions des véhicules d’ici 2025 et de 30% et plus d’ici 2030. En France, les constructeurs PSA et Renault assurent de pas être sur cette ligne et misent sur la production de petits véhicules et d'hybrides. « Pas suffisant », tonne Maxime Combes, économiste, auteur et porte-parole d'Attac France. « Force est de constater que la transformation de l'outil de production n'est pas à l'ordre du jour. Plusieurs milliards d'euros sont annoncés pour soutenir Renault, et les aides ne sont pas conditionnées à des exigences environnementales ou à un maintien de l'emploi », précise ce dernier, en référence aux 15 000 emplois que la marque au losange a annoncé vouloir supprimer dans le monde, dont 4600 en France, d'ici 3 ans. Idem pour les plans de soutien à Air France qui incluent des invitations à réduire ses lignes de courtes distances mais pas d'obligation ni de plan de développement des transports alternatifs et moins polluants tels que le train. Pour l'économiste, les risques sur l'écologie sont réels. « De nouveaux accords de libre-échange ont aussi été signés pendant le confinement entre l'Union européenne et le Mexique, mais aussi avec la Nouvelle Zélande sur des produits alimentaires alors même qu'ils sont aux antipodes d'une relocalisation sociale et environnementale », poursuit Maxime Combes. Encore un paradoxe du gouvernement ! Ecologie et économie, pour le militant d’Attac, il faut saisir la crise du Covid pour amorcer une véritable transition, « c'est maintenant que ça se gagne ou que cela se perd. »

 

Plus d’infos :

20 associations, ONG et syndicats proposent un plan de sortie sur www.france.attac.org (Plan de sortie de crise).

 

À lire :

Manifeste pour une relocalisation sociale et écologique, collectif d'auteurs et économistes, juin 2020, éditions les Liens qui libèrent.

Le dernier avion, Sébastien Porte, juin 2020, Tanas Editions.

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