Depuis que BLOOM a interpellé les supermarchés pour qu’ils mettent en place des achats responsables permettant d’éliminer de leurs rayons les poissons provenant de méthodes de pêche destructrices telles que le chalutage (1), réalisées dans des aires marines dites "protégées" (mais qui ne le sont nullement), nous faisons l’objet d’attaques coordonnées de l’ensemble des défenseurs du chalutage et autres méthodes de pêche écocidaires, subventionnées et condamnées à disparaître. L’appareil d’État, certains élus et les représentants du secteur de la pêche sont, comme toujours, unis pour défendre l’indéfendable contre l’intérêt général. Aujourd’hui, nous leur adressons une lettre ouverte.
Vous, les défenseurs du chalutage, représentants du secteur de la pêche, les comités national et régionaux des pêches, les organisations de producteurs, qui soutenez les pêches destructrices quoi qu’il en coûte à la société, quoi qu’il en coûte à notre avenir, quoi qu’il en coûte à la jeunesse, nous vous accusons. |
Nous vous accusons d’œuvrer contre l’intérêt général. Nous vous accusons de défendre depuis des décennies la capture des richesses publiques, qu’il s’agisse de poissons ou d’argent public, au profit d’une poignée d’acteurs pratiquant des méthodes de pêche globalement déficitaires et destructrices de richesses et de sécurité alimentaire au niveau mondial. Au moment où le changement climatique, l’extinction des espèces sauvages et la destruction du monde naturel s’accélèrent à des rythmes sidérants et où des décisions inédites par leur portée doivent être mises en œuvre de toute urgence pour éviter le décrochage du Système Terre et assurer la sécurité, notamment alimentaire, des populations, nous vous accusons de protéger vos intérêts particuliers contre les besoins collectifs et vitaux de l’Humanité. Chaque secteur d’activité doit se transformer pour éviter l’irréversible. La pêche, qui consiste à exploiter un bien commun et des espèces sauvages, doit, à ce double titre, se mettre en conformité immédiate avec les impératifs scientifiques et sociaux d’une pêche éthique et décoloniale pour préserver notre souveraineté alimentaire en cessant de mettre en péril celle des pays du Sud, pour régénérer la biodiversité marine, pour restaurer les écosystèmes océaniques, les puits de carbone naturels et éviter les émissions du segment le plus énergivore des flottes : le chalutage. Maintenir le chalutage quoi qu’il en coûte à la société est une faute politique, éthique, écologique et sociale, qui perdure depuis des décennies contre l’intérêt général. |
Nous vous accusons de détruire la pêche française. Loin d’entamer la transition progressive des méthodes de pêche destructrices et condamnées que vous défendez envers et contre tout, comme le chalutage, loin d’accepter l’indispensable et urgente protection de l’océan, vous refusez toute responsabilité, rejetez les faits et la science, instrumentalisez cette dernière à des fins politiques et êtes prêts à tous les procédés pour défendre le statu quo. Le chalutage est la méthode de pêche la plus émettrice, la moins sélective, la plus destructrice des écosystèmes, de la biodiversité, des juvéniles et pourtant la plus subventionnée d’entre toutes (2). Sans subventions, la plupart des navires chalutiers sont déficitaires. Par ailleurs, les chalutiers ne sont pas les plus pourvoyeurs d’emplois. Ce sont les arts dormants. Les chalutiers industriels (de plus de 24 mètres) créent jusqu’à 10 fois moins d’emplois que les arts dormants. La performance négative du chalutage d’un point de vue écologique, économique et social condamne le chalutage à la disparition. C’est un fait établi scientifiquement et politiquement depuis des décennies, malgré l’interdit que vous avez fait régner sur la science d’État en France et qui a obligé BLOOM à financer des travaux de recherche comparatifs éclairants pour le débat public (3). A l’opposé du modèle destructeur du chalutage existe une pêche artisanale aux arts dormants beaucoup plus vertueuse, 3 à 4 fois plus rentable, 2 à 3 fois plus créatrice d’emplois, jusqu’à cinq fois moins subventionnée, sans impact sur les fonds marins et extrêmement sélective comme la pêche à la ligne ou aux casiers. Cette pêche artisanale représente 74% des navires en France mais vous l’avez écrasée au fil des ans. Elle récupère tant bien que mal quelques miettes de quotas et ne représente que 11% des captures. L’injustice sociale est criante, les chiffres sont têtus et ils plaident contre vous. |
Nous vous accusons de détourner l’argent des Français·es au profit d’une poignée d’industriels. Si le chalutage, qui ne représente que 20% de la flotte hexagonale, jouit d’autant de protection, de privilèges, de quotas, de 70% des aides publiques allouées au secteur et de passe-droits de votre part, c’est parce qu’il alimente en poisson subventionné les chaînes de transformation et de distribution industrielles. En d’autres termes, c’est un cadeau que la société fait aux enseignes de supermarchés. Un cadeau que vous avez orchestré mais que nous n’avons pas choisi. Un cadeau contraire à l’intérêt général, qui ponctionne le budget national de ressources financières indispensables à des secteurs en souffrance tel que l’hôpital public, l’éducation nationale ou la protection de la jeunesse. Ce cadeau contre-nature qui consiste à prélever sur les finances publiques des fonds alimentant les profits de la grande distribution et de flottes industrielles à la rapacité et la destructivité immorales, vous le maintenez, par lobbying intense, par pression politique, par un régime de l’omerta qui empêche quiconque de parler librement dans le secteur de la pêche. |
Nous vous accusons de porter une faute morale supérieure. Vous connaissez depuis longtemps les constats économiques, sociaux et écologiques calamiteux sur l’état de dégradation du milieu marin, des captures, sur la chute de la valeur des prises, l’érosion de l’emploi et la disparition des métiers les plus vertueux. Et vous n’avez rien fait. Pis que cela, vous avez laissé faire, vous avez accompagné, facilité, accéléré le désastre et la capture des quotas par les lobbies de la pêche industrielle : vous avez vendu la pêche française aux armements industriels français et étrangers (notamment néerlandais). Vous avez organisé leur prise de contrôle sur le destin politique du secteur en leur donnant accès aux organes de décision du secteur (bureau du comité national, comités régionaux, organisations de producteurs…). Vous êtes responsables du délitement et de l’agonie du secteur, du maillage social et économique du littoral et des difficultés des entreprises familiales. Vous avez mis à mort un secteur aujourd’hui dominé par des méthodes de pêche condamnées.
Votre acharnement à détruire notre crédibilité et notre efficacité est proportionnel à votre culpabilité. |
Nous vous accusons de défendre le statu quo par la terreur. Vous ne pourrez maintenir éternellement cette situation d’injustice sur la base d’un régime de la terreur appliqué au secteur, aux scientifiques et aux ONG. Bien sûr, la dégradation actuelle du climat démocratique vous donne des ailes. La détestation de la pensée, le règne des fake news, les faits alternatifs, le complotisme, les attaques personnelles, toutes les stratégies qui contribuent à porter l’attaque sur le terrain personnel et idéologique en évitant le débat sur le fond confortent votre sentiment de puissance et vous autorisent à tenter d’anéantir vos adversaires, toutes celles et ceux qui maintiendront leur cap : avoir le courage de chercher la vérité et de la dire (4).
Mais vous omettez plusieurs éléments majeurs en agissant ainsi : D’abord, même si vous utilisez opportunément les petits chalutiers qui seraient exclus des aires marines protégées (si un jour, la France décide enfin d’en créer de véritables) comme l’arbre qui cache la forêt, personne n’est dupe. Vous vous désintéressez des petits métiers et agissez au seul profit de quelques acteurs industriels contre les besoins du plus grand nombre. Ensuite, vous semblez oublier une donnée centrale : les Français·es veulent une protection véritable de l’océan et ne soutiennent pas le principe de financer avec leurs impôts la destruction des écosystèmes, des animaux marins et du climat. Par ailleurs, vous négligez le fait que nous ne dépendons d’aucun financement public et avons une liberté de parole que les pêcheurs n’ont pas. Nous avons la parole que les animaux n’ont pas. Nous avons la possibilité d’amplification de la parole que les citoyens isolés n’ont pas. C’est notre rôle de prendre les coups à la place des animaux marins et des citoyens. Cela ne nous dérange pas d’être la cible de votre haine à la place des petits métiers sans représentation politique distincte. Notre boussole reste l’intérêt général et nous serons toujours en travers de votre chemin pour lutter contre votre gestion inique des ressources publiques, les fraudes des flottes industrielles, leurs destructions environnementales, leurs évitements fiscaux, leurs violations des droits humains, votre influence néfaste sur la norme, votre lobbying opaque et votre mainmise sur les quotas. Vous pourrez toujours nous insulter, nous calomnier, nous menacer de représailles judiciaires, organiser des campagnes de dénigrement de grande ampleur comme celle que vous avez initiée en instrumentalisant notre liste rouge des chalutiers pêchant dans les aires marines protégées et en faisant croire que nos actions visaient les individus, ce qui est un pur mensonge dont vous avez orchestré la reprise massive, y compris par la presse, en n'hésitant pas pour certains d'entre vous à nous comparer à des collabos sous Vichy, vous passez à côté d’un phénomène majeur : vos outrances ne font que renforcer notre détermination. Vous confirmez ainsi que nous tapons au bon endroit, que notre efficacité vous met en panique et que nous sommes les seuls à pouvoir mettre votre empire malhonnête, égoïste et brutal à terre.
Nous nous y emploierons. Avec les armes démocratiques qui vous insupportent : les faits, les chiffres, les données, la transparence, les enquêtes, le débat, la justice.
Nous sommes fier·es que vous nous ayez désignés comme votre ennemi public. Nous relevons le défi depuis des années de juguler votre pouvoir de destruction. Votre acharnement à notre égard a révélé votre nature, vos méthodes et vos lignes de fidélité : tout pour les industriels, tout pour les profits. Rien pour la démocratie, les gains collectifs, la sécurité des citoyens, rien pour la justice sociale dans le secteur de la pêche, rien pour l’emploi, rien pour les petits métiers. Vous défendez les 3% de la flotte qui font main basse sur la moitié des captures. Vous défendez les industriels néerlandais qui ravagent nos côtes et nos pêcheurs avec des méthodes destructrices comme la senne démersale. Vous défendez les navires-usines géants de 140 mètres. Vous défendez la réintroduction de la pêche électrique. Vous trahissez jour après jour les pêcheurs français côtiers. Vous détruisez jour après jour l’emploi dans le secteur. Vous resserrez jour après jour la concentration des subventions, des quotas et des pouvoirs aux mains de consortiums industriels scélérats qui pratiquent l’évasion fiscale et les fraudes massives. |
La lutte des classes dans le secteur de la pêche ne fait que commencer. Nous continuerons à plaider pour une protection immédiate de l’océan, pour une compensation des navires exclus des zones protégées (qui restent à créer), pour une transition progressive et juste de l’ensemble du secteur pour aller vers une pêche écologique, sociale, bénéfique pour les territoires et redistributive des richesses publiques.
Nous continuerons à documenter l’organisation opaque, injuste et brutale du secteur de la pêche que vous gérez au seul profit de quelques destructeurs gloutons obsédés par les profits.
Nous continuerons à dénoncer vos pratiques, vos menaces, vos anathèmes et vos stratégies de diversion pour éviter d’aborder le fond : les faits.
Ces faits qui vous donnent résolument tort et aux côtés desquels nous nous tiendrons plus que jamais. |
NOTES (1) Le chalutage consiste à tirer des filets lestés à travers l’eau ou sur les fonds marins grâce à une puissance motrice fortement énergivore. Le 23-24 mars, BLOOM a lancé, avec des militants d’Extinction Rebellion, une dizaine d'actions locales d’interpellation de directeurs de supermarchés sur la base d’une liste rouge de chalutiers opérant dans les aires marines "protégées" au niveau mondial (mais qui ne le sont, pour la plupart, nullement). En l’absence de protection véritable, BLOOM s’est tournée vers le secteur privé pour que les supermarchés cessent d’acheter des produits chalutés provenant des AMP. Le 26 mars, le comité des pêches de Bretagne a utilisé notre liste rouge comme prétexte pour lancer une campagne de dénigrement violente contre nous en dépeignant notre initiative comme une action visant les particuliers. Ce qui est strictement faux. Nos actions ne ciblent jamais les acteurs particuliers, par principe, mais uniquement des responsables politiques ou économiques jouant un rôle dans l’espace public. Le comité a utilisé un lexique outrancier nous comparant à des collabos sous Vichy : "délation", "pires heures de l’Histoire"... Pendant le Grenelle de la mer déjà, en 2009-2010, le Comité national des pêches avait écrit dans un communiqué, parce que nous avions osé demander un test de captures de langoustines au casier et non au chalut, avec un suivi comparatif de la performance sociale, écologique et économique entre les deux engins de pêche, que nous voulions "la solution finale" pour les pêcheurs. Tuer le messager pour éviter de parler du message : une technique vieille comme le monde de détournement de l’attention. (2) Le chalutage concentre 70% des subventions publiques allouées au secteur alors qu’il est responsable de 77% des émissions de CO₂, de 88% de la surexploitation de la ressource, de 90% de l’abrasion des fonds marins, de la capture de plus d’un juvénile sur deux de tout le secteur et de 93% des rejets. (3) Consulter le rapport "S’Affranchir du chalut" ainsi que les autres travaux de recherche permettant enfin de briser le tabou de la piètre performance du chalutage sur des bases factuelles et chiffrées. (4) Référence à Jean Jaurès. |