[THEMA] Pouvons-nous cohabiter avec le loup ?

Publié le mer 17/05/2023 - 10:00

Propos recueillis par Quentin Zinzius. 

Disparu depuis le début du XXème siècle, le loup a fait son retour naturellement en France il y a près de trente ans. Depuis, l’espèce se développe, non sans générer quelques conflits avec les activités pastorales. Pierre Rigaux, expert naturaliste, défend le loup face à ses détracteurs. Nicolas Jean pilote la Brigade mobile d’intervention loup en charge de son suivi et de certains abattages, autorisés depuis 2004.

 

Pierre Rigaux, expert naturaliste spécialiste du loup, à son compte depuis 2018 après des années passées à la LPO.

« Dans un contexte de disparition globale de la biodiversité terrestre, notamment des mammifères sauvages, le rebond démographique du loup, espèce protégée et vulnérable, offre une chance inespérée. La capacité démographique de l’espèce, associée à des mesures européennes de protection et à un important couvert forestier sur notre territoire, lui permettent aujourd’hui de reconquérir des territoires.

Mais ce retour n’en est encore qu’à son début. L’aire de répartition actuelle des loups est toujours bien en deçà de l’aire de répartition historique. Aujourd’hui en France, l’espèce se développe principalement autour de l’arc alpin, ainsi que des autres gros massifs montagneux, et des zones protégées, notamment les cœurs de parcs nationaux où le niveau de protection est théoriquement le plus élevé. Seulement, ces espaces ont une fâcheuse tendance à engendrer des conflits avec les usages humains. Dans le cœur du parc du Mercantour par exemple, premier bastion du retour du loup en France, près de 160 000 brebis pâturent tous les étés. Une situation qui ne peut qu’aboutir à une part de prédation des loups sur les troupeaux.

A l’heure actuelle, le loup est, sauf exceptions, cantonné à ces espaces montagneux par des décisions politiques. Chaque tentative de dispersion se traduit par l’errance d’un ou plusieurs loups solitaires cherchant à s’installer sur un nouveau territoire et se termine par l’abattage de l’animal sur ordre du préfet, comme récemment dans le Doubs et en Saône-et-Loire. Pourtant, il y a de la place pour le loup dans la plupart des régions. Une cohabitation est notamment possible dans nos campagnes, où l’espace et la nourriture ne manqueraient pas pour eux et où les activités humaines comme l’élevage ovin sont suffisamment faibles pour limiter les prédations. »

Nicolas Jean, directeur adjoint de la direction Grands prédateurs terrestres de l’Office français de la Biodiversité (OFB), pilote la Brigade mobile d’intervention loup.

« En France, le retour du loup est suivi de très près depuis le début des années 1990. Animal particulièrement adaptable, il peut théoriquement étendre sa répartition à tout le territoire national. L’État français ne met d’ailleurs pas de limite administrative géographique à son l’expansion. Dans un contexte de protection au niveau européen, l’espèce s’est rapidement développée pour atteindre courant 2019 la barre des 500 individus estimés, seuil de viabilité démographique d’une espèce. Fin 2022, leur nombre est évalué à plus de 920 sur le territoire.

Seulement, depuis son retour, ce grand prédateur est aussi responsable de nombreux dégâts, notamment sur les troupeaux ovins et bovins. Afin de limiter les impacts et permettre la coexistence avec ces activités humaines, l’État autorise depuis 2004, sous certaines conditions, que des loups puissent être abattus. Depuis plusieurs années, il est possible d’abattre un plafond (et non un quota à atteindre) de 19 % de la population estimée de loups sur le territoire (174 en 2023). Ce plan de prélèvements s’applique à l’ensemble du territoire, si bien que chaque préfet peut décider de le mettre en application lorsqu’un loup est détecté.

Ces abattages sont indispensables pour certaines zones, comme le Larzac qui est difficilement défendable avec des méthodes de dissuasion (chiens patou, filets et clôtures électrifiées, aides bergers), et pour lesquels les troupeaux sont continuellement menacés. Pour d’autres, comme le Doubs, le Lot ou encore la Lozère, le loup est un problème nouveau et il n’est pas le bienvenu pour les éleveurs. Théoriquement, le tir d’un loup n’est censé intervenir que lorsque tout a été tenté pour empêcher les dégâts. Mais pour permettre la coexistence, il faut parfois se résoudre à tuer des loups avant que des dégâts trop importants ne soient faits. »

 

À lire : Loup, un mythe vivant, Delachaux et niestlé, 2020.

Plus d’infos :

pierrerigaux.fr

loupfrance.fr

 

 

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