[ CENTRE-BRETAGNE ] La fin d'une zone blanche

Publié le mar 05/11/2019 - 14:33

Par Léa Charron.

À Saint-Cadou, on a toujours fait sans téléphone portable. Mais le gouvernement l’a annoncé plusieurs fois : d’ici à 2022, ce sera la fin de ces zones blanches, partout. Ce territoire en pleine nature attend justement une antenne pour la fin de l’année. Un projet qui divise les habitants.

Ce matin de fin d’été, en plein pardon de Saint-Cadou, célébré avec convivialité dans ce bourg finistérien de 200 âmes, une femme fait un malaise devant l’église. Personne ne peut joindre le 15. Nous sommes en septembre 2017. La cabine téléphonique, sur la place, vient d’être démontée. Hélène Guivarc’h  raconte : « j’ai dû rentrer chez moi, 500 mètres plus haut, pour prévenir les secours depuis mon téléphone fixe. » Protocole oblige, on lui a demandé avec insistance de retourner près de la personne affaiblie pour tenir les secours informés. « J’ai pu trouver un peu de réseau, à un endroit réduit, à plusieurs mètres du porche de l’église... pour faire le lien avec les secours, tant bien que mal ».

L’incident survenu au pardon est souvent cité pour justifier l’urgence de couvrir cette section de commune par le réseau mobile. Saint-Cadou est un hameau isolé dans les Monts d’Arrée, dépendant de la ville de Sizun, à une dizaine de kilomètres. « La couverture mobile est nulle », explique le maire, Jean-Pierre Breton. « En termes de sécurité surtout, cela ne peut plus durer. » Dans cette étendue boisée et vallonnée du centre Bretagne, où les ardoisières abandonnées témoignent d’une riche activité passée, Saint-Cadou est l’une des dernières « zone blanche » de la région. Le bourg surtout, et les villages du côté de Saint-Rivoal et du lac de Drennec, plus bas, pâtissent d’une très mauvaise couverture mobile.

« Pas de plaisir à être déconnecté »

Devant chez elle, Hélène, directrice de l’école bilingue de Saint-Rivoal, raconte : « En 2001, quand on est arrivé ici, le téléphone portable nous importait peu. On ne captait pas et c’était tant mieux, on avait plaisir à être déconnectés. Aujourd’hui, ça nous manque.  » Yann Gilbert, son conjoint, géobiologue, poursuit : « Nous avons Internet et le téléphone fixe, mais tout passe maintenant par le téléphone portable, qui est lentement entré dans le quotidien. Prendre des rendez-vous client quand on est travailleur indépendant, Recevoir une commande, effectuer un virement ou des démarches administratives en ligne, ça devient vite compliqué quand on a besoin du portable mais qu’on ne capte qu’au grenier, bras tendu vers l’extérieur. »

Pour écouter les messages que ses clients laissent principalement sur son répondeur de portable, Yann prend la voiture et monte un peu plus haut sur la colline. Une pratique entrée dans les mœurs chez plusieurs Cadoviens. Une voisine, Pascale Jacob, suit la même combine. Conseillère municipale à Sizun et exploitante agricole, elle vit dans une cuvette encerclée de collines. « Nous sommes trois à travailler et, toute la journée, on est à droite, à gauche. Nous ne sommes pas joignables partout, tout le temps. Or la société est organisée comme telle. Plus d’une fois, nos fournisseurs ne nous ont pas trouvés. Nous devons alors chercher nos colis au relais, parfois avec quinze jours de retard. »

Une antenne fin 2019

Dans sa cuisine, Pascale détaille, carte IGN en main : « Un pylône doit prendre place, d’ici fin 2019, sur une colline qui frôle les 200 mètres de hauteur, de l’autre côté du hameau. » Depuis que les services de l’État ont classé le bourg en « zone blanche », en 2015, un projet d’installation d’antenne est en cours. Pour Pascale, « il relève de l’intérêt général ». À ses yeux, seule la convivialité retrouvée est un avantage de ce désert numérique. Pour un autre habitant, du côté du lac du Drennec, c’est aussi une question de budget : « je paie 42 euros par mois pour ma ligne fixe, c’est énorme ! Quand on sait qu’un forfait mobile peut descendre jusqu’à 2 euros... Mais l’antenne tarde à venir, nous n’y croyons plus vraiment. »

Pascale Jacob, habitante de Saint-Cadou, gère l'exploitation agricole familiale. Sans réseau mobile, ses fournisseurs peinent parfois à livrer dans les délais. Photo : LC

Le lieu choisi par Free, l’opérateur désigné par l’État pour prendre en charge l’installation, ne fait pas consensus. Un collectif, notamment,  revendique le droit de demander pourquoi cette zone a été choisie. Inquiets de voir l’antenne s’implanter sur une parcelle jouxtant plusieurs terres agricoles, où paissent vaches et brebis, et où poussent petits légumes, des citoyens de Saint-Cadou se sont en effet mobilisés dès 2017. Les neuf membres, tous agriculteurs travaillant à proximité de la future antenne, redoutent l’impact des ondes électromagnétiques. Plusieurs fois reçus par le maire, ils ont réclamé un emplacement plus éloigné des habitations, au moins de 700 mètres, tenant compte des recommandations de l’OMS. « Nous ne sommes pas contre l’installation du pylône », explique le collectif. « Mais nous aurions préféré être informés plus tôt, avec une réunion publique et davantage de concertation, car les conséquences d’exposition aux ondes, sur les animaux d’élevage notamment, sont avérées par des études en Allemagne. Nous voulions informer le plus grand nombre à ce sujet ».

« Il ne faut pas mettre des antennes à n’importe quel prix », une habitante hypersensible aux ondes électromagnétiques

L’une des membres, hypersensible aux ondes, s’inquiète : « Vivre sans antenne est un refuge. Les ondes me provoquent maux de ventre, fatigue, déprime… depuis quinze ans ». Cette dernière a déménagé dans un village plus bas, où les maux se sont apaisés mais ses vaches sont parquées sur le site du futur pylône. « Qu’il y ait des zones couvertes, oui. Mais pourquoi absolument 100 % du territoire ? Où vont aller les personnes allergiques, qui ne comprennent pas toujours pourquoi elles sont malades ? Il ne faut pas mettre des antennes à n’importe quel prix.» Le collectif veut aussi mettre en garde contre cette « implantation anarchique d’antennes » et « la surenchère de terrains de la part des communes, qui pénalise le monde agricole ».

Pour le maire Jean-Pierre Breton, « il est important d’offrir du réseau aux travailleurs du hameau ». Mais pour Jakez Perros, agriculteur et rare natif de Saint-Cadou, « il n’y a pas d’enjeu économique à la clé ». Saint-Cadou compte une dizaine d’agriculteurs bio, des artisans, une boulangerie, un pub, et, depuis le mois de juin, une entreprise de fabrication de thé, avec cinq salariés. Le gérant, Sébastien Malgorn, explique : « Réseau mobile ou non, nous serions venus à Saint-Cadou. J’utilise peu le portable, les commandes se font surtout par mail. » Jakez  Perros, lui, n’attend rien de l’antenne. Il vit sans portable ni ordinateur, et envoie toujours ses déclarations de TVA par courrier : « L’administration oblige tout le monde à passer au numérique, ça devient excessif. Mais on peut vivre sans téléphone portable. Sans être pour autant au dehors de la vie et de l’information. » Pour l’heure, les usagers de cette zone peu dense du centre-Bretagne espèrent pouvoir capter les quatre opérateurs, d’ici la fin 2019.

 

Plus d’infos

https://www.vie-publique.fr/actualite/alaune/couverture-mobile-accord-pour-fin-zones-blanches-2020.html

https://www.arcep.fr

Garantissez l'indépendance rédactionnelle et financière de Sans transition !