[THEMA] Où sont passés les jeunes ?

Publié le lun 07/11/2022 - 08:05

par Quentin Zinzius

Associations historiques, syndicats, partis politiques… Alors qu’ils constituent une part importante de la société – et qu’ils vont en hériter – les jeunes semblent abandonner les structures et instances qui l’animent. Une désertion apparente qui n’est pas sans raison.

Alors qu’ils représentent plus de 17 % de la population française, les jeunes (15-29 ans) ont-ils décidé de ne plus faire société ? Presque absents des syndicats (2 % des adhésions), de moins en moins investis dans les associations et le bénévolat (60 % de façon régulière, contre 80 % en 2013(1)), ils semblent rester également indifférents aux résultats des différentes élections. Selon une étude de l’Institut Montaigne (2), 64 % des jeunes montreraient même « des signes de désaffiliation politique ». Pourtant, selon Laurent Lardeux, sociologue à l’INJEP, « le rejet des institutions en place par la jeunesse n’est pas un phénomène récent » ; mais « il n’en est pas moins exacerbé par les récentes crises politique, environnementale et sociale, auxquelles sont particulièrement sensibles les nouvelles générations », complète Patricia Loncle-Moriceau, sociologue à l’EHESP et spécialisée sur l’engagement des jeunes. « Ne pas voter, c’est une forme d’engagement très forte », soutient-elle. Et, si l’abstention atteint aujourd’hui des records, « l’engagement global des jeunes ne faiblit pas pour autant », argumente la spécialiste.

 

Un rejet politique

« Historiquement, l’engagement des jeunes a toujours été radical, rappelle Patricia Loncle-Moriceau. Et la baisse du vote ne résume pas la situation ». Car contrairement à ce que laisse entendre l’opinion publique, les jeunes ne se désintéressent pas de la politique ; bien au contraire. « On parle de politique entre nous, confirme Martha, 24 ans, qui a voté aux dernières élections, mais force est de constater que quels que soient nos votes, peu de choses changent. Nous n’avons pas de prise sur ce qu’il se passe. Et ceux qui votent encore ne sont motivés que par l’énergie du désespoir ». Un constat « désolant » pour Patricia Loncle-Moriceau, mais qu’elle comprend parfaitement. « Les jeunes ne se retrouvent pas dans l’offre politique actuelle, parce qu’elle n’est pas capable de répondre aux grands enjeux qu’ils portent ». Pire encore : aucun parti politique ne semble vraiment s’intéresser à eux. « Aujourd’hui, si on regarde les grandes politiques publiques pour la jeunesse, reprend la sociologue, elles sont portées tantôt par la droite, tantôt par la gauche. Cela tient plus de l’opportunisme que d’une réelle conviction politique des partis ». Or les jeunes ne seraient pas dupes. Un constat qui ne s’est pas arrangé avec l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir ; le Ministère en charge de la jeunesse ayant été supprimé au cours de son premier mandat… « Il y a un véritable défaut de politique publique pour la jeunesse et aucun signe ne semble annoncer une évolution à venir », s’inquiète Patricia Loncle-Moriceau.

 

Un rejet social

Car « pour être en phase avec la démocratie représentative, reprend Laurent Lardeux, il faut que les élus prennent en compte les attentes des citoyens, de tous les citoyens ». Or, cette absence de considération de la jeunesse par les politiques publiques a des conséquences graves, notamment sur les jeunes issus de milieux défavorisés. « Il y a un sentiment d’illégitimité, conjecture le sociologue. Ces jeunes ne se sentent pas autorisés à participer à une société qui ne les intègre pas ». Ainsi, entre 2018 et 2021, selon le Baromètre DJEPVA publié par l’INJEP en 2021(3), la participation à la vie publique des jeunes sortis du système d’emploi et d’éducation a diminué de 7 points, passant de 69 à 62 %. Ils représentent pourtant 13 % de leur génération. Un constat qui frappe également les jeunes ruraux, 4 points moins engagés que les jeunes urbains. « Ces jeunes sont souvent révoltés, mais isolés et démunis », complète Patricia Loncle-Moriceau. Une souffrance sociale qui conduit parfois à une radicalisation du vote. Ainsi, aux dernières présidentielles, le parti de Marine Le Pen était en tête des intentions de votes chez les jeunes (26%). « Le RN élabore depuis plusieurs années un discours social très fort, reprend l’experte, qui séduit les jeunes notamment dans les milieux ruraux ».

 

Une vie active et contraignante

Quant aux jeunes actifs, en études ou en emploi, leur désengagement s’explique par des contraintes temporelles fortes. Pour Julie, 25 ans, « les études sont un frein, parce que je n’ai que peu de temps disponible ». Et elle n’est pas la seule dans ce cas. En effet, selon le Baromètre de l’INJEP, plus d’un jeune sur trois déclare manquer de temps pour s’engager. En cause notamment, « le parcours scolaire, qui est particulièrement chronophage », insiste Patricia Loncle-Moriceau. Pour 14 % de ces jeunes étudiants, il est également associé à un emploi – un taux qui atteint même 30 % pour celles et ceux en études « longues ». Une situation qui est, une nouvelle fois, favorisée par l’État. « La politique éducative tend vers la professionnalisation des cursus, constate Patricia Loncle-Moriceau. C’est-à-dire que nous formons de plus en plus vite les jeunes au monde du travail, à être de bons « contribuables », et non de bons citoyens. » « Quand on rentre dans le monde du travail, témoigne Martha, il devient plus délicat d’exprimer une position différente du système en place, car il y a de forte chance que l’entreprise qui nous nourrit participe à ce système. »

 

Désaccord générationnel

Et comme si ces contraintes temporelles et politiques ne suffisaient pas, les jeunes souhaitant s’engager se heurtent à un dernier rempart : le fonctionnement même du bénévolat. « Les associations historiques ont souvent un fonctionnement semblable à celui du système, dénote la sociologue. Les jeunes sont tenus à l’écart, assignés aux tâches subsidiaires ». En cause, un écart générationnel souvent important entre les jeunes souhaitant s’engager, et les membres plus âgés. « Les valeurs auxquelles se réfèrent les générations ne sont plus les mêmes, analyse l’experte. Auparavant, le cœur du débat était la liberté, l’importance ou non de l’État dans la vie privée. Aujourd’hui, les valeurs sont davantage portées sur l’égalité sociale, les droits des femmes et des minorités, la protection de l’environnement. » Face à ces constats, les jeunes n’ont donc d’autres choix que de renoncer… ou de voir plus loin. «  Pour les jeunes, la meilleure solution est de créer leurs propres structures et d’agir localement, conclut l’experte, quitte à être moins visibles pour la société ».

 

+ D’INFOS :

Les 20 et 21 octobre se tiennent les journées d’études sur l’engagement étudiant contemporain à l’Université Paris Nanterre. http://www.germe-inform.fr/

 

Notes :

1 - https://www.jeunes.gouv.fr/IMG/pdf/Chiffres_cles_jeunesse_2013.pdf

2 - https://www.institutmontaigne.org/ressources/pdfs/publications/une-jeunesse-plurielle-enquete-aupres-des-18-24-ans-rapport.pdf

3 - https://injep.fr/wp-content/uploads/2022/01/Barometre-DJEPVA-2021.pdf

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