[RÉFUGIÉS] Ils veulent refaire leur vie en Bretagne

Publié le ven 17/01/2020 - 13:00

Photos : Virginie Jourdan. Avant d'arriver à Ploufragan, Yasr et sa famille vivait à Redon, en Ille-et-Vilaine. La scolarisation des enfants a été un facteur important pour rencontrer des familles bretonnes.

Par Virginie Jourdan

Le nombre de demandes d’asile a doublé en Bretagne en dix ans. Dans les Côtes-d’Armor, ceux qui obtiennent le statut de réfugiés ne sont pas au bout de leur peine. Épaulés par des associations, ils tentent de retrouver une vie stable, un logement et un travail. Une deuxième chance rêvée, mais loin d’être gagnée.

Après des mois de démarches souvent chaotiques, l'obtention du statut de réfugié ne signifie pas toujours la fin du parcours du combattant pour les exilés. Si l'État et les collectivités déploient des moyens pour y remédier, en Bretagne, comme ailleurs, repartir de zéro est une gageure.

Devant sa maison de Ploufragran, Yasr désherbe un parterre de plantes aromatiques. Sous ses doigts, la mélisse, le thym et le basilic semblent pousser seuls sous le climat briochin et leurs odeurs exhalent des senteurs qu'il a connu en Syrie. À l'arrière de la bâtisse, cet ancien chef de ferme de 43 ans termine d'installer une petite serre. Bientôt, les tomates, courgettes et aubergines viendront compléter les repas pour lui, ses 5 enfants et Falac, sa femme. Arrivée en France en mars 2018, la famille a obtenu le statut de réfugiée pour 10 ans. En Bretagne, en 2017, environs 200 Syriens, Irakiens ou Afghans ont bénéficié d'un programme de protection similaire. « Avec la guerre, nous avons dû quitter ma région natale d'Idlib pour le Liban. Nous sommes restés un an et demi là-bas. Nous sommes arrivés en France grâce à un programme des Nations-Unies avec un statut de protection internationale d’un an renouvelable. J'ai fait un recours avec un avocat pour avoir un permis de 10 ans (une fois le statut de réfugié obtenu, un titre de séjour d’1 an renouvelable ou de 10 ans est délivré - NDLR). Même si le renouvellement semblait acquis, je ne voulais prendre aucun risque car avec la guerre, ça n'était pas possible de rentrer1. » Une sécurité et un temps jugés nécessaires pour poser les bases d'une nouvelle vie.

Après un passage à Redon, en Ille-et-Vilaine, la famille a rejoint son nouveau logement à Ploufragan (22) en avril. Un logement social pour lequel il a fait une demande comme tout citoyen de nationalité française. Depuis, Yasr y cherche un travail. En Syrie, il dirigeait une équipe de 20 ouvriers agricoles. En France, il a bénéficié de 200 heures d'apprentissage du français et d'un accompagnement destiné aux personnes éloignées de l'emploi pour se forger un projet professionnel. Après quatre stages dans le milieu agricole et le conditionnement de légumes, Yasr n'a pas encore décroché de contrat de travail. Pour l'heure, ses revenus sont issus des minimas sociaux classiques.

 

Accès au droit du travail

Son cas n'est pas isolé. En 2017, la Bretagne a accueilli près de 2 300 personnes venues de l'étranger pour effectuer une demande d'asile ou bénéficier d'une protection internationale2. Si les demandeurs d'asile n'ont pas le droit de travailler, les réfugiés, eux, sont rattachés au droit commun et peuvent le faire. La partie n'est pas gagnée pour autant. Dans les Côtes-d'Armor, les offres d'emploi ne se bousculent pas et le taux de chômage s'établit à 7,5 % au troisième trimestre 2019. « L'agro-alimentaire et la métallurgie sont deux secteurs qui recrutent. Mais avant cela, il leur faut se familiariser avec le droit du travail. Les conditions de travail françaises ne sont pas celles que les réfugiés connaissaient dans leur pays »,explique Charlène Pouliquen, responsable formation linguistique et générale dans un centre de formation pour adultes à Saint-Brieuc. Terminés les accords oraux, le travail à la journée, les 12 ou 15 heures quotidiennes, voire le travail non déclaré. « Les personnes étrangères ou non, ne connaissent pas forcément le droit du travail. Or, c'est une protection en cas d'accident ou pour ne pas se retrouver à travailler plus de 48 heures par semaine, par exemple », explique la jeune femme.

 

L'État et la Région aux manettes

Pour aider les réfugiés à trouver leur place en Bretagne, l'État et la Région ont développé des dispositifs, tels que Hope ou le prépa Clé Fle qui mêlent apprentissage du français, droit social et accompagnement professionnel. Près de 200 réfugiés y ont participé ces deux dernières années. Quant à savoir combien ont trouvé un emploi, la question reste sans réponse car la loi n'autorise pas les statistiques liées au statut. Et dans les faits, les dispositifs officiels ne sont pas toujours suffisants. Dans la majeure partie des cas, reprendre une vie professionnelle identique à celle qui a été abandonnée n'est pas possible. Deya, 32 ans, en sait quelque chose. Cet ancien technicien informatique et préparateur en pharmacie de l'hôpital d'Alep est arrivé en France en 2018 et vit dans le quartier briochin Balzac. Lui aussi a intégré un dispositif pour l'accès à l'emploi. Malgré un équivalent bac +2 et ses deux récents stages en informatique, sa recherche s'avère ardue. Son talon d'Achille ? La maîtrise de la langue. « J'ai le diplôme de maîtrise de l'Académie de Rennes mais je suis limité sur le langage technique en informatique »,témoigne-t-il.

 

L'État et la Région ont développé des dispositifs, tels que Hope ou le prépa Clé Fle qui mêlent apprentissage du français, droit social et accompagnement professionnel.

Rompre avec le risque de l'isolement

Retour dans un centre de formation pour adultes où Otgon vient de passer quatre mois. Ce matin, elle y passe saluer son ancien formateur. Ce soir, cette trentenaire qui a obtenu l'asile après un an de procédure prendra son service dans un restaurant où elle est embauchée pour 5 mois. Un répit. Cette ancienne comptable d'une grande surface à Oulen Bator, la capitale de la Mongolie, a renoncé à faire valoir ses compétences. Ses priorités sont ailleurs. Pour elle, avoir un salaire signifie « rester vivre à Saint-Brieuc »et « avoir son propre logement ». Côté vie sociale, elle cherche encore ses marques et avoue vouloir « mieux parler français » pour « oser » aller vers les autres.

Désormais sortie du circuit proposé par l'État ou la Région, elle peut compter sur l'option associative. « Quand j'étais en demande d'asile, j'allais à Asti et Utopia pour apprendre le français. » (Ces deux associations accompagnent des personnes étrangères sans titre de séjour - lire aussi l'encadré, NDLR). Aujourd'hui, elle est en contact avec La Croix Rouge qui propose deux cours de français par semaine.

« La maîtrise de la langue est l'argument numéro 1 chez les employeurs. L'accompagnement social au quotidien est aussi important », renchérit Annick Blanchard, élue municipale à Binic-Étables-sur-Mer. En 2016, l'édile et ses pairs ont répondu à l'appel du Préfet de Bretagne en proposant un logement à des personnes réfugiées sur leur commune. Pour prolonger l'accompagnement officiel qui s'arrête parfois au bout d'un an, la commune a missionné une assistance sociale. « C'est un choix politique. Ces familles ont vécu des drames. Elles ont besoin de soutien. La dernière famille que nous avons accueillie venait du Mali. Le père était informaticien et a trouvé un travail d'ouvrier dans l'agro-alimentaire. Pour s'y rendre, une famille lui a prêté une voiture pendant trois semaines, témoigne l'élue. Pour eux, c'est un début. Mais sans cette solidarité, cela n'aurait pas fonctionné. » De son côté, Yasr veut rester optimiste. D'ici fin 2019, il va démarrer un nouveau stage aux espaces verts de la mairie de Ploufragan. Une probable ouverture sur un premier emploi en France.

1Pendant les entretiens, les propos de Yasr ont parfois été traduits par un compatriote syrien. Certaines citations mêlent donc les termes de Yasr et de son traducteur.

2. Source : Préfecture de Bretagne, schéma régional de l'accueil des
demandeurs d'asile et des réfugiés, 2018.

Plus d'infos : www.utopia56.com/fr 

www.fasti.org
Schéma régional d'accueil des demandeurs d'asile et des réfugiés, 2018-2020 : https://bit.ly/35a7DtI

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