DOSSIER - Zones d’activités commerciales : le trop-plein ?

Publié le mar 06/12/2016 - 16:05

Avec 22 millions de mètres carrés de libre-service alimentaire, la France enregistre l’une des plus fortes densités commerciales en Europe, selon les informations du site Internet du Sénat. Parallèlement, les centres-villes se vident de leurs commerces avec un taux de vacances record qui atteint désormais le seuil symbolique des 10% sur l’ensemble du pays. La tendance peut-elle s’inverser ? 

 

 

 


 

ENQUÊTE - Grandes surfaces : la boulimie du carrelage

Par Bertrand Gobin 

 

 

rayon supermarché

© BG

Les grandes surfaces ont saturé l’Hexagone de leurs hangars multicolores. Avec le blanc-seing des pouvoirs publics. Pourquoi ? Comment ? Quelles en sont les conséquences ? Notre enquête lève le voile sur la face cachée des hypermarchés.

 

Toutes les études le confirment : pour les produits de grande consommation, Nantes est la ville la moins chère de France. La capitale des prix bas doit ce titre à la présence historique sur l’agglomération de six gros hypermarchés Leclerc. Ces paquebots, implantés tout autour du périphérique et jaugeant tous au moins 10 000 m² de carrelage, entretiennent une bagarre permanente sur les étiquettes. Contre les autres enseignes, mais également entre eux ! Les grandes surfaces de la cité des ducs de Bretagne ne sont pourtant pas les premières victimes de cette concurrence acharnée. Laminé, le commerce de centre-ville ne représente plus désormais que 15 % de l’offre de surface commerciale au sein de la métropole. Un chiffre deux fois inférieur à la moyenne nationale. À Nantes, même l’Apple Store a préféré s’installer à l’extérieur, en l’occurrence au sein de l’immense centre Atlantis, plutôt qu’en centre-ville…

No parking, no business

Les méga zones commerciales développées autour des grandes surfaces alimentaires sont pour le public des destinations à part entières. On a beau dire que l’ère de l’hypermarché est révolue, que le commerce de proximité retrouve les faveurs des chalands : il faut voir les ados et jeunes adultes s’agglutiner devant leurs enseignes favorites pour prendre la mesure de l’attractivité sans cesse renouvelée des galeries marchandes. « No parking, no business » : la formule est de Bernardo Trujillo, l’inventeur américain du libre-service. En France, dans les années 70, c’est l’avènement du tout-voiture qui a permis le succès de la grande distribution. Aujourd’hui, non seulement on continue encore massivement à charger son plein de courses pour la semaine dans son coffre, mais on peut aussi rejoindre de plus en plus facilement les zones commerciales de périphérie grâce aux transports en commun. Les hypermarchés sont devenus des éléments structurants du tissu urbain. Ils bénéficient à ce titre de dessertes publiques, de plus en plus en site propre.

On en arrive ainsi à cette situation paradoxale où les municipalités, pour des motifs légitimes de lutte contre les embouteillages sources de pollution sonore et atmosphérique, font la chasse aux voitures en ville tout en favorisant l’accès aux centres commerciaux de périphérie. Cherté des parkings, restrictions de circulation, diminution des places de stationnement : la liste est longue des griefs dressée par les associations de commerçants de centre-ville pestant contre les incitations à envoyer les consommateurs vers les forêts de hangars multicolores en bordure de rocade. « Et les élus continuent d’accentuer le déséquilibre en faveur des grandes surfaces de périphérie », se désole Hugues Frioux, ancien président de l’association nantaise Plein Centre.

hgghhg

La spirale du carrelage : toujours plus de mètres carrés, de méga promos et de prix cassés. © BG

L’administration : une machine à dire « oui »

En France, au-delà de 1000 m² de surface de vente, les créations de nouveaux magasins sont soumises à autorisation administrative. Elles sont délivrées par les commissions départementales d’aménagement commercial. Ces CDAC sont composées d’élus, au nombre de sept, dont le maire de la commune d’implantation, et de quatre personnalités qualifiées en matière de consommation, de protection des consommateurs, de développement durable et d’aménagement du territoire. Considérées par beaucoup comme des « machines à dire oui », elles délivrent des taux d’acceptation généralement supérieurs à 80 %...

Sous la présidence de Nicolas Sarkozy, les vannes ont été généreusement ouvertes. A la faveur de la loi de modernisation de l’économie (LME), votée en 2008, le seuil nécessitant une autorisation a été relevé, de 300 à 1000 m². Ce qui a notamment eu pour effet entre 2008 et 2011 la sortie de terre de plusieurs centaines de magasins hard discounts formatés sur 999 m². Lidl et Aldi disposent ainsi, ensemble, aujourd’hui, de près de 2500 points de vente sur l’Hexagone. Historiquement développées dans les banlieues, ces deux enseignes allemandes ont poussé comme des champignons dans les grosses communes rurales. Pour les maires, convertir des terres agricoles en lisière de village afin d’y implanter une zone d’activité est un signe de dynamisme. Et tant pis si les cinq emplois créés par le hard discount se traduisent demain par la fermeture de la charcuterie ou après-demain par le non remplacement du boulanger parti en retraite...

Le jackpot des agrandissements

De 2004 à 2014, les autorisations de création de nouvelles surfaces commerciales se sont faites à un rythme très soutenu, aux alentours de 3 millions de mètres carrés chaque année, enseignes spécialisées incluses mais non compris les drives. S’agissant des seuls commerces alimentaires, certaines années, les commissions départementales ont délivré, à l’échelle du pays, près d’un million de mètres carrés supplémentaires. L’équivalent de la création, ex nihilo, de 100 gros Carrefour ou Auchan... Bien sûr, ce ne sont pas tous les ans une centaine de nouveaux hypermarchés qui sont sortis de terre. Pour leur grande majorité, ces mètres carrés supplémentaires sont le fait d’extensions de magasins. Par exemple des supermarchés qui deviennent des hypers. Les agrandissements constituent un véritable jackpot pour les distributeurs. « Certes, ils coûtent de plus en plus cher parce qu’il en faut toujours plus pour attirer les clients, explique Florent Vacheret, rédacteur en chef du mensuel spécialisé Linéaires. Mais la magie opère toujours, avec des files d’attente et des accès encombrés dès qu'un magasin est rénové. » Ces dernières années, les clients ont vu apparaître des rayons parfumerie empruntant les codes du luxe (flacons vendus nus, sans blister), des caves de maturation pour la viande, la réinstallation de laboratoires avec embauche de vrais chefs cuistots pour fabriquer sur place, etc. La recette fait mouche à chaque fois. Les clients adorent la nouveauté. D’autant que les réouvertures sont toujours le prétexte à de grandes opérations promotionnelles. Impact garanti sur le chiffre d’affaires.

Avec 22 millions de mètres carrés de libre-service alimentaire, la France enregistre l’une des plus fortes densités commerciales en Europe, selon les informations du site Internet du Sénat. Régulièrement, les parlementaires s’en émeuvent. Loi Royer, loi Galland, loi Pinel : nombreux ont été les textes législatifs censés encadrer l’urbanisme commercial. En vain. Les entreprises de grande distribution disposent de services de prospection et de conseil juridique particulièrement affûtés... Leur lobbying est efficace auprès des élus locaux siégeant dans les commissions départementales. Il n’est pas rare que des députés votent à Paris des lois visant à brider l’expansion des grandes surfaces mais soutiennent localement des projets. Les distributeurs mettent systématiquement en avant les emplois créés, amplifient au besoin leur soutien aux clubs sportifs, se proposent de donner le coup de pouce décisif à tel ou tel festival cher au maire, etc., commente un bon connaisseur de l’urbanisme commercial en région lyonnaise.

L’inauguration de nouveaux magasins : une tribune médiatique appréciée des élus locaux. © BG

Des infractions chiffrées en milliards d’euros

Quand l’administration ou les élus refusent, généralement sous la pression de riverains ou de concurrents, il reste une solution : l’extension illégale. Depuis des décennies, Martine Donnette, ex- gérante d’une petite boutique de laine dans les Bouches-du-Rhône, se bat contre les agrandissements sauvages. Dans son livre Seule face aux géants (Ed Max Milo), elle raconte son combat pour défendre les droits des commerçants indépendants. Preuves photographiques, constats d’huissier, assignations, plaintes : avec l’association En toute franchise, elle n’a de cesse d’alerter services des fraudes, préfectures et tribunaux administratifs partout en France où des distributeurs exploitent des surfaces non autorisées. Selon la direction générale des fraudes (DGCCRF), cela concerne 9 % des surfaces existantes. Martine Donnette a sorti sa calculette : « ces infractions non sanctionnées et les amendes non réclamées par les pouvoirs publics se chiffrent en dizaines de milliards d’euros. C’est autant de perdu pour le budget de l’État. »

Il est un autre critère qui permet de mesurer le laxisme des pouvoirs publics, complice de l’expansion sans fin des grandes surfaces en périphérie : c’est le taux de vacance commerciale en centre-ville. Procos, la fédération pour l’urbanisme et le développement du commerce spécialisé, a révélé en juin dernier de nouveaux records en France. La part des locaux commerciaux vides flirte désormais avec le seuil symbolique des 10 %. Depuis 2012, hors Île-de-France, elle progresse d’un point chaque année. À Béziers, Moulins où Vierzon, près d’une vitrine sur quatre est inoccupée. La fédération professionnelle ne fait pas mystère des causes du phénomène : « Depuis les années 2000, le parc de surface commerciale croît à un rythme plus rapide que celui de la consommation. Ce parc a progressé de 3 % par an, alors que dans le même temps la consommation n’a augmenté que de 1,5 % par an. » Qui plus est, les points de vente traditionnels, de périphérie comme de centre-ville, doivent de plus en plus partager le gâteau avec la vente en ligne et les drives. Autrement dit, pour les magasins « en dur », c’est moins de chiffre d’affaires sur plus de mètres carrés. Depuis la très libérale loi de modernisation de l’économie, votée en 2008, qui a, en outre, contribué à encourager la guerre des prix entre enseignes, la rentabilité nette des groupes de distribution n’a cessé de s’effriter. Certes, les Carrefour, Auchan ou Casino encaissent encore les bénéfices par centaines de millions d’euros, mais en pourcentage, les bénéfices sont désormais inférieurs à 1,5 % du chiffre d’affaires. Cette dégradation de la rentabilité n’est sans doute pas étrangère au fait qu’en 2015, pour la première fois, les demandes d’autorisation aient fortement décru, de l’ordre de 50 % par rapport à la moyenne des 15 années précédentes. Les grandes surfaces, ça eut payé ?

 


 

2 questions à Olivier Dauvers, expert de la 

grande consommation

« La multiplication des défaillances est inéluctable »

DR

ST : Comment expliquer qu'en dépit du développement des drives et du commerce sur Internet, les enseignes continuent de chercher à s'agrandir ?

OD : D’un point de vue macroéconomique, c’est une hérésie d’ouvrir de nouveaux mètres carrés commerciaux. Pour deux raisons. D’abord, la consommation ne progresse finalement que très peu, au-delà des soubresauts des publications trimestrielles de l’Insee. Ensuite, une partie de la conso fuite « on-line » et, ce faisant, ne rémunère plus des mètres carrés physiques. Conséquence, les rendements (le chiffre d’affaires par m²) baissent : - 0,6 % en hypers, - 2,7 % en supers l’an dernier (Nielsen/Vigie Grande Conso). Mais, à l’échelle des acteurs eux-mêmes, ouvrir des mètres carrés est finalement une façon aisée (même si elle est coûteuse) de générer de la croissance. Un magasin qui ouvre c’est automatiquement du chiffre d’affaires additionnel. Même si ça tend un peu plus le marché et donc fragilise plus encore les plus faibles. La conséquence inéluctable est la multiplication des défaillances.
 

ST : Sur un plan prospectif, pour les produits frais, quelle part de marché la vente directe, les Amap, magasins de producteurs ou enseignes bio sont-elles capables de capter ?

 
OD : Aujourd’hui, si on sort de tout prosélytisme, la part de marché de ces circuits alternatifs est inférieure à 2 % de la consommation des ménages. Attention en effet à ne pas confondre le « bruit ambiant » et la réalité commerciale qui représente la véritable demande des consommateurs. Certes, 90 % des Français achètent bio au moins une fois par an mais, même en intégrant les GMS, les ventes restent en dessous de 5 %. Si l’on élargit aux autres circuits, c’est la même idée. Cela intéresse tous les consommateurs, car il y a plein de valeurs sous-jacentes attendues : proximité, tradition, qualité, militantisme, soutien de la production, etc. Mais à la fois pour des raisons de praticité et de coût, le potentiel demeure extrêmement modeste. Donc atteindre 10 % dans 10 ou 15 ans serait déjà un incroyable exploit. 
 

Europa City : un projet pharaonique

DR

Au Nord de Paris, dans le très stratégique triangle de Gonesse, à proximité des aéroports de Roissy et du Bourget, le long de l’autoroute A1, le futur complexe Europa City est celui de tous les superlatifs : 3,1 milliards d’euros d’investissement, 80 hectares, 450 000 m² de surfaces bâties dont 250 000 m² occupées par des magasins et restaurants, près de 3 000 chambres d’hôtel, 12 000 emplois générés.

Le promoteur, Immochan, la branche immobilière du groupe Auchan, table sur une fréquentation annuelle de 30 millions de visiteurs. Associant shopping et loisirs, ce méga parc ludo-commercial ambitionne de devenir à l’horizon 2020 la première destination touristique d’Europe… Il inclut des salles de spectacle, un parc aquatique, un cirque et même une piste de ski.

Pour mener à bien le projet, le groupe nordiste ne lésine sur aucun moyen, multipliant les actions de lobbying et de relations publiques. Il a même embauché un ex-membre de cabinet ministériel. Soutenu par les élus franciliens, le dossier suscite les réticences des militants écologistes, opposés à ce vaste bétonnage de terres céréalières parmi les plus fertiles du pays. Le schéma de développement urbain du Grand Paris a prévu une desserte ferroviaire du site aux frais du contribuable. Vianney Mulliez, l’épicier-promoteur qui suit personnellement le dossier, a prévenu : cet investissement public est la condition sine qua non de la réalisation du projet. Il était d’ailleurs au cœur de l’accord passé en 2011 avec Nicolas Sarkozy lorsque l’ancien président confia le dossier au patron d’Auchan. Pour l’heure, le promoteur a été sommé par la Commission particulière du débat public (CPDB) de « faire évoluer son projet » afin de tenir compte des nombreuses informations recueillies au cours du débat public précédant l’enquête publique environnementale.

Contrairement à certaines enseignes qui font le choix de la location des magasins, Auchan est propriétaire de ses murs. Le groupe dispose de par le monde d’un patrimoine foncier de plus de 20 millions de m². « Le terrain, expliquait le fondateur d’Auchan, c’est la seule chose au monde qu’on ne fabrique pas. »

 


 

David Mangin : « Tout se compose et se recompose à partir des centres commerciaux »

Propos recueillis par François Delotte

Grand Prix de l'urbanisme en 2008, David Mangin. Il défend une densification et une meilleure desserte des zones commerciales en transport en commun.© Carla Pinilla, El Mercurio

 

David Mangin est architecte et urbaniste. Spécialiste des entrées de villes et des zones commerciales, il défend une plus grande densification des secteurs existants, leur meilleure desserte en transports collectifs et une réglementation plus stricte de l'urbanisme commercial.

ST : Zones commerciales immenses, vastes zones d'activité : pourquoi, en France, entrée de ville rime-t-il avec étalement urbain ?

DM : C'est un processus triple. Il est dû au développement massif de l'automobile et du réseau routier dans les années 1960, à l’essor de la grande distribution et à celui de la maison individuelle proposée comme alternative au logement collectif. Ces éléments fonctionnent ensemble. On voit alors apparaître les premières « boites commerciales » qui fonctionnent selon le modèle « no parking, no business ». Il s'agit de s'installer sur des terres agricoles en périphérie des agglomérations pour bénéficier de surface plus importante et moins chère qu'en ville. Le tout accessible en voiture. On développe alors un produit d'appel dans les années 1965-1970, l'hypermarché. Des enseignes comme Leclerc en Bretagne, Auchan dans le Nord et Carrefour dans la vallée du Rhône décollent. Mais comme on ne peut pas tout mettre sous le même toit, ces entreprises se transforment en groupes avec des grandes surfaces spécialisées. C'est par exemple le cas de la famille Mulliez (Auchan) avec Décathlon. Puis, dans les années 1990 – 2000 une autre phase se met en place avec le développement des fast-foods et des multiplex de cinéma.

ST : Alors que la fréquentation des zones commerciales est en baisse depuis plusieurs années, on continue à les étendre ou à en construire de nouvelles. Pourquoi ?

DM : Les groupes sont puissants et se sont financiarisés. Ils font des calculs de rentabilité et de développement. Ils ont tendance à vouloir voir toujours plus grand et plus loin plutôt que d'optimiser leurs centres commerciaux existants qui sont maintenant gagnés par l'urbanisation. Or ils pourraient, par exemple, souvent utiliser de la surface dédiée aux parkings pour étendre leurs magasins tout en favorisant les accès aux commerces en modes de déplacement doux. Le but serait d'être moins dépendant de l'automobile. C'est possible : des centres commerciaux de Nantes, Montpellier ou Bordeaux sont déjà desservis par le tramway. Mais les groupes ont toujours peur que le concurrent prenne la place. De plus, ils ne se contentent pas de vendre des conserves : ils font beaucoup d'immobilier et louent des surfaces à d'autres enseignes. C'est un business.

ST : Continuer à développer ce type de projets qui reposent sur l'utilisation quasi-exclusive de la voiture et qui menace parfois des terres agricoles et artificialise les sols n'entre t-il pas en contradiction avec les enjeux environnementaux contemporains ?

DM : Oui, c'est évident. Cela entre d'ailleurs en contradiction avec les politiques publiques annoncées. On en voit les conséquences dramatiques dans les petites ou moyennes villes où l'on développe en périphérie, au nom de l'emploi, des centres commerciaux. Ils concurrencent les commerces des centres villes qui se désertifient. Il s'agit de calculs à court terme car on ne mesure pas les emplois détruits. Et les emplois créés sont incertains car les modes de consommation évoluent et l'automatisation des tâches se développe dans la grande distribution.

ST : Les oppositions à ces types de projets et à d'autres grands projets jugés inutiles par une partie de la population ne témoignent-t-elles pas de l'échec des dispositifs de concertation mis en place par les pouvoirs publics ?

DM : Cela témoigne surtout du fait que les maires n'y arrivent pas seuls. Il devrait y avoir des plans commerciaux à l'échelle des agglomérations pour savoir s'il faut, ou non, développer telle ou telle zone. Il faudrait pouvoir interdire l'ouverture de nouveaux de centres commerciaux. Mais aussi améliorer la desserte des zones commerciales en transports en commun. Nous avons besoin d'élus courageux pour arbitrer ces questions, ce qui n'est pas simple en période de crise. Il faut se donner les moyens d’évaluer le ratio entre emplois créés et emplois détruits. Les Commissions départementales d'aménagement commercial (CDAC), organismes qui délivrent les autorisations de construction pour les grandes surfaces, sont dominées par les agents économiques et les enjeux du développement durable y sont peut représentés. C'est un modèle très français. Tout se compose et se recompose à partir des centres commerciaux. Il faut prendre acte que ceux-ci ont refaçonné la ville depuis la périphérie. Même si aujourd'hui on trouve de l'habitat parfois assez dense dans ces zones devenues des faubourgs contemporains. Nous devons continuer à les densifier tout en les desservant mieux en transport en commun. Si les choses ont commencé à évoluer, le modèle « no parking, no business », qui repose sur l'automobile, n'est pas encore remis en question.

ST : Les nouveaux projets qui sortent de terre sont souvent certifiés Haute qualité environnementale. Que pensez-vous de cet estampillage ?

DM : C'est souvent du « greenwahing ». Car le problème de fond reste le système routier qui dessert ces zones. Vous pouvez mettre un parc à vélo sur un parking, ça ne va pas changer grand chose. Je pense qu'il faut à la fois investir dans ces faubourgs et les centres-villes. Et poser comme condition la desserte en transports en commun pour l'obtention d'un permis de construire. Il faut élaborer des règles nationales simples et rigoureuses et mettre en conformité les politiques publiques entre « dire » et « faire ».

ST : Peut-être serons-nous bientôt confrontés au manque de succès de certaines de ces zones commerciales. La reconversion de certains secteurs pourrait-elle se poser ?

Oui. Certains endroits sont déjà des friches commerciales. La question se pose donc. Il faut notamment réfléchir à la façon dont on peut recréer des exploitations agricoles en milieu urbain.

ST : Justement, quid des terres agricoles dans tout cela ?

C'est une question compliquée car lorsqu'une parcelle est entourée de constructions, il devient difficile d'y accéder avec des engins agricoles. De plus, cela peut provoquer le mécontentement des riverains qui peuvent être importunés par les effluves provenant des activités agricoles. Il devient alors difficile pour l'agriculteur de transmettre sa terre à un autre exploitant. Et il peut être tenté de vendre son terrain à un promoteur. Mais les terres agricoles ne sont pas seulement menacées par l’extension progressive des zones commerciales existantes. Elles peuvent aussi disparaître suite à la création de nouveaux complexes. Il convient donc de protéger ces terrains. Les agriculteurs ont besoin de voir l'avenir de leurs terres sinon ils seront les premiers à vendre leurs parcelles à la grande distribution.

Plus d'infos :

www.seura.fr

A lire :

Du Far West à la ville, l’urbanisme commercial en questions, C. Garcez et D. Mangin (sous la direction de), 2014, Éditions Parenthèses, 256 p. 

 


 

Des centres commerciaux à boire......Et à manger - Focus sur quelques situations locales

Par François Delotte et Stéphanie Biju
 

 

Montpellier : des habitants préfèrent l'oxygène à Oxylane

Le projet Oxylane doit être en partie construit sur des terres agricoles, au nord de Montpellier. © Collectif Oxygène

Un grand magasin de sport, une jardinerie ou encore une grande surface alimentaire : un centre commercial de 24 hectares doit voir le jour à Saint-Clément-de-Rivière, au nord de Montpellier. Les travaux devaient débuter en 2015 pour une livraison en 2017, mais c'était sans compter l'action du collectif Oxygène, qui s'est mobilisé contre le projet porté par le groupe Oxylane, filiale de Décathlon. Malgré le rejet de leur recours déposé auprès du tribunal administratif de Marseille, les opposants continuent leur combat. « Vingt hectares de terre agricole d'excellente qualité seraient détruits, alors que l'offre commerciale existe déjà à proximité », avance Jean-Michel Hélary, représentant d'Oxygène. De son côté, Guillaume Sarthe, référent du projet pour Décathlon, défend une réalisation respectueuse de l'environnement comprenant des secteurs « destinés aux activités agricoles » et « un espace boisé préservé ». « Des arbres seront plantés et seuls 15% de la surface totale du foncier sera non constructible », continue-t-il. Des arguments qui ne convainquent pas Oxygène. « Des parkings seront construits. Ils vont bétonner 12 hectares. La zone est sujette à des ruissellements par fortes pluies et donc à des risques de submersion », assure Jean-Michel Hélary. Sur ce point, Guillaume Sarthe précise « que des bassins de rétentions seront créés ». Bassins qui, pour Oxygène, « risquent de déborder ». Le collectif propose un « projet alternatif basé sur le maintien des terres agricoles et l'installation d'agriculteurs » en recherche de parcelles. « Beaucoup de discours institutionnels vont dans le sens de la préservation des terres agricoles en milieu périurbain. Ce serait l'occasion de les concrétiser », complète Jean-Michel Hélary. Interrogé par France 3 en juin dernier, José Bové a apporté sont soutien à Oxygène. « Il faut stopper cette hémorragie foncière. La lutte contre l’artificialisation des terres agricoles est en passe de devenir un combat central en France et sur notre continent », a assuré le député européen EELV. Le chantier pourrait finalement démarrer cet automne. Si c'était le cas, Oxygène évoque la possibilité d'une réaction « citoyenne » pour s'y opposer.

Plus d'infos :

www.collectif-oxygene.fr

 

Aubagne (13) : un financement citoyen sauve une ferme de l'étalement urbain

La ferme des Jonquiers, à Aubagne, à été sauvée de l'extension d'une zone commerciale par l'action conjointe de Terres de liens et de la communauté d'agglomération du pays d'Aubagne et de l’Étoile. © Pourtal

De vastes parkings, un hypermarché, une célèbre enseigne d'équipement sportif et... Une ferme. Comme de nombreuses exploitations agricoles, les Jonquiers, à Aubagne, a bien failli être engloutie par l'urbanisme commercial. Situés à proximité de l'immense zone des Paluds, ses terrains ont été sauvés grâce à l'intervention de Terre de liens, de la Safer (Société d’aménagement foncier et d’établissement rural) et de la Communauté d’Agglomération du Pays d’Aubagne et de l’Étoile. Depuis 2003, l'association Terre de liens permet à des citoyens de financer l'achat de terres agricoles pour des paysans qui en manquent cruellement. « Les terrains des Jonquiers n'étaient plus exploités depuis 4 ou 5 ans. Le propriétaire était en négociation avec une grande enseigne. Mais le prix des terres avait été surévalué. La Safer a fait jouer sont droit de préemption en révision de prix, ce qui nous a permis d'acquérir la ferme », indique Pierre Fabre, Président de Terres de liens Paca. L'ensemble est divisé en deux. Terre de liens achète 2,7 hectares et la communauté d’agglomération les bâtiments assortis de 0,7 hectares. Coût de l'opération : 770 000 euros, pris en charge à 50% par l'association et à 50% par la collectivité. Dès 2013, un couple de maraîchers s'installe en bio sur la propriété. Terre de liens et ses partenaires ne s'arrêtent pas en si bon chemin : ils ont acquis cette année 5000 m² de terres agricoles menacées par l'étalement urbain, toujours à Aubagne. Encourageant !

Plus d'infos :

www.terredeliens.org

 

A Plaisance-du-Touch (31), un second permis de construire pour Val Tolosa

Depuis dix ans, des citoyens s'opposent à la construction du centre commercial « Val Tolosa », sur une plaine agricole, à l'Ouest de Toulouse. © « Non à Val Tolosa »

Le maire de Plaisance-du-Touch, commune de l'Ouest de la métropole toulousaine, a accordé un second permis de construire pour le centre commercial Val-Tolosa, en août dernier. Le collectif « Non à Val Tolosa » n'a pas tardé à réagir en déposant un nouveau recours en justice contre le document. Un nouvel épisode dans ce feuilleton qui oppose depuis 10 ans les promoteurs d'un immense complexe de quelque 60 000 m² de surfaces commerciales et les défenseurs des zones agricoles. Porté par le groupe Unibail-Rodamco, Val Tolosa aurait pu sortir de terre depuis plusieurs années si des citoyens ne s'étaient pas mobilisés contre lui. « Le projet doit être réalisé sur un espace naturel et dans un secteur où il n'y a pas d'accès routier majeur », indique Pascal Barbier, président du collectif « Non à Val Tolosa ». « Le secteur est une plaine agricole où l'on cultive des céréales de façon non-intensive. La zone est à préserver contre l'étalement urbain de l'agglomération qui ne cesse de progresser », complète le militant. Suite à autorisation de la préfecture, les défrichages ont néanmoins débuté et « Non à Val Tolosa » craint maintenant pour la biodiversité. « Une cinquantaine d'espèces protégées a été recensée sur le site. Cet espace est aussi traversé par un couloir écologique qui relie deux vallées », alerte Pascal Barbier. Des éléments qui avaient retenu l'attention de la justice : en avril dernier, la cour administrative de Bordeaux avait annulé le permis de construire accordé à Unibail en 2009, en pointant les insuffisances de l'étude d'impact. Pour amadouer les opposants, le promoteur promet, de son côté, la réalisation d'un projet « réconciliant nature, loisir et commerce », via la création d'un parc paysager de 9 hectares. « Ubuesque », pour Pascal Barbier, qui continue à dénoncer la taille du centre commercial, alors « que les habitudes de consommation se tournent vers internet et des galeries commerciales de proximité ». « Non à Val Tolosa » reste mobilisé en attendant de savoir si la Justice retiendra, une seconde fois, ses arguments. 

Plus d'infos :

www.valtolosa.com

www.gardaremlamenude.com

 

Cagnes-sur-Mer (06) : le centre commercial a (encore) pris l'eau

Le parking du centre commercial Polygone Riviera, à Cagne-sur-mer (06) a été inondé deux fois en un an. © DR

Bref mais violent. Jeudi 9 juin après-midi, un orage méditerranéen frappait le secteur de Cagnes-sur-Mer. L'événement, loin d'être rare dans la région, serait passé inaperçu si un passant n'avait pas photographié le parking souterrain du nouveau centre commercial, Polygone Riviera, en partie inondé. Postée sur Facebook par l'Association de défense des habitants affectés par le Polygone Riviera (Adéfha), l'image a depuis été largement partagée sur les réseaux sociaux. L'Adéfah a aussitôt rappelé la promesse du sénateur-maire (LR) de Cagnes, Louis Nègre, qui assurait, dans le numéro de Nice matin du 2 novembre 2015, qu'il « ne rentrera pas une seule goutte d'eau [dans les parkings] car on va faire le nécessaire ». Moqueuse, l’association a complété «  C'est exact : pas une goutte d'eau n'est rentrée dans les parkings. Plusieurs, si ». Car l'histoire se répète : en octobre 2015, les parkings du Polygone avaient déjà reçu quelque 1,50 m d'eau, deux semaines avant l'inauguration du complexe. France Nature Environnement avait alors attiré l'attention sur la proximité des bâtiments avec le fleuve Malvan. Interrogé par nos soins, Louis Nègre avait expliqué que l'eau était « entrée par la route » car « les avaloirs n'avaient pas été installés et les travaux n'étaient pas terminés ». Un an après l'ouverture du centre commercial et les inondations meurtrières de l'automne 2015, il serait bon de s'assurer que le chantier a bien été finalisé...

Plus d'infos :

www.sites.google.com/a/flints.eu/l-autre-cote-du-polygone-riviera-adefha/

 

 

Montpellier : un supermarché « 100% local »

Les rayons du Locavorium, en périphérie de Montpellier ©  DR

Une « boite » commerciale de 300 m² posée dans une zone industrielle. Au premier abord, rien ne distingue Locavorium d'un supermarché traditionnel. Pourtant, situé à Saint-Jean-de-Vedas, en périphérie de Montpellier, le magasin propose un fonctionnement inverse à celui de la grande distribution. « Nos produits sont issus de filières locales. Ils proviennent tous d'un rayon de 150 km aux alentours », détaille Jessica Gros, co-fondatrice du commerce. « Nous supprimons les intermédiaires en achetant directement aux producteurs. Cela leur permet d'être rémunérés justement. Mais aussi de pratiquer des prix comparables à ceux de la grande distribution, à qualité égale », poursuit-elle. Fruits, légumes, viandes, œufs, pâtes ou encore riz : on trouve de tout, ou presque, à Locavorium. Jessica Gros assure que les fruits et légumes ne sont « pas plus chers que dans la grande distribution ». Elle précise néanmoins que sur « des produits transformés, comme la confiture ou les pâtés », le magasin ne peut pas « être moins cher » que les supermarchés classiques. D'autant que les denrées vendues sont souvent bio où respectent, a minima, un cahier des charges imposé par Locavorium. « Nous refusons le hors-sol, l'élevage intensif ou un usage immodéré des pesticides », affirme Jessica Gros. Locavorium, commerce « responsable », est installé entre un supermarché « discount » et un grand magasin de jouets. « Nous voulions avoir une surface de vente importante, ce qui est difficile à trouver au centre-ville de Montpellier », assure Jessica Gros. « Être en périphérie est aussi plus simple pour les livraisons en camions », poursuit-elle. La co-gérante ajoute néanmoins qu'elle et ses associés tenaient à « louer un bâtiment existant ». Mais elle déplore que le magasin soit « mal desservi par les transports en commun et qu'il n'existe pas de piste cyclable sécurisée à proximité ». On viendra donc y faire ses courses en voiture. Pour les plus pressés, Locavorium propose d'ailleurs un service de « Drive ». Un sérieux concurrent pour Leclerc et Carrefour ?

Plus d'infos :

www.locavorium.fr

 

Séné (56) soigne son entrée de ville

L'opération Cœur de Poulfanc, à Séné (56), a remporté le concours national des entrées de ville du Sénat, en 2011. © Cabinet A/LTA

Une ancienne station service, un garage automobile, les locaux d'une entreprise de transports et des habitations ici où là : comme beaucoup d'entrées de ville, le quartier de Poulfanc, à Séné, en périphérie de Vannes, donne à voir un paysage urbain sans caractère. La municipalité a choisi de réaménager le secteur en le densifiant afin de limiter l'extension urbaine à proximité d'une vaste zone commerciale. Deux Zones d'aménagement concerté (Zac) ont été délimitées sur un périmètre de 7 hectares. La première opération doit être livrée à l'horizon 2020 et la seconde aux alentours de 2022. Deux immeubles d'habitations ont déjà été réalisés depuis 2013. « 50% des habitants de la commune vivent ici. Il s'agit de concentrer le commerce où il est déjà et de ramener de la population au centre de Poulfanc », indique Pierre Ménage, chargé d'opération pour EADM, société d'économie mixte qui assure la maîtrise d'ouvrage du projet. A terme, 210 nouveaux logements seront créés. Et l'accès au commerce existant en bus et en cheminement doux (piéton et vélo) sera favorisé. En aménageant des espaces verts, un jardin pédagogique et un espace de jeux pour les enfants, il s'agit de créer « une ambiance de cœur de quartier », poursuit Pierre Ménage. Une volonté de maîtriser l'étalement urbain qui a valu à l'opération Cœur de Poulfanc de remporter le concours national des entrées de ville du Sénat, en 2011.

Plus d'infos :

www.coeurdepoulfanc.com

 
 
 

Garantissez l'indépendance rédactionnelle et financière de Sans transition !