[MOBILITE ] : Dans le Finistère, l’autonomie à tout prix des séniors

Publié le sam 11/01/2020 - 07:57

Par Manon Deniau

La population est vieillissante dans la pointe bretonne, territoire enclavé. Pour ne pas perdre leur autonomie, les seniors ont recours à des associations qui les aident à trouver des solutions : covoiturage, cours de conduite pour se remettre à niveau, conseils pour prendre les transports en commun… Le but ultime : éviter le confinement et l’isolement des personnes âgées.

En voiture, Simone ! Difficile de se déplacer sans voiture en Bretagne. Le Finistère, département enclavé, est particulièrement confronté à ce problème et  les personnes âgées, notamment, en pâtissent. Pour y remédier, associations et retraités proposent des actions de prévention. Le but : garder leur autonomie le plus longtemps possible.

 Dans la voiture d’auto-école, Ludovic Laot indique le chemin à prendre d’une voix posée : « Au stop, prenez à droite. Il ne faut pas hésiter à bien marquer le stop. » En ce mercredi 21 août, le moniteur ne fait pas cours à un jeune sur le point de passer son permis. Ce conducteur l’a eu depuis bien longtemps. Les deux mains de l’élève qui tiennent le volant ont les veines plus marquées, ses cheveux en brosse devenus blancs. Jean affiche 79 ans au compteur. Il reprend ce matin-là une heure de remise à niveau gratuite avec le dispositif « Vas-y ! ».

Porté par la fondation Ildys, un groupe de santé privé non-lucratif basé à Roscoff, le programme financé par le département depuis ses débuts en 2017 décline de nombreuses thématiques, dont celle de la conduite. Y sont proposés, sur la base du volontariat, un atelier sur le code de la route puis de la mise en pratique. « Ma femme l’a déjà fait. Cela fait du bien de se mettre à jour sur les panneaux de signalisation ou encore de se confronter à ses habitudes de conduite », sourit cet ancien employé municipal qui « roule pas mal » : « Ici, on est loin de tout ! Sans voiture, on est foutus. » Ici ? Kerlaz, commune de 800 habitants du Finistère sud, à côté de Douarnenez. Les deux boulangeries ont définitivement tiré le rideau. Ne reste qu’un distributeur de pain, approvisionné deux fois par jour, sur la place de la mairie. « Avant, il y avait trois bistros et un restaurant », se rappelle le finistérien qui y vit depuis 55 ans.

Près d’une personne sur trois sera senior en 2050

« Vas-y » apporte des pistes de solutions dans ce territoire enclavé, rural et déjà vieillissant. Or, dans trente ans, près d’une personne sur trois sera senior en Bretagne selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). « Nous avons beaucoup de demandes pour cette action, constate Lorène Drollon, l’ergothérapeute salariée de la fondation. Certaines personnes n’osent pas participer car elles ont peur qu’on leur retire le permis, mais c’est tout le contraire ! On sait à quel point c’est important de garder son autonomie, surtout ici. »

Il faut donc s’adapter à ce public qui conduit à un âge de plus en plus avancé. Pendant l’heure de pratique, Lorène Drollon observe ce qui peut entraver la conduite. « Là je vais regarder au niveau de la tête, voir s’il y a des problèmes au niveau des yeux ou des cervicales, explique-t-elle, assise à l’arrière. On sent que Jean n’a aucune gêne, il est réactif, peut discuter et ne présente aucun problème pour se mouvoir. »

Non « tributaire de ses enfants »

Au tour de Marie-Louise, 71 ans, de prendre place côté conducteur. Son itinéraire emprunte le même que celui de Jean, alternant l’agglomération de Douarnenez et les routes sinueuses de campagne. Une fois terminée, Ludovic Laout suggère une nouvelle session : « J’ai senti un peu d’appréhension et vous le dîtes vous-même, vous n’aimez pas la quatre-voies et la ville. » Or cette dame vit en campagne et ne veut pas devenir « tributaire de ses enfants ».

Le centre de Brest crée la même angoisse. « Les personnes âgées se limitent aux déplacements pour aller au supermarché ou acheter du pain », confirme Jean-Jacques Marrec, moniteur d’auto-école à CR29 au Folgoët, commune située à trente minutes en voiture de la première ville du département, dans le Pays de Lesneven. Ce professionnel de la conduite a donc organisé en 2017 et 2018, avec l’aide du centre socio-culturel intercommunal, la même initiative que « Vas-y » : trois séances de code d’une dizaine de personnes à chaque fois puis conduite d’une demi-heure.

Mais cette action ne se serait pas concrétisée sans un groupe de retraités très dynamiques, les « SVP », « Seniors Vieillissement Participation », soutenu financièrement par la communauté de communes du Pays de Lesneven, étalée sur la côte nord finistérienne. Depuis fin 2010, ils ont créé les « cafés-seniors » qui leur permettent de discuter d’une problématique dans leur vie quotidienne. « "Quand il pleut, je ne sors pas", "C’est toujours mon mari qui conduit", " Je ne conduis plus la nuit"  sont des phrases qui revenaient souvent », relève Françoise Scoarnec, l’une des membres du groupe.

Peur de l’ « après-voiture »

Pour mieux cerner l’ampleur du problème, le groupe a fait remplir un questionnaire aux 80 personnes présentes au café-senior « mobilité » à Lesneven. Or, avec ce bout de papier, les femmes se sont heurtées à un tabou : la peur de ne plus pouvoir utiliser leur voiture. « Je remarque que beaucoup n’ont pas répondu à cette question », observe Luz Gourmelon. Cet énergique bout de femme de 69 ans a bien une idée : la peur de vieillir expliquerait cette angoisse. Mais « c’est maintenant qu’il faut agir, pas à 80 ans ! Les choses mettent longtemps à se mettre en place. Comme les mentalités. »

De manière générale, les politiques actuelles tournées vers le maintien à domicile tendent plus à « confiner les personnes en apportant le maximum de services et limitant ainsi les sorties », fustigeait en 2016 l’agence d’urbanisme de Brest-Bretagne (ADEUPa) dans un rapport sur la mobilité des seniors. Au risque de créer, voire d’accroître l'isolement des seniors.
Trouver des alternatives à la voiture en campagne pour les plus isolés ? C’est pourtant possible. Les « SVP » ont dressé un état des lieux dans leur secteur. Sur neuf des quatorze communes du Pays de Lesneven, toutes proposent un service de mini-bus ou de taxi à la demande. Une bonne chose selon les bénévoles, puisque « le confinement chez soi entraîne la maladie et la dépression. » Mais cela mériterait d’être « mutualisé ». Un an après la remise de cette synthèse, les « SVP » n’ont aucune nouvelle de la part des élus rencontrés.

Covoiturage solidaire

Au niveau régional, trois collectivités de communes expérimentent depuis mai 2019 du « covoiturage solidaire » (1), comme l’agglomération de Concarneau dans le Finistère, Ploërmel dans le Morbihan et la Bretagne Romantique en Ille-et-Vilaine. C’est l’association rennaise Ehop ! qui coordonne le projet et ce, pendant trois ans. « Les personnes peuvent nous contacter afin de trouver un covoitureur pour des trajets courts plutôt que des voisins qu’elles ont peur de déranger », développe Laurène Freydier, en charge du projet dans le Finistère et le Morbihan. Huit personnes l’ont sollicité dont un jeune, des parents et deux personnes âgées pour des rendez-vous médicaux. Une solution pérenne a été trouvée.

Ehop ! ne se donne pour le moment pas d’objectifs chiffrés mais la démarche séduit déjà d’autres communes finistériennes. « Il existe déjà une attente, notamment dans la Presqu’île de Crozon ou Carhaix car ces collectivités connaissent bien les problèmes de mobilité de leurs seniors, continue la salariée. Dans le département, ce sont soit les jeunes soit les personnes âgées les premiers touchés. »

Apprivoiser les transports en commun

Or, contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce problème ne se limite pas qu’aux zones rurales. À Brest, par exemple, les retraités se déplacent encore beaucoup en voiture, comme l’a remarqué l’office des retraités brestois (ORB) qui regroupe 1 400 adhérents. L’un d’entre eux propose tous les mois une thématique en lien à ce sujet. « Prendre la voiture est devenu angoissant depuis l’arrivée de la ligne de tramway… Mais conduire représente la liberté et les habitudes [de leur vie active] restent bien ancrées », note Isabelle Kernéis, la directrice.

Autre raison ? Cette catégorie de la population peut avoir peur de prendre les transports en commun : « Dans quel sens prendre le bus, le tramway ou même faire attention aux obstacles dans la rue… », énumère Yvon Corlay, membre de l’antenne locale d’Agir-Abcd, qui travaille en partenariat avec des associations comme l’ORB de Brest ou des équipes communales. Autant de problèmes qui barricadent nos anciens à l’intérieur de leur logement. Pour anticiper cela, Agir-Abcd organise des circuits gratuits (financés par les collectivités)  en situation avec des animateurs bénévoles. Les premiers se sont déroulés en novembre à Quimper, dans le quartier de Kermoysan. L’objectif : sortir et repérer tout ce qui peut générer un stress en bas de chez soi. Car prévenir la perte d'autonomie, c'est d'abord l'anticiper. Et Yvon Corlay de conclure : « De nouvelles pratiques apparaissent sans cesse. Il ne faut pas avoir peur de se faire aider pour les découvrir. » À bon entendeur.    

 

  1. Le financement s’élève à 100 000 € pour les trois ans et par territoire. Il est financé à 50 % par l’appel à projet France Mobilités de l’Ademe (agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie).

Plus d’infos :

centresocioculturelintercommunalpaysdelesneven.org

www.ildys.org/le-programme-vas-y

orb29.fr

www.agirabcd29.org

https://ehopcovoiturons-nous.fr/

 

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