[ REPORTAGE ] Au Village, on prend soin des hommes et de la terre

Publié le ven 24/05/2019 - 16:45

Par Blandine Janin-Reynaud

Accueil inconditionnel, écologie, autonomie, gouvernance participative… Telles sont les valeurs défendues par l’association Le Village, à Cavaillon dans le Vaucluse. Un lieu de vie et d’insertion pour les personnes précarisées qui constitue une source d’inspiration dans une société en transition.

« L’ossature bois, je ne connaissais pas, mais je kiffe », s’enthousiasme Christophe. Il est 7 heures 45 et le mistral souffle violemment sur Cavaillon, dans le Vaucluse. Après avoir écouté les directives de Florian Istria, encadrant technique, Christophe s’attelle avec ses compagnons de l’atelier d’écoconstruction aux travaux du futur local de transformation de fruits et légumes, dont la structure en bois se dresse déjà élégamment.

Le chantier d’insertion, qui accompagne environ 70 personnes par an au travers d’activités d’écoconstruction, de production d’écomatériaux, de maraîchage biologique et de vie quotidienne (cantine, lingerie et propreté) n’est qu’une des multiples facettes de l’association le Village.

Un lieu d’accueil avant tout

Fondée en 1993, l’association a pour vocation l’accueil, l’hébergement et la réinsertion sociale et professionnelle des personnes en grande précarité. À Cavaillon, le taux de pauvreté frôle les 28 %. « Malgré 20 % de logements sociaux, nous n’arrivons pas à répondre à toutes les demandes et des bailleurs indélicats en profitent pour mettre sur le marché des logements insalubres », constate Sylvie Maurel, adjointe de direction au centre communal d’action sociale (CCAS) de la commune.

La pension de famille du Village et ses 28 places offre un lieu de vie semi-collectif avec des logements autonomes et des espaces de vie partagés où cohabitent, sans limitation de durée, personnes isolées ou familles avec enfants. « Depuis que je suis ici, je peux accueillir mes trois enfants qui sont placés », confie Christian, 54 ans, qui vivait auparavant en camping. Il bénéficie, depuis le mois d’octobre, d’un appartement au Village.

L’association gère aussi, avec les Restos du cœur et le Secours Populaire, un accueil de jour au sein de la Maison Commune à Cavaillon, destiné aux personnes vivant dans la rue ou en habitat précaire. Elle s’occupe aussi d’un accueil immédiat à Cavaillon et l’Isle-sur-la-Sorgue, une commune voisine, pour un hébergement d’urgence, une médiation de rue et un accompagnement RSA. Si son financement provient en majeure partie de fonds publics, elle reçoit aussi des fonds privés (dons, partenariats) et n’a de cesse d’augmenter sa part d’autofinancement et d’autosuffisance.

La concertation au cœur de la gouvernance

Le Village fonctionne grâce à ses 20 salariés permanents et à une trentaine de bénévoles, mais se distingue d’autres structures sociales par sa philosophie. Gérard, bénévole deux jours par semaine, participe aussi au conseil d’administration, tout comme des résidents et des salariés permanents. « Il y a beaucoup de concertation », reconnaît-il. « On parle plus de rapports humains que de rapports hiérarchiques », souligne Martial, accompagnant social au Village depuis 2005. Vincent Delahaye, directeur de l’association, estime que « l’autogestion, la bienveillance et la convivialité sont les ingrédients simples d’une vie harmonieuse. Il s’agit de reconstruire un “nous” pour que le “je” s’exprime ».

Construire pour se reconstruire

Autre particularité : le soin apporté aux humains est indissociable de l’attention portée à l’environnement et à la terre. Cette terre permet d’ailleurs la fabrication, sur place, d’enduits intérieurs et des briques, avec lesquelles sont construites les maisonnettes du village. Sébastien Dutherage, de l’association pour la promotion des techniques écologiques (APTE, à Mérindol), qui apporte sa technicité et son expérience aux chantiers, vante les avantages de la balle de riz issue du décorticage des céréales, en arrivage direct de la toute proche Camargue : « C’est un matériau qui n’absorbe pas du tout l’humidité et ne coûte que le prix de son transport. Il s’adapte à la taille et à l’épaisseur souhaitée et constitue un excellent isolant face aux chaleurs estivales. » Ces matériaux biosourcés sont aussi des supports d’expérimentation et d’innovation. Ils sont utilisés sur des chantiers extérieurs, comme celui de la nouvelle mairie de Viens (84), mais particuliers et professionnels peuvent les commander.

« On parle plus des rapports humains que de rapports hiérarchiques »

Martial, accompagnant social

Laurent et son équipe de l'atelier maraîchage bio.

Pour Laurent, encadrant de l’atelier maraîchage bio, la ferme expérimentale du Bec Hellouin, en Normandie, constitue un modèle à suivre. Les cultures, diversifiées et développées sur presque un hectare et quatre serres froides, alimentent toute l’année des paniers de légumes livrés directement à une trentaine d’adhérents, en circuit court. « J’apprends beaucoup des gens qui viennent travailler avec moi, affirme Laurent. Quand j’entends parler d’eux comme de déchets de la société, ça me fait bondir. » Les personnes déracinées comme Soulaimane, réfugié Afghan qui rêve de faire venir en France ses quatre enfants, tente de se reconstruire un avenir en se reliant à la terre.

Cultiver mais aussi se cultiver

Au-delà de la dimension matérielle, le Village s’attache à offrir une ouverture sur le monde et la culture. « Le lien au sensible et au beau est fondamental, explique Vincent Delahaye. Le Village est un endroit de vie avec une ambition d’émancipation des personnes. » Ainsi, l’orchestre Village Pile Poil permet à chacun de s’exprimer au travers d’un collectif. Depuis 2012, le Village organise aussi tous les deux ans le festival C’est pas du luxe, qui met en lumière le travail artistique mené par des structures sociales de toute la France.

Et après le Village ? À l’issue de leur contrat d’insertion, un sur deux retrouve du travail ou part en formation, selon les chiffres de 2017. D’autres n’ont pas cette chance, « mais on sait qu’ils ont avancé sur certains aspects, que ce soit sur le logement ou la mobilité, qui les éloignent de l’emploi », constate Florian Istria. « Je revois des gens qui restent marqués par leur passage au Village il y a 12 ans », déclare Sylvie Maurel, du CCAS.

Car qu’on soit résident, salarié, bénévole ou visiteur, on repart forcément différent de cet endroit mixant autonomie et ouverture, qui a su inventer un modèle singulier… à essaimer.

 

Plus d’info

associationlevillage.fr

www.apte-asso.org

www.cestpasduluxe.fr

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