Le TOIT de la Transition

Publié le mar 26/09/2017 - 16:08

Comment allier action sociale et écologie ? Une association aixoise a trouvé la solution en accueillant des personnes en errance dans un bâtiment passif. Quand la transition écologique soutient la transition personnelle…

Par Laurie Abadie

PRYTANES : des logements actifs contre l’exclusion

Prytanes II, établissement d'hébergement et de réinsertion sociale et professionnelle des personnes en situation d'exclusion, a ouvert ses portes dans le quartier de Luynes, à Aix-en-Provence, en novembre 2015. Bilan positif pour ce bâtiment écologique géré par l’association HAS (Habitat Alternatif Social). Celles et ceux qui y passent sortent de la rue et retrouvent une vie décente.

« Prytanes II allie social et écologie. Le projet prône une transition personnelle au travers de la transition environnementale », lance Rémy Barges, chargé de mission pour HAS. Cette association est à l’initiative de la création d’un Centre d’Hébergement et de Réinsertion Sociale (CHRS) pas comme les autres, à Luynes, au sud d’Aix-en-Provence. Terrasse, bardage bois, espace vert partagé : le bâtiment d'un étage a tout d'une agréable résidence urbaine à taille humaine.

« Prytanes » (du nom du gouvernement citoyen athénien dans l'Antiquité) était à l'origine une maison réhabilitée en 2008 en six logements individuels. En 2015, les Prytanes font peau neuve : un nouveau bâtiment voit le jour sur le terrain voisin. Un projet de 1,6 million d’euros financé par la Communauté du pays d’Aix, le Conseil régional, la Fondation Abbé Pierre, l'Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) et l’État. Habillé de passerelles extérieures en métal et de bois grisé, ce nouvel « espace de cohésion sociale », comme l’appelle Rémy Barges, est un bâtiment passif. C'est-à-dire qu'il consomme très peu d'énergie.

Grâce à ses panneaux photovoltaïques et une conception permettant une stabilisation des températures (isolation performante en laine de bois, VMC double-flux, principe bioclimatique), la construction « lutte contre la précarité énergétique et s’offre le luxe d’une facture énergétique mensuelle s’élevant à 15 € par personne », annonce Bruno Stengel, 57 ans, éducateur spécialisé en charge des Prytanes. Des toiles tendues violettes protègent les studios du soleil estival. L’hiver, seul un chauffage d'appoint équipe les salles de bains. Qui dit mieux ?

Quitter la rue et l’addiction

Une fois le potager longé, nous pénétrons dans la salle commune. Flanquée d’une grande baie vitrée et d’un mur parsemé de citations écrites par les habitants, une imposante table de réception nous ouvre les bras. Moyennant un loyer de 170 € mensuel, les neuf studios de 25 à 28 m² sont occupés par des personnes en situation de grande errance et âgées de plus de 40 ans. Le lieu « accueille des individus alcooliques ou toxicomanes. Il accepte les animaux de compagnie », précise Bruno Stengel. La consommation d’alcools légers (pastis, bière ou vin) y est admise. Celle de drogues n'est pas autorisée dans les parties communes mais tolérée dans les studios.

Contrairement aux centres d’accueil classiques, « ici ce n’est pas une dictature », assure Robby Babel, 62 ans, dernier résident arrivé. « Quand on est privé de nos addictions, on consomme encore plus à l’extérieur pour compenser le manque », poursuit-il. Ce que confirme la trajectoire de Didier Lespinasse. Cet ancien sans domicile fixe de 52 ans, est dépendant à l’alcool depuis l’âge de 13 ans. Il dévoile « avoir réduit de trois quart [sa] consommation » depuis qu'il est arrivé aux Prytanes, en mai 2014.

De haut en bas et de gauche à droite : Didier (résident), Cyrille (résident), Suzanne (ex-résidente), Sébastien (résident), Pablo (infirmier), Pascal (résident), Yannick (résident), Lauren (éducatrice), Bruno (éducateur), Antoine (stagiaire éducateur), Robby (résident). © J. Carnec

Un appui sans faille

Un résultat rendu possible par le soutien et la bienveillance des accompagnateurs : « Je serais déjà parti si le personnel n’était pas aussi adorable », souligne Robby, ancien enseignant en éducation physique, habitué aux squats en milieu rural depuis une vingtaine d’années. Les locataires sont suivis par des assistants sociaux, psychologues, addictologues et infirmiers. Presque tous sont mis en relation avec un conseiller en économie sociale et familiale. Le manque d’argent ayant été courant pour nombre d’entre eux, une fois leurs papiers en règle et les aides financières créditées, ils sont souvent perdus.

Le visage marqué par son passé d’héroïnomane, Lili, de passage à Luynes mais hébergée dans une maison relais de HAS sur Marseille, l’explique. « Quand tu as dû quémander pendant des années et que d’un coup l’argent tombe tous les mois, tu ne sais pas comment le gérer ».

C’est également le cas de Cyrille Paté, 53 ans, qui a séjourné aux Prytanes durant trois ans et demi. Suite au décès de son père, il se retrouve en situation d’errance à 15 ans. Une dépression le pousse vers la drogue lorsqu’il a 31 ans. Arrivé aux Prytanes en 2010, il redécouvre le quotidien avec un toit et de l’argent dans les poches. « J’ai pu me soigner dignement de l’hépatite C et, depuis trois ans, j’ai complètement arrêté de me droguer », raconte Cyrille. À travers le jardinage pratiqué dans le potager collectif, le bricolage et la vie en communauté, il s’est aperçu qu’il « s’ouvrait aux autres et était capable de faire quelque chose », confesse-t-il les mains entrecroisées.

Une transition personnelle

Plus qu’un simple toit, Prytanes marque souvent la transition personnelle de ses habitants. « Rien que le fait d’avoir son nom sur une boîte aux lettres leur redonne l’impression d’exister aux yeux de la société », affirme Lauren Marchal, en formation d’éducatrice spécialisée aux Prytanes.

Un changement radical pour Sébastien. Sorti de prison il y a quelques années, il a connu la rue avant d’atterrir aux Prytanes, où il a « décidé de reprendre les rênes » de sa vie. Après quatre cures de désintoxication, « j’ai arrêté de boire depuis plusieurs mois maintenant », précise-t-il en faisant visiter son studio, situé en face du potager. Sevré et travaillant depuis peu, il ne lui reste plus qu’à obtenir son permis de conduire pour atteindre ses objectifs.

 

Un bilan positif puisqu’il « n’y a eu aucun retour à la rue pour les 35 personnes que nous avons accueillies », se félicite l'éducateur spécialisé Bruno Stengel. Seul regret des occupants : devoir un jour quitter l'établissement. Car les personnes partent quand elles ont retrouvé stabilité et sérénité. Laurent, résident depuis plusieurs années, manifeste sa volonté de rester encore aux Prytanes, de peur de « ne jamais pouvoir trouver aussi bien que ce petit bout de paradis ».

Plus d'infos : www.has.asso.fr

 


INTERVIEW

DOMINIQUE GAUZIN-MÜLLER : « Construire écologique n’est pas forcément plus cher ! »

 

L’architecte Dominique Gauzin-Müller est une des plus grandes spécialistes françaises du bâtiment écologique. Enseignante à l’École d’Architecture de Strasbourg et auteure de nombreux ouvrages, elle a été rédactrice en chef du magazine Ecologik de 2007 à 2016. Elle dirige aux éditions Muséo la collection Transition écologique et prépare actuellement un livre consacré à la construction durable dans l’habitat social. Parution prévue pour le premier semestre 2018…

 

Comment qualifier aujourd'hui le parc français d'habitat social au regard des exigences de l'habitat écologique ?
Il y a plus d'innovations en matière d’économies d’énergie, d'utilisation de matériaux bio-sourcés ou géo-sourcés et de démarches participatives menées par des bailleurs sociaux que par des promoteurs privés. Tous les offices d’HLM ne sont pas des militants écologistes, mais certains sont très engagés. Sur le territoire de Bordeaux Métropole, Aquitanis travaille par exemple sur toutes les dimensions de l'habitat durable : énergie, rénovations, bâtiments en bois local venant des Landes, constructions en terre crue… Il est aussi reconnu pour son implication sociale, notamment via le projet d’habitat participatif et coopératif « La Ruche ».

Selon vous, l'habitat écologique doit-il concerner en priorité le logement social ?
Bien entendu ! D'abord pour donner l'exemple. Ensuite, parce que l'Habitat à Loyer Modéré loge une grande partie de la population. Et aussi parce que les foyers bénéficiant de l'habitat social sont souvent financièrement fragiles. Et qu'il convient de baisser leurs charges pour éviter les situations de précarité énergétique. Ceci dit, la précarité énergétique touche surtout des seniors propriétaires de pavillons construits dans les années 1960 ou 1970, qui sont de véritables passoires énergétiques. L'habitat social n'est donc pas le seul levier pour lutter contre ce fléau.

Les bailleurs sociaux font peut-être souvent la confusion entre habitat écologique et habitat thermiquement performant. Or un logement BBC n'est pas forcément construit avec des matériaux sains ?
Tout à fait ! Je défends depuis longtemps une approche holistique de l’architecture. C'est-à-dire globale et pluridisciplinaire. Il convient d'abord de penser l'échelle de l'urbanisme : rapprocher l'habitat du travail, des commerces et des services pour éviter les longs déplacements, sources de pollution et de fatigue. Il faut aussi penser l'environnement des bâtiments. Les aménagements paysagers comprenant des espaces végétalisés changent la vie des habitants.

Puis, il faut réfléchir à l'architecture. Un immeuble peut être passif ou BBC, tout en étant réalisé avec des matériaux qui demandent beaucoup d'énergie dite « grise », dépensée tout au long de leur cycle de vie : béton, isolation en polystyrène… Il convient de favoriser le recours à des matières saines, locales et naturelles, comme le bois, la terre ou la paille.

Cependant, est-ce que les coûts de l'habitat écologique peuvent être supportés par les bailleurs et maîtres d'ouvrage publics ?
Construire écologique n'est pas forcément plus cher ! Cela dépend de la façon dont on pense le projet. Il est par exemple possible de se concentrer sur la réalisation de surfaces dont on a impérativement besoin, en réduisant ou en mutualisant certains locaux entre les habitants d'un immeuble. Il est aussi possible de livrer le gros œuvre et de faire participer les futurs locataires à certains travaux, comme les peintures ou les enduits. Participer à la construction de son logement est très valorisant, et on prend plus soin de ce que l’on a fait soi-même !

Vivre dans un logement performant nécessite une phase d'appropriation par les habitants, pour apprendre à se servir des systèmes de traitement d'air ou de chauffage. Les bailleurs sociaux doivent-ils « former » les futurs occupants à l'utilisation de ces techniques ?
Certains bailleurs commencent à changer de point de vue sur les installations techniques, car elles ne sont pas toujours assez robustes. Chez Aquitanis, par exemple, l'accent est mis aujourd’hui sur la frugalité, notamment en favorisant la ventilation naturelle. Il faut alors que les logements soient traversants pour que l'air puisse circuler. On peut aussi mettre systématiquement des fenêtres dans les salles de bains, comme le fait l'architecte Philippe Madec. Quelques bailleurs commencent à recourir à des matériaux qui régulent l’humidité de l’air, comme la terre crue. Certains font le choix d'investir dans des matériaux sains et produits localement. Ce qui est également bénéfique pour l'économie des territoires !

À lire
Habitat social d'aujourd'hui, par Dominique Gauzin-Müller, Éditions Muséo, 2018 ; Habiter les lieux : de la RSE à la transition, par Bernard Blanc, directeur d’Aquitanis, Éditions Muséo, 2017.

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