RÉCUP & GAMELLES VALORISE LES « DÉCHETS »

Publié le jeu 19/07/2018 - 16:40

 

Par Élodie Horn

Depuis 2014, l'association Récup' & Gamelles œuvre contre le gaspillage alimentaire au sein de la métropole lyonnaise. Grâce à des ateliers, des buffets et une bocalerie solidaire animés par les fondatrices et leurs bénévoles, leur action zéro déchet continue de se faire connaître. Même en constante évolution, leur cheval de bataille reste le même : prouver que la nourriture assimilée à des déchets peut être revalorisée plutôt que jetée.

« Tu veux des tomates? Il y en a encore plein », plaisante un des revendeurs en voyant arriver Antinéa Dugua sur le marché du quartier des États-Unis, lieu populaire du 8e arrondissement de Lyon. Elle vient y récupérer les invendus et demande aux commerçants le nom de leurs revendeurs pour la tracabilité des produits. « La plupart sont vraiment sympas, ils me gardent des produits. Je repars souvent avec trop de choses », sourit Antinéa Dugua. Elle commence à y être bien connue puisqu'avec le marché de la Croix-Rousse, un des plus touristiques de la ville, ce sont les deux lieux où elle glâne la majorité des produits rééutilisés par Récup' et Gamelles. Cette association qui la salarie depuis deux ans, Antinéa l'a fondée en 2014 avec deux amies, Prescillia et Alexandra. « Nous ne voulions pas faire quelque chose qui existait déjà. Comme des associations de glanage sont bien implantées, nous avons préféré imaginer une structure qui leur soit complémentaire », précise Antinéa Dugua, 32 ans, qui a elle-même toujours vu son père, cuisinier amateur, s'amuser à inventer des recettes en transformant les produits qu'il trouvait dans le frigo. Quant à Prescillia Bellat, 36 ans et cofondatrice de l'association, elle a été sensibilisée à la thématique environnementale en Guyane où elle a vécu 5 ans. En rentrant en France et en devenant maman, elle pousse plus loin le cheminement en rencontrant des structures dédiées au zéro déchet. Elle a alors un déclic qui lui donne envie de sensibiliser le grand public de façon ludique à la revalorisation des déchets.

Des bénévoles de 20 à 71 ans

Sur le marché, Antinéa récupère en priorité des fruits et légumes qui serviront à fabriquer des confitures et des confits de légumes, ou encore des chutney et du ketchup. Pour donner une seconde vie à ces produits, direction la bocalerie solidaire de l'association. Chaque semaine, Antinéa Dugua est accompagnée d'un ou plusieurs bénévoles afin de transformer ces invendus en produits qui seront ensuite commercialisés dans des épiceries solidaires et zéro déchet. « Nous avons environ 100 bénévoles inscrits, qui ont entre 20 et 71 ans et nous aident lors des différentes activités de l'association. Les profils sont très variés mais la plupart partagent cette même sensibilité pour l'environnement », analyse la jeune femme qui travaillait auparavant dans une compagnie de théâtre. Pour cette session de cuisine, la doyenne des bénévoles est présente, Régine Sicard, une ancienne professeure de biologie. « Nous allons cuisiner des confitures et des confits. Pour les préparer, on utilise les fruits que l'on a trouvés donc les saveurs peuvent être très variées. Aujourd'hui, pour la confiture, nous allons mélanger des fruits de la passion, de l'orange, des citrons et des bananes », précise Antinéa tout en recouvrant de sucre les fruits préalablement coupés en morceaux.

 

Antinéa Dugea transporte les invendus destinés à la transformation dans sa camionnette estampillée du logo Récup' et Gamelles. © E. Horn

Deux tonnes de produits relavorisés en 2017

Au total, elles produiront entre 60 et 70 pots dans l'après-midi. Lorsque la cuisson est terminée, les pots sont stérilisés avant d'être remplis. Ils sont ensuite ramenés et stockés dans les locaux de Récup' & Gamelles avant qu'une commande ne soit effectuée par des épiceries et associations locales qui commercialisent leurs produits. Ces pots sont vendus à prix coûtant auprès des épiceries, les seuls bénéfices servent à payer le prix du sucre, le déplacement et le salaire d'Antinéa. Après chaque session de cuisine, ils calculent les déchets qui ont pu être revalorisés. « En 2017, environ 2 tonnes de déchet ont été revalorisés par notre activité. Pour cette année, nous savons déjà que l'on va dépasser ce chiffre », précise Antinéa Dugua.

Pour s'adapter à la demande qui ne cesse d'augmenter, ils ont trouvé de nouveaux locaux dans le 8e arrondissement et équipés d'une cuisine. « L'idée est d'aménager une cuisine zéro déchet. Nous y proposons depuis peu des ateliers aux habitants du quartier dont la population est assez mixte et populaire. Mais nous animons aussi des ateliers auprès des entreprises », ajoute-t-elle. La bocalerie sert davantage de vitrine à l'association, mais l'essentiel de ses recettes viennent des ateliers et des buffets pédagogiques de l'association.

De nouveaux locaux pour organiser des ateliers

Récup' & Gamelles propose à des entreprises, des MJC ou encore des centres sociaux de venir faire un buffet afin de sensibiliser les participants au gaspillage alimentaire. En 2017, l'association a réalisé un chiffre d'affaires de 140 000 €. « Nous prévoyons de monter à 160 000 € en 2018. Nous souhaitons désormais moins dépendre des subventions qui représentent environ la moitié de nos financements », précise Prescillia Bellat. L'association dépend notamment de subventions de la Direction Régionale de l'Alimentation, de l'Agriculture et de la Forêt (DRAAF), de la Métropole de Lyon et aussi de la Région après avoir gagné un appel à projets pour l'organisation des ateliers. Pour pérenniser leur activité, ils souhaitent se professionnaliser et devenir organisme de formation. « Pour nos buffets pédagogiques, nous allons faire venir un véritable cuisinier. Nous allons aussi proposer plusieurs modules de formation d'animateur zéro gaspi d'ici 2019. Ils seront destinés aux entreprises, aux animateurs ou encore aux ambassadeurs citoyens », précise Prescillia Bellat, qui consacre deux jours par semaine à l'association aux côtés de trois salariés à temps plein. Leur cheval de bataille ? Continuer de sensibiliser la Métropole lyonnaise et ses habitants au zéro déchet.

 


Les Français jettent en moyenne un repas par semaine

Selon l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l'énergie (l'Ademe), le gaspillage alimentaire représente 29 kg de déchets par an et par habitant en France. Sur ces 29 kg de déchets, 7 d’entre eux se composent d’aliments encore emballés, soit l’équivalent d’un repas par semaine jeté. Selon l’Ademe, ce sont les légumes qui sont le plus gaspillés, devant les liquides et les fruits. Le coût du gaspillage alimentaire représentait en 2016, entre 100 et 160 euros par personne et par an en France.

 


Xavier Corval, Eqosphere : « Du numérique à des dispositifs complets de réduction des déchets »

DR

Propos recueillis par VG

Xavier Corval est le fondateur d'Eqosphere, une start-up de l'économie sociale et solidaire qui lutte contre le gaspillage. Il est également membre actif du Pacte national de lutte contre le gaspillage alimentaire.

Quel est le concept d'Eqosphère ?

En 2009, j'ai eu l'idée de créer une plateforme numérique de connexion entre tous les acteurs professionnels – hypermarchés, restauration commerciale ou collective, secteur événementiel, industries, hôpitaux… – à l'origine de surplus alimentaires et non alimentaires. L'objectif est d'orienter, grâce à un algorithme, tous les produits qui sortent de leur circuit commercial initial vers les meilleures filières de revalorisation : réemploi, recyclage, filières d'économie circulaire ou don à des acteurs de la solidarité.

Vos champs d'actions sont désormais plus larges ?

Oui, rapidement je me suis rendu compte que jamais le numérique ne suffirait à modifier les process et la culture d'une entreprise. On a donc très vite construit toute une suite de solutions. On commence par un diagnostic qu'on réalise « les mains dans les poubelles » sur les produits considérés comme déchets pour en détourner le maximum. On remet ensuite à nos clients un rapport d'observation sur la conduite du changement des process pour réduire les facteurs de gaspillage, pour améliorer l'offre et l'approvisionnement. C'est très important, on n'est pas seulement dans la revalorisation mais aussi dans la réduction des facteurs de gaspillage.

Vous avez également une activité de formation…

Oui, l'étape suivante est celle de la conduite du changement de la culture des entreprises. Il s'agit d'une formation référencée auprès des OPCA (Organismes paritaires collecteurs agréés).

Parallèlement, on fait un travail d'analyse des données pour obtenir des indicateurs sociaux, environnementaux et économiques sur cette démarche de RSE entreprise par nos clients. Par exemple, notre collaboration avec l'enseigne Leader Price a permis en 2017 la valorisation de 508 tonnes de denrées alimentaires et la distribution de l’équivalent d’1 million de repas. La « visibilisation » du gaspillage et nos rapports permettent aussi à nos clients d’améliorer leur approvisionnement en quelques mois.

Quel est le statut d'Eqosphere ?

C'est une SAS dotée de l'agrément ESUS (Entreprise solidaire d'utilité sociale) depuis sa création. C'est très important pour moi parce que c'est un vrai choix d'entrepreneur qui structure l'entreprise. En effet, on ne peut pas redistribuer plus de 30 % des bénéfices sous forme de dividendes.

Plus d'infos :

www.eqosphere.com

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