Propos recueillis par Elsa Gautier
Membre de La France insoumise, Manon Aubry, 31 ans, a été élue députée européenne en 2019 et co-préside le groupe de la Gauche unitaire européenne/Gauche verte nordique. Ancienne porte-parole d'Oxfam France, elle bataille aujourd'hui pour faire adopter une directive européenne sur le devoir de vigilance des multinationales.
Que vous a appris votre expérience passée au sein des ONG sur l'impunité des multinationales ?
J'ai travaillé plusieurs années au Congo pour documenter les abus d'entreprises qui extraient là-bas du cuivre et du cobalt. Tous nos téléphones en contiennent mais jamais Apple ou Samsung ne vont être tenus responsables des violations de grande ampleur du secteur minier : travail des enfants, personnes déplacées de force, terres polluées. C'est l'absence de responsabilité qui règne dans toute la chaîne de production ! Je m'étais promis en arrivant au Parlement européen d'en faire une de mes priorités.
Qui sont les lobbys mobilisés contre le projet d'un devoir de vigilance européen que vous portez avec d'autres eurodéputés de gauche ?
Business Europe. C'est le lobby le plus puissant au niveau européen. Dedans, il y a l'Afep [association qui regroupe 111 multinationales dont 98 françaises]. Ce sont les pires... Ils utilisent tout l'arsenal classique (courriers, rendez-vous, invitations à déjeuner…) et ont même fait écrire une tribune alertant sur la compétitivité par des députés de droite, ce qui pose une vraie question démocratique ! Au départ, ils appelaient à rejeter le devoir de vigilance par principe. Aujourd'hui, ils disent qu'ils sont pour, si la responsabilité se limite au premier rang de la chaîne d'approvisionnement. Il suffirait alors aux entreprises de créer un intermédiaire bidon pour échapper à leur responsabilité.
Le Parlement Européen a voté votre rapport et la commission doit dévoiler en juin une proposition de texte. Quelles sont les chances d'aboutir à une directive européenne ambitieuse ?
Ce rapport, c'est le texte le plus ambitieux que j'ai voté depuis que je suis arrivée au parlement. Je suis lucide sur l'influence des lobbys auprès de la Commission et sur ce qui est en train de se passer en coulisse pour amoindrir le texte. Mais je suis combative. J'espère que le début de mobilisation qu'on a réussi à créer pourra nous aider à maintenir la pression.
