[LUTTE] Dans la Drôme, haro sur la carrière du Mont Vanille

Publié le mer 07/10/2020 - 07:05

Par Jérémy Pain

À Saint-Nazaire-en-Royans (Drôme), un projet prévoit l’implantation d’une carrière sur le Mont Vanille. Informés tardivement, les habitants des communes environnantes s’opposent depuis à ce futur chantier et espèrent son abandon. Ils dénoncent notamment la détérioration de leur cadre de vie, de la biodiversité et le manque de démocratie locale. Une décision préfectorale sera rendue dans les prochaines semaines.

En ce samedi d’été ensoleillé, les berges de l’Isère à Saint-Nazaire-en-Royans offrent une vue imprenable sur les montagnes environnantes et l’aqueduc qui enjambe le village. L’entrée du parc régional du Vercors et des routes qui vont désormais serpenter dans les gorges. Des notes d’accordéon s’échappent d’une scène, pourtant les 200 personnes réunies ce jour n’ont pas la tête à la fête. Elles sont venues crier leur désaccord face à un projet qui menace ce paysage de carte postale. La crise de la Covid-19 a mis en sourdine leur colère pendant quelques semaines mais elle n’a pas mis longtemps à ressurgir. Début juin, la publication du rapport du commissaire-enquêteur (CE), favorable à l’ouverture d’une carrière, a fait bondir les habitants de Saint-Nazaire-en-Royans. Ce chantier sur le Mont Vanille, à 150 mètres des premières habitations du village de 800 habitants, ils n’en veulent pas.

Le projet, d’une emprise de 4,4 hectares à flanc de colline, prévoit à terme l’exploitation de 90 000 tonnes de roches par an sur une durée renouvelable de 30 ans. Porté par un entrepreneur local, il a été voté discrètement par l’ancienne municipalité. Lorsqu’à la fin 2019, les habitants ont pris connaissance du programme dans le journal communal, une opposition citoyenne s’est constituée, élargie aux communes environnantes, impactées notamment sur le plan visuel. “Ça fait 7 ans qu'ils ont préparé un projet “en loucedé”, qu'ils ont lancé les billes et on découvre ça à la dernière minute”, fulmine Pierric Duflos, opposant de premier plan. “J'habite à 500 mètres du site. C’est en amenant ma voiture en panne au garage que j’ai été mise au courant fin 2019”, renchérit Maud qui a intégré depuis l’association qui s’oppose à la carrière. Sur les réseaux sociaux, ils sont plus de 1000 personnes comme elle à suivre l’avancée du projet et souhaiter son retrait. “On va détruire sur cette montagne toute une faune et une flore qui sont protégées. Cela m'a mise dans une grande colère.” Le rapport du CE note à ce titre que 167 espèces de fleurs ont été répertoriées sur l’emplacement de la future carrière dont trois à enjeu très fort. Des espèces animales à enjeu de conservation fort ou modéré sont également présentes sur le site dont des oiseaux, des chauves-souris ou encore la genette commune, mammifère nocturne très discret.

Ambiance houleuse

Les griefs s'accumulent contre le projet : nuisances sonores, paysage et valeur immobilière dégradés, crainte de faire fuir les touristes, conséquences sur l’environnement et la santé. L’enquête publique, étalée sur les deux premiers mois de l’année 2020, s’est conclue par une réunion à laquelle ont participé plus de 300 personnes venues chercher de précieuses informations. La rencontre s’est déroulée dans une ambiance houleuse due en grande partie à l’attitude du commissaire, jugé trop proche des intérêts du porteur de projet. “Il n'a pas rempli ses obligations puisqu'il n'a pas mis au centre de la question l'acceptabilité sociale du projet. Les habitants ne veulent pas de cette carrière”, assure Pierric Duflos.

Pour l’entrepreneur local, Benoît Gauthier, qui a justifié son projet auprès des habitants lors de la réunion publique, la carrière va au-delà du cadre réglementaire. “J'ai pris des engagements forts comme celui de ne pas faire d'exploitation du 15 juin au 15 septembre hormis le chargement et le transport. Nous recyclerons les matériaux, c'est une économie circulaire.” Par ailleurs, le carrier assure que l’impact visuel sera minimisé du fait de l’exploitation dite “en dent creuse” de la roche.

La confiance est rompue, ces arguments peinent à convaincre les contestataires. Une position confortée depuis par l’avis défavorable rendu par le Conseil national de la protection de la nature, par de nombreuses communes alentours ainsi que par le conseil scientifique du parc régional naturel du Vercors. Surtout, lors des dernières élections municipales, le maire sortant de Saint-Nazaire-en-Royans et toute son équipe ont été balayés au profit d’une liste renouvelée, ouvertement opposée à l’ouverture de la carrière. Le scrutin a fortement mobilisé la population avec un taux de participation de 67,8% contre 44,66% au niveau national.

L’ouverture de la carrière devrait, selon le porteur de projet Benoît Gauthier, amener à la création de sept emplois maximum et une redevance annuelle autour de 20 000 euros à la commune selon l’ancien maire de Saint-Nazaire. Bien trop peu pour les opposants qui ne sont pas pas prêts à brader leur montagne, leur “jardin”. “Avec tous les désagréments que ça peut avoir en termes de vibrations des tirs d'explosifs, de pollution aux poussières, de trafic routier, de risque sur le canal historique de la Bourne qui irrigue la plaine de Valence… C'est un projet opaque”, se désespère Pierric Duflos, encore sonné par les compromis de l’ancienne équipe municipale.

Priorité à l’eau potable !

Mais, pour l’opposition, l’argument-massue se situe au niveau des ressources naturelles des lieux. “Le premier enjeu, c'est l'eau potable. Le deuxième c'est l'eau, le troisième c'est l'eau”, établit Laurent Garnier, figure de la résistance locale en sa qualité de gestionnaire des activités touristiques de pleine nature dont les grottes de Choranche et de Thaïs. Ce sont ces dernières qui sont au centre des préoccupations. “La source karstique de Thaïs est l'une des plus importantes du Vercors. Elle est mise en réserve stratégique pour le futur et peut donner de l'eau potable pour 20 000 personnes. Les produits polluants des explosifs peuvent souiller les nappes. Les études géologiques ne sont pas suffisantes pour prouver avec certitude que l'eau polluée de la carrière ne viendra pas ici”, s’inquiète le spécialiste. Les opposants demandent des traçages pour prouver l’absence d’impact. “La priorité doit être donnée à l'eau potable et non à la carrière. On parle de la collectivité, de l'humain, des générations futures. On oublie l’avenir. Qu’est ce qu’on va laisser à nos enfants ?”, s’indigne Marlène, membre de l'association Protégeons le mont Vanille Royans Vercors.

Dans son rapport, le commissaire-enquêteur analyse qu’il n’y a aucun risque lié à l’eau sur le site. Examen contrebalancé dans le même rapport quand la mission régionale d’autorité environnementale (MRAE) signale “qu’il n’y a pas de certitude totale quant à l’absence de relation du site avec l’aquifère karstique de la source de Thaïs.”

Saint-Nazaire... le désert ?

La balle est désormais dans le camps du préfet qui doit rendre son avis dans les prochaines semaines. Mais le collectif ne se fait pas d’illusion. Dans l’immense majorité des cas, le représentant de l’Etat suit les recommandations du commissaire-enquêteur. Son rapport donne le feu vert au carrier mais fait grincer des dents les opposants. Entre le manque de clarté et de rigueur, ils ont relevé de nombreuses “perles” à l’intérieur du document. À plusieurs reprises notamment, Saint-Nazaire-en-Royans devient Saint-Nazaire-le-Désert... “C'est peut-être prémonitoire parce qu'avec la carrière, il y a de grandes chances que la commune soit dépeuplée”, ironise Pierric Duflos.

Se prépare donc un combat dans la durée à coups de recours. L’histoire se terminera-t-elle comme celle du projet de Center Parcs, dans la forêt voisine de Roybon, fraîchement abandonné après plus de dix ans de procédure ? Pour Laurent Garnier, “ce serait dommage, c'est une guerre qui mène à des combats pas toujours bons pour le territoire et où personne ne sort gagnant”.

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