[THEMA] : L’engagement des influenceurs : est-ce que ça marche ?

Publié le lun 14/11/2022 - 08:00

Par Magali Chouvion

Principale cible du marketing d’influence, la jeunesse choisit ses produits de consommation selon les conseils des influenceurs et influenceuses qu’elle affectionne. Ces nouveaux leaders d’opinion, en proie à leurs relations économiques avec les marques, prônent souvent un mode de vie fastueux et déconnecté de l’urgence climatique et sociale. Mais grâce à certains internautes engagés, les réseaux sociaux frémissent et le sujet tisse sa toile.

22 % des émissions de carbone des adolescentes françaises. C’est le chiffre ahurissant que représentent, d’après une étude du Teenage Lab by Pixpay - une carte de paiement pour ados -, parue le 19 mai dernier1 les achats des jeunes filles de 15 à 25 ans sur Shein. Preuve en est que le géant de la fast-fashion Shein, (accusé, entre autres, de faire travailler des ouvriers chinois dans des conditions effroyables), sait comment cibler les jeunes grâce à des stratégies bien rodées. Parmi elles, l’envoi de vêtements gratuits à des influenceuses, qui les présentent ensuite dans des « hauls » sur TikTok - leur application fétiche - et Instagram.

Certains pourraient penser que ces chiffres décrédibilisent l’engagement de la jeune génération pour l’écologie et le social. Mais s'ils soulignent ce paradoxe, ils montrent surtout que les jeunes sont tiraillés entre leurs convictions et les injonctions à la consommation qui émanent de toutes parts, et surtout des réseaux sociaux. Et a fortiori des influenceurs et influenceuses qui y font la pluie et le beau temps.

Car qu’ils travaillent dans le domaine de la mode, de la beauté, de la décoration ou du gaming (jeux vidéo, NDLR), les millions d’influenceurs dans le monde, 150 000 en France, vantent principalement un mode de vie complètement déconnecté de la réalité climatique et sociale. Week-end en avion à Doubaï, fast-fashion, malbouffe… chacune ou presque de leur activité affole le compteur à CO2, à biodiversité ou à inégalités.

Influenceur d’influenceurs

« Nous devons réveiller les influenceurs pour qu’ils prennent leur responsabilité dans leur influence et les modèles qu’ils perpétuent à travers leur post. C’est une bonne manière de toucher les jeunes qui ne sont pas encore convaincus par l’urgence écologique », clame Amélie Deloche, cofondatrice de payetoninfluence. Issu du collectif Pour un réveil écologique, le compte Instagram – fort de ses 17 000 d’abonnés - exerce depuis décembre 2021 un véritable lobbying auprès des créateurs de contenu. « Lorsque nous avons interpellé Sylvie Tellier (une ancienne Miss France, NDLR) à propos de sa vidéo sur Insta au sujet son aller-retour à New York en 24h, elle s’est justifiée publiquement en story. » Cela pourrait paraître anodin aux non utilisateurs des réseaux sociaux, mais une justification auprès de ses 470 000 abonnés pose enfin sur son compte la problématique de l’urgence climatique.

Et à force d’interpellations, le monde de l’influence commence à bouger. Parmi ces leaders d’opinion chez les jeunes, quelques-uns font bonne figure. « Enjoy Phoenix – 5,7 millions d’abonnés à son compte Instagram quand même ! - reste un exemple en termes d’engagements car elle est allée jusqu’à arrêter des partenariats avec certaines marques », illustre Mélanie. Le message passe puisque certains de ses followers (ses abonnés, NDLR) vont jusqu’à la remettre en question publiquement sur son compte. Telle Lucie : « Je suis sincèrement triste que l’une des influenceuses qui soutient le plus un discours écologique fasse 4 vols direction le contient américain en l’espace de quelques mois… quel non sens et quelle image renvoyée à ses millions de followers 😢 ».

Autre espoir, en juin dernier, au moment de la canicule, une vague de critiques est apparue lorsque Michou, un youtubeur à 8 millions d’abonnés a posté sur Instagram : “il fait chôôôô en France” avec un selfie de lui descendant de l’avion. La photo a été reprise sur des centaines de comptes pour dénoncer « l’hypocrisie des influenceurs ». Et quant à Shein, de nombreuses influenceuses ont annoncé cesser leur collaboration avec la marque lors de la sortie des révélations sur les mauvaises conditions de travail qu’elle imposait. Et d’autres influenceuses vont se positionner sur les enjeux anti fast-fashion en préconisant les achats de seconde main par exemple.

Haro sur Amazon

Enfin, il y a quelques semaines, c’est de l’autre côté de l’Atlantique que les influenceurs se sont engagés contre Amazon. « Depuis le 16 août 2022, les créateurs (influenceurs, NDLR) de TikTok se sont unis pour être solidaires avec les travailleurs et les organisateurs syndicaux d’Amazon en refusant de monétiser nos plateformes pour Amazon, y compris tous les parrainages directs d’Amazon et l’utilisation de la vitrine d’Amazon », peut-on lire dans la campagne en ligne People Over Prime. 70 influenceurs du réseau social, cumulant plus de 51 millions d’abonnés, ont déjà signé cette pétition pour faire pression sur Amazon aux États-Unis et pousser l’entreprise à satisfaire les exigences du syndicat Amazon Labor Union (principalement un salaire horaire minimal et l’instauration de pauses durant la journée, NDLR).

People Over Prime a été lancé par Gen Z for Change, un groupe militant de jeunes TikTokers prenant position sur les problèmes sociaux auxquels ils sont confrontés. « Aucun d’entre nous n’acceptera de parrainage d’Amazon ou ne travaillera avec eux en général tant qu’ils n’auront pas laissé les travailleurs se syndiquer et répondre à leurs revendications », a ainsi déclaré le TikToker Connor Hessee dans un communiqué. Concrètement, en posant ces conditions, les jeunes influenceurs exercent une véritable pression sur Amazon : la firme se rémunère à chaque fois que l’un d’entre eux propose un produit à la vente sur son site. En en se « défiant » les uns les autres (s’interpellant, NDLR), les créateurs déclenchent une réaction en chaîne qui multiplie les millions de personnes touchées à chaque fois ; devenant un phénomène mondial.

Passer la vitesse supérieure

Fort de tous ces signaux, ce qu’attend Payetoninfluence maintenant, « ce sont des prises de position fortes, notamment de la part des agences d’influenceurs, pour qu’un message clair soit donné. Aujourd’hui, le sujet gagne en médiatisation et en visibilité, mais les influenceurs ne s’engagent toujours pas », déplore encore Amélie. Une étape qui pourra peut-être être franchie grâce aux abonnés ou aux marques elles-mêmes qui recherchent de plus en plus des personnalités capables d’incarner, justement, leurs engagements.

 

 

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Vous avez dit influenceur ?

Les influenceurs sont des leaders d’opinion qui créent du contenu populaire et attrayant sur les réseaux sociaux, tels qu'Instagram, TikTok et YouTube. Ils rassemblent ainsi une « communauté » de personnes (principalement des jeunes), des « followers », qui les suivent sur les plateformes. Ces communautés rassemblent de quelques milliers à plusieurs millions de personnes. Au travers de leurs différentes publications (ou « post »), ils font en sorte de faire passer un message.

Souvent, le message a pour objectif de partager son quotidien, ses découvertes, ses astuces. Mais parfois, contre rémunération, ils présentent un produit ou une marque. C’est ce que l’on appelle le marketing d’influence.

Un secteur fructueux : il a dépassé les 13 milliards de dollars investis en 2021. Cette année, ce chiffre devrait atteindre les 15 milliards de dollars. En 2025, les estimations évaluent le secteur à plus de 22 milliards de dollars. Selon différentes études menées sur le marché de l’influence, il en ressort que 80 % des consommateurs ont déjà acheté un produit ou un service grâce à un influenceur.

 1. À noter que Pixpay se base sur les dépenses que les adolescents font avec leur argent de poche, mais les achats plus onéreux (chaussures, sacs, manteaux...), souvent à la charge des parents, ne sont pas pris en compte dans l'étude.

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