[URBANISME] Courrier sud, à Toulouse, un immeuble d’habitation écologique et collectif

Publié le jeu 10/12/2020 - 13:00

Le Courrier sud  a été construit sur une petite parcelle qualifiée de « délaissée » par le service de l’urbanisme de Toulouse. Crédit : C. Stern

Par Catherine Stern

Lauréat de l’appel à projets régional NoWatt et de la médaille d’or Bâtiment Durable Occitanie, l’immeuble d’habitation Courrier Sud, qui se dresse dans le quartier l’Ormeau-Montaudran, à l’est de Toulouse, vise l’exemplarité dans l’éco-construction : passif, à énergie positive, participatif, il a été construit en auto-promotion avec des matériaux biosourcés, recyclés ou locaux.

Régulièrement pendant toute l’année de travaux, l’architecte et les futur·es habitant·es portaient des viennoiseries aux artisans sur le chantier du Courrier Sud pour les encourager.  « Un projet aussi complexe, c’est comme un bébé qu’on porte, il faut une implication très forte sinon ça ne marche pas, affirme Laurence Ryckwaert, architecte à l’origine du projet, qui a déjà à son actif le premier immeuble d’habitation passif certifié du grand Sud-Ouest à quelques centaines de mètres de celui-ci, dans un quartier en pleine évolution de Toulouse, et une école passive à St-Antonin Noble Val. La performance doit être atteinte, justifiée. On doit prouver qu’on est allés jusqu’au bout. »
 

Économies d’énergie et qualité de l’air

Du fait de sa très forte ambition, cet immeuble de sept appartements sur trois étages, habité depuis cet automne, est aussi d’une grande complexité et a nécessité de très nombreux calculs. « Énergétiquement, Courrier Sud vise un niveau passif, le plus exigeant qui existe aujourd’hui, et il y en a peu, surtout dans le Sud de la France », note Pauline Lefort, cheffe de projet Qualité de la construction et matériaux chez Envirobat, une association qui accompagne la filière bâtiment dans le changement de pratiques lié aux enjeux environnementaux, et qui lui a décerné la médaille d’Or Bâtiments Durables Occitanie. Ses besoins en chauffage sont limités grâce à l’isolation renforcée, avec des fenêtres triple vitrage, à la récupération des apports solaires gratuits et à la ventilation double-flux qui évite de perdre des calories en renouvelant l’air. Ici, la dépense annuelle de chauffage et d’eau chaude d’un 100 m² se situera entre 50 € et 110 €, avec une consommation inférieure à 15 kw/m²/an, trois fois moins que la réglementation thermique actuelle, la RT2012. Laure Bellange, future habitante d’un T4 avec son mari et ses deux enfants, se félicite de pouvoir cumuler « une facture de chauffage largement diminuée, une excellente qualité d’air intérieur et un confort acoustique grâce à des isolants biosourcés. »
 

Matériaux biosourcés et recyclés

 
Le bâtiment bénéficie de trois types d’isolants : 8 cm de fibre de bois, 18 cm de Métisse®, coton recyclé par le Relais et permettant l’insertion de personnes en situation d’exclusion, et 4,5 cm de laine minérale. « Comme le Métisse n’a pas encore la certification de tenue au feu, il a fallu ajouter un troisième isolant en peau intérieur, une laine minérale avec un liant biosourcé », signale Arthur Chevignard, l’autre architecte du projet, rappelant que passif ne veut pas dire obligatoirement écologique, et qu’on peut avoir un bâtiment passif isolé seulement avec du polystyrène, très performant thermiquement mais pas du tout d’un point de vue environnemental. « Courrier Sud a poussé les curseurs au maximum dans les sept thématiques de BDO (territoire et site, matériaux, énergie, eau, confort et santé, social et économie, gestion de projet) », applaudit Pauline Lefort. Même s’il a fallu utiliser du béton « bas carbone » pour assurer une inertie à l’ensemble et garantir un bon confort d’été.
 

Charpente traditionnelle et production d’électricité

Installé sur une petite parcelle qualifiée de « délaissée » par le service de l’urbanisme de Toulouse, Courrier Sud épouse la courbe de la rue, ce qui n’a pas simplifié sa construction. « Nous avons dû faire de la charpente traditionnelle pour dimensionner nous-mêmes les pièces de bois, explique Yves Bocé, compagnon charpentier depuis 41 ans. Il a fallu créer des cassures dans la charpente qui suit les façades. Toutes les pièces (quelques milliers !) ont été faites à la main avec du sapin venu d’Ariège. » Outre la charpente et l’ossature du dernier étage, du bois local a été utilisé pour remplir les poteaux-poutres des étages inférieurs, réduisant ainsi l’empreinte carbone du bâtiment. Celui-ci produit moins de gaz à effet de serre non seulement pendant son utilisation, mais aussi pendant sa construction et à la fin de sa vie, avec une meilleure récupérabilité des matériaux. Bâtiment performant de l’avenir, Courrier Sud est un BEPOS (bâtiment à énergie positive) qui atteint le niveau E3 C1 (proche du C2) selon l’expérimentation E+ C- (plus d’énergie et moins de carbone). Toute sa toiture est d’ailleurs recouverte de panneaux solaires thermiques et photovoltaïques (81,5 m²).
 

Participatif et coopératif

Enfin, l’aspect participatif n’est pas la moindre de ses qualités. C’est même sa raison d’être : les sept familles habitantes se sont associé·es il y a plusieurs années, se sont mobilisé·es pour convaincre la mairie de délivrer le permis et ont créé ensemble une SCIA (société civile immobilière d’acquisition) pour porter le projet. « Cela s’est fait dans la mouvance de la loi Alur 1 qui permet de promouvoir ce genre de projet participatif, en auto-promotion », indique Laurence Ryckwaert. L’appel à projet NoWatt en tient compte. « Le participatif permet d’aller loin dans les projets et de mettre en place les conditions qui permettront de garantir dans le temps ce qui a été prévu théoriquement, souligne Julien Duvignacq, chargé de projet bâtiments et rénovation à la Région. La modélisation numérique a permis d’engager des dialogues constructifs entre bureaux d’études, entreprises et futurs co-propriétaires associés aux différentes étapes. » Après plusieurs années de réunions mensuelles et de choix collectifs, les sociétaires, âgés de 27 à 80 ans, ont appris à se connaître et à apprivoiser leur futur lieu de vie. « Avoir des gens aussi impliqués, cela signifie que les usagers utiliseront bien le bâtiment et qu’il en sera d’autant plus performant », assure Pauline Lefort, d’Envirobat.
En plus d’apporter des chocolatines aux artisans et des éclairs aux salariés de l’ESAT Château Blanc (établissement de travail protégé réservé aux personnes en situation de handicap) qui ont posé les parquets et fabriqué les placards, les sociétaires ont donné des coups de mains pour transporter des matériaux et s’apprêtent à gérer de façon coopérative le syndic de copropriété. « Se connaître, s'entendre et partager des moments conviviaux avec ses voisins devrait devenir une priorité dans les futures constructions », conclut Virginie René, 29 ans, l’une des plus jeunes à avoir rejoint cette belle aventure.
 
 
 
NoWatt : soutenir des opérations de référence
« L’appel à projets NoWatt, qui existe depuis 2017, permet d’avoir des opérations de référence sur lesquels faire des retours d’expérience pour inspirer l’ensemble de la filière construction et rénovation », explique Julien Duvignacq, chargé de projets bâtiments et rénovation au service transition énergétique de la région Occitanie. Une trentaine d’opérations sont lauréates chaque année et reçoivent une aide proportionnelle aux coûts supplémentaires engendrés pour atteindre les objectifs. Un surcoût estimé par Laurence Ryckwaert à 430 000 € pour Courrier Sud, qui a décroché 169 000 € de subventions. Une contribution au programme « Région à Energie Positive » qui vise à ce que, d’ici 2050, l’Occitanie consomme moins d’énergie qu’elle n’en produit localement de façon renouvelable.
 
Note de bas de page
1. Loi de 2014 « pour l'Accès au Logement et un Urbanisme Rénové », portée par la ministre écologiste Cécile Duflot.
 

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