[JARDIN] À Toulouse, des potagers poussent au pied des HLM

Publié le ven 08/01/2021 - 13:00
Photo : Vue du jardin du Polygone ©DelphineTayac
 
Par Delphine Tayac
 
Depuis 3 ans, l’entreprise toulousaine La Milpa entretient les espaces verts de résidences sociales en les rendant productifs. Les habitants bénéficient de légumes frais gratuitement, sans voir leurs charges augmenter. Reportage dans un de ces jardins collectifs installé en bas des tours. 
 
En poussant le portail vert du Polygone, on pénètre dans une résidence sociale tout à fait classique. Des petits chemins mènent aux halls des différents bâtiments. Les immeubles se font face autour d’un parc, avec ses bancs, ses arbres et ses pigeons. On s’attend à trouver au centre une pelouse impersonnelle, vert tendre et bien taillée. Au lieu de cela, choux, fenouils, blettes, pieds de tomates et de poivrons dressent leurs feuilles vertes au milieu d’un potager de 400 m². Depuis le mois d’avril 2020, le bailleur social Toulouse Métropole Habitat a confié la gestion des espaces verts de la résidence à La Milpa, une petite entreprise toulousaine de maraîchage urbain. Sa mission : transformer une partie de la pelouse en jardin productif pour le millier d’habitants vivant ici.

Engrais verts et hautes herbes

Ce jour-là, le vent souffle fort. Il s’engouffre entre les tours, tournoie et vient balayer les allées de légumes. Bertrand Desgranges, maraîcher à La Milpa, passe dans les rangées pour repérer les plantes qui ont souffert. Aux côtés de ses deux associés, il vient ici une fois par semaine pour s’occuper des cultures. « Il faudrait bientôt arracher les pieds de tomates. À la place, nous planterons des fèves et des petits pois. Je vois aussi que les choux sont attaqués par des chenilles de piéride », commente-t-il en délogeant les trouble-fêtes à la main. 
Hors de question de dégainer traitements ou engrais chimiques, ici le potager est cultivé au naturel. La Milpa mise plutôt sur des associations de cultures, des engrais verts pour fertiliser et fixer l’azote dans le sol, du paillage et un système de goutte-à-goutte pour économiser l’eau… La gestion des espaces verts est aussi repensée dans son ensemble, comme un écosystème. « Au printemps nous laissons l’herbe monter afin de laisser les fleurs utiles aux pollinisateurs. Nous ne taillons pas non plus les haies entre mars et juin, le temps de laisser les oiseaux nidifier. Tout cela favorise la biodiversité et aide les cultures », explique Bertrand Desgranges. Quelques mètres plus loin, un bac à compost collectif recueille les résidus alimentaires des habitants et ceux de la taille des espaces verts. Une fois transformés en compost, ils viendront à leur tour fertiliser le potager. 
 
Alors que le maraîcher s’affaire à arracher quelques « mauvaises herbes », des habitants passent sans s’arrêter. D’autres, comme Solange, font une pause. Résidente depuis 2008, elle revient des courses avec son cabas à roulettes. « Je suis au premier étage, je vois bien le potager depuis mon balcon ! Mais je ne viens pas cueillir. À 75 ans, je n’arrive plus à me plier en deux et puis je ne cuisine pas... ». Le maraîcher l’encourage néanmoins à glaner quelques tomates vertes. « Vous savez que vous pouvez en faire de la confiture ! N’hésitez pas, sinon ce sera arraché et broyé pour le compost ». Elle est rejointe par Serge, un voisin. Il s’arrête pour papoter, baguettes de pain sous le bras. Celui qui vit au Polygone avec sa compagne depuis 15 ans, apprécie l’initiative. « C’est surtout ma femme qui vient cueillir. Moi j’en profite au moment des repas », dit-il avec malice. « D’ailleurs, les radis noirs étaient excellents ! », lance-t-il à Bertrand Desgranges.
 

Baisses de charges et légumes gratuits

L’heure du déjeuner approchant, chacun regagne son domicile, laissant le maraîcher terminer son travail. Nulle obligation de mettre la main à la pâte. Les locataires peuvent cueillir des légumes même s’ils ne s’investissent pas dans l’entretien. Il s’agit d’un service, pas d’une obligation. 
Au Polygone, ce n’est pas la première tentative de jardin collectif. Avant l’intervention de La Milpa, des bacs de culture avaient été installés par le bailleur avec l’aide d’une association. Leur gestion avait ensuite été progressivement confiée aux habitants. « Des clans ont fini par se former, certains reprochant à d’autres de ne pas assez s’investir », raconte Daniel Ferré, directeur de Toulouse Métropole Habitat. « Selon nous, l’existence d’un tiers extérieur à la résidence est une des conditions de réussite et de pérennité du potager ».
 
L’intervention de professionnels permet d’assurer la continuité des cultures mais aussi une certaine productivité. S’il est trop tôt pour mesurer les récoltes du Polygone, deux autres jardins collectifs similaires gérés par La Milpa ont permis de distribuer plus d’une tonne de légumes aux habitants en un an, pour 1000 m² de surface. Le but n’est toutefois pas de combler tous les besoins alimentaires, mais plutôt d’améliorer le quotidien et le cadre de vie. 
 
Mais pour cela, le bailleur ne souhaitait pas demander à des locataires aux budgets déjà serrés de mettre la main au porte-monnaie. C’est donc pour faire mieux avec moins, que Guillaume Chochon a imaginé le modèle de La Milpa. Alors qu’il était lui-même directeur d’agence à Toulouse Métropole Habitat, il a eu l’idée d’optimiser les budgets d’entretien des espaces verts. Ces prestations sont en général facturées assez cher et payées par les locataires dans leurs charges. Le bailleur lui a laissé carte blanche à une condition : trouver un modèle économique afin que cela soit reproductible.
Au Polygone, le bailleur a investi 22 000 € pour de l’outillage, défricher et préparer la terre, des analyses de la qualité des sols… La Milpa de son côté propose un contrat d’entretien moins cher incluant la création d’un potager. « Le budget gestion des espaces verts est ainsi passé de 18 000 € à 12 000 € par an, soit une baisse de 30 % », se satisfait Daniel Ferré. Ces baisses de charges sont répercutées aux habitants qui font aussi des économies grâce à la distribution gratuite de légumes. 
 

Un phénomène en plein essor

Avant le Polygone, Toulouse Métropole Habitat et La Milpa ont créé deux autres jardins. Selon eux, le modèle fonctionne. En témoigne notamment l’absence de dégradations. « Bien sûr, il nous arrive de trouver des crottes de chats et de chiens, mais c’est marginal », souligne Bertrand Desgranges. « Alors oui, certains cueillent trop tôt. On en parle régulièrement avec les habitants, mais cela fait partie du jeu ».  
 
Porté par l’essor de l’agriculture urbaine, ce type de jardins collectifs se multiplie en France. « Depuis 4 ou 5 ans, les potagers au sein des résidences sociales sont en plein essor », analyse Antoine Lagneau, chercheur associé au LIR3S à l’Université de Bourgogne et spécialiste de l’agriculture urbaine. « C’est devenu une politique publique à part entière. Les acteurs de la ville ont bien compris la plus-value en termes de bien-être et de régulation de la vie entre habitants ». Selon lui, l’appel à projet national « Quartiers fertiles » lancé par l’Agence nationale pour la rénovation urbaine en est une illustration. Son objectif : soutenir une centaine d’initiatives telles que des jardins d’insertion, des micros fermes, dans les quartiers prioritaires. 
De son côté, Toulouse Métropole Habitat veut continuer d’essaimer. Et espère ouvrir un nouveau jardin par an dans son parc de résidences. 
 
 
Plus d’info 
lamilpa.fr

Garantissez l'indépendance rédactionnelle et financière de Sans transition !